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La question de la semaine sur le casier judiciaire et les assurances

Un avocat avec son client

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La question de la semaine sur le casier judiciaire et les assurances

Avoir un casier judiciaire peut vous empêcher de voyager, d'obtenir un emploi. Mais plusieurs personnes judiciarisées nous rapportent aussi qu’elles ont du mal à s'assurer. Les assureurs refusent de les assurer, ou exigent des primes beaucoup plus élevées, jusqu’à quatre fois plus élevées, dénoncent des organisations de défense des personnes judiciarisées.

Est-ce discriminatoire de refuser d'assurer une personne qui a un casier judiciaire ?

Non, ça n'est pas de la discrimination au sens de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, tout simplement parce que les antécédents criminels ne font pas partie de la liste des motifs interdits de discrimination, comme c’est le cas, par exemple, pour l’origine ethnique ou pour la religion.

Par contre, si on refuse de vous assurer parce que vous hébergez un conjoint ou un parent qui a un casier judiciaire, ça pourrait constituer de la discrimination en fonction de votre état civil. En effet, l’état civil figure dans la liste des motifs de discrimination interdits dans la Charte québécoise. L’état civil inclut le mariage, l'union civile et l'union de fait, mais également la filiation.

C'est en vertu de cette interdiction qu'en 2013, le Tribunal des droits de la personne a condamné un assureur à verser plus de 8600 dollars à un couple qui a vu son contrat d’assurance habitation et automobile résilié par l’assureur. La compagnie l’a fait après avoir appris que le fils du couple irait séjourner chez eux trois jours par mois dans sa démarche de réhabilitation. Le tribunal des droits de la personne a considéré que la différence de traitement constituait de la discrimination fondée sur l'état civil.

Dans ce dossier, c’est la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse qui poursuivait l’assureur. « L’importance de ce jugement, c’est qu’il vient dire que le proche d’une personne ayant des antécédents judiciaires est à première vue victime de discrimination », résume la conseillère juridique de la Commission, Me Stéphanie Fournier. Une fois cette démonstration faite, explique Me Fournier « un renversement juridique s’opère. C’est alors à la compagnie d’assurance de démontrer que la discrimination, l'exclusion dans les circonstances, est justifiée. »

Les assureurs ont le droit de discriminer

En effet, l’article 20.1 de la Charte des droits et liberté de la personne du Québec prévoit une exception pour les assureurs : ces derniers ont le droit de vous exclure ou de vous défavoriser, et ce, même pour les motifs interdits de discrimination tels que votre âge, votre sexe ou votre état civil. Mais à certaines conditions. La distinction ou l’exclusion est « réputée non discriminatoire lorsque son utilisation est légitime et que le motif qui la fonde constitue un facteur de détermination de risque, basé sur des données actuarielles », stipule l’article 20.1.

Par conséquent, explique Me Fournier, « si on peut démontrer que des données actuarielles démontrent que la présence de cette personne augmente de façon significative le risque de vol et autres risques associés aux assurances, le tribunal pourrait évaluer que c’est discriminatoire, oui, mais que c’est justifié ».

Dans le dossier de 2013, l’assureur avait concédé qu’aucune donnée actuarielle ne justifiait sa règle, et le Tribunal des droits de la personne a conclu qu’il ne pouvait donc pas invoquer l’article 20.1.

« Il n’y a jamais aucune compagnie d’assurance qui a sorti ses chiffres actuariels, affirme David Henry, directeur général de l’Association des services de réhabilitation sociale du Québec (ASRSQ). Ils disent qu’ils en ont et ils parlent de risque moral, mais la notion est un peu floue. »

La facture a posé la question à plusieurs assureurs parmi les principaux : ont-ils des données actuarielles? La plupart nous ont référé au Bureau d’assurance du Canada (BAC), lequel a répondu que « le fait d’avoir un dossier criminel constitue généralement un facteur aggravant qui pourrait rendre l’accès à une assurance automobile ou habitation plus difficile. »

Des assureurs approchés, seule Desjardins a expliqué sa démarche à La facture : « Nous ne refusons pas systématiquement d’assurer une personne avec un casier ou des antécédents judiciaires, mais allons valider certains renseignements comme la nature du délit, la sentence et les circonstances pour prendre une décision », explique la porte-parole de Desjardins, Valérie Lamarre, dans un courriel. « Par exemple, en assurance auto, certaines infractions comme la conduite avec facultés affaiblies, la course, la négligence criminelle découlant de la conduite d’un véhicule, la conduite dangereuse ou le délit de fuite ont des impacts importants sur la prime. »

« Oui, il y a certainement des calculs actuariels qui sont faits », note Isabelle Larouche, professeure à l’École d’actuariat de l’Université Laval qui se spécialise dans les assurances. « Mais ces calculs sont confidentiels, car chaque assureur veut avoir la meilleure prime possible donc il ne dira pas aux autres assureurs sur quoi il se fie pour fixer ses primes. » Chaque assureur mène sa propre analyse en fonction des types d’assurés qu’il désire avoir dans son portefeuille. Chacun accorde un poids différent à chaque critère, ajoute Mme Larouche. « C’est pour ça que ça vaut la peine de magasiner. »

Le droit de demander si vous avez un casier

Rien dans la loi québécoise n’interdit aux assureurs de vous questionner sur vos antécédents judiciaires et de prendre leur décision en fonction de ce facteur.

En fait, le Code civil de la province vous oblige même à déclarer - en toute bonne foi - les facteurs qui pourraient influencer l'évaluation de l'assureur quant au risque que vous représentez pour lui. Si vous omettez de telles informations, il est possible qu’un tribunal donne raison à votre assureur si ce dernier refusait éventuellement de vous indemniser à la suite d’un sinistre, ou s'il révoquait votre police.

Cela dit, le fardeau de déclarer n’est pas entièrement sur vous : depuis un jugement de la Cour supérieure en 2005 qui a fait jurisprudence, des tribunaux ont obligé des compagnies à indemniser les assurés parce qu’elles n’avaient pas bien questionné le client sur ses antécédents ou sur ceux des proches vivant avec lui, ou encore, parce qu'elles n'avaient pas plus clairement exprimé l'importance de ce facteur pour leurs calculs. Depuis, confirme David Henry, les assureurs ont commencé à poser des questions sur les antécédents judiciaires.

Voici celle que Desjardins pose à ceux et celles qui sollicitent une assurance : « Au cours des 10 dernières années, est-ce que vous ou quelqu'un habitant sous votre toit avez été reconnu coupable ou responsable d’une activité illégale? »

Le directeur général de l’ASRSQ ne conteste pas le fait que dans une proportion des cas, les antécédents judiciaires sont bel et bien liés à un risque réel pour les assureurs. Toutefois, fait-il remarquer, toutes les infractions ne sont pas équivalentes : « Il y aurait intérêt de raffiner le calcul pour les gens qui ont un casier judiciaire. » Il cite en exemple le Programme d'Assurance Adapté aux Adultes Judiciarisés (PAAAJ). Ce projet pilote est le fruit d’un partenariat entre son association et un courtier en assurance, le Club Assurance. Les deux organisations tentent de déterminer les facteurs qui permettent d’affiner le portrait du risque représenté par chaque personne judiciarisée. Le Club Assurance pose donc davantage de questions que ne le font la plupart des assureurs, assure M. Henry. Par conséquent, affirme-t-il, le PAAAJ propose des primes de 5 % à 40 % moins chères que ce qui est généralement offert aux personnes judiciarisées sur le marché. Par exemple, l’assuré peut obtenir une diminution de sa prime s’il a obtenu une suspension du casier judiciaire, plus connu sous le nom de “pardon”.

Journaliste : François Sanche
Journaliste à la recherche : Isabelle Roberge

La boîte à outils

Le Bureau d’assurance du Canada (BAC)
Au Québec, l’accès à l’assurance automobile obligatoire est garanti par la loi. Le BAC précise qu’« un automobiliste qui serait incapable d’assurer son automobile en responsabilité civile pourra obtenir l’aide du Groupement des assureurs automobiles  (Nouvelle fenêtre) sans frais. »

La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse  (Nouvelle fenêtre) (CDPDJ) peut répondre à vos questions au sujet de la discrimination et, le cas échéant, prendre votre plainte.

L'Association des services de réhabilitation sociale du Québec  (Nouvelle fenêtre) (ASRSQ) est un regroupement d’organismes communautaires qui offrent des services aux personnes judiciarisées.

Le Programme d'Assurance Adapté aux Adultes Judiciarisés (PAAAJ)  (Nouvelle fenêtre)
Une initiative du Club Assurance en partenariat avec l'Association des services de réhabilitation sociale du Québec (ASRSQ)

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