Simple comme Sylvain : quand on n’a que l’amour

Monia Chokri signe un film superbe, qui ose le sentiment au premier degré. À voir en salle à compter du 22 septembre.
L’amour, c’est la rencontre de deux névroses. Reste à savoir si elles sont compatibles au moment où elles se rencontrent!
Sensuel, sentimental, charnel, passionné, drôle… Devant Simple comme Sylvain, on a envie de jeter les adjectifs en bouquet. Mais ce ne serait rendre justice qu’à moitié à cette troisième réalisation de Monia Chokri, qui brille encore par sa mise en scène d’une rare maîtrise, d’une beauté évidente. Sans mentionner Pierre-Yves Cardinal, d’un charisme fou dans le rôle de cet entrepreneur de région, et Magalie Lépine-Blondeau, qu’on aura rarement aussi bien filmée que dans ce rôle d’une professeure de philosophie à l’Université du 3e âge, empêtrée dans un couple bourgeois où elle s’ennuie.
Nous avons rencontré Monia Chokri, réalisatrice de ce film épatant, où l’amour se vit sur fond de désir charnel et de préjugés de classes.

Quelle a été la bougie d’allumage de ce troisième long métrage?
Monia Chokri:
C’est l’envie d’écrire un film d’amour.
Tout de suite après La femme de mon frère, j’ai eu ce flash et j’ai commencé à me questionner sur le désir et sur la compatibilité ou non entre l’amour et le couple, qui est un système politico-social grégaire et économique. Puis, j’ai imaginé cette rencontre entre deux milieux sociaux différents en me demandant si, dans ce cas, l’amour pouvait traverser l’épreuve du couple.

Est-ce que les rôles ont été écrits pour Magalie Lépine-Blondeau et Pierre-Yves Cardinal? Pour Magalie, en particulier, car on a le sentiment que pour la première fois, elle n’est pas filmée que comme une belle femme, mais comme une actrice.
M. C.: Non, je n’écris jamais en pensant à des acteurs et actrices. C’est tellement long, écrire un film. Les envies changent, les âges, les disponibilités, l’évolution du personnage… J’attends en général assez tard avant de décider. Cela dit, Magalie et moi sommes très proches, on a les mêmes questionnements et préoccupations, elle est aussi une de mes premières lectrices.
Comme je la connais dans l’intimité, je vois au-delà de son image. Bien sûr, je la trouve magnifiquement belle, mais aussi profonde, intelligente, cultivée et drôle.

Vous filmez (enfin!) le désir féminin en illustrant ce que peut être le female gaze. Était-ce délibéré?
M. C.: C’était clairement une intention! D’abord, les scènes de sexe sont intéressantes pour moi si elles font partie de la dramaturgie, il faut qu’elles fassent avancer le récit. Ensuite, au cinéma, je les trouve souvent superficielles, et la nudité, souvent, a tendance à me sortir de l’histoire, à me faire observer les corps plutôt que de rester avec les personnages. Ça ne m’intéressait pas de montrer leur nudité et je voulais en outre que tout se passe dans son regard à elle.
Il a fallu que je me déconstruise quant à ce qui est érotisant et érotique parce que les images qu’on nous renvoie, c’est toujours que la femme est un objet de désir, qu’elle est érotique, mais pas l’homme.
Là, je me suis vraiment dit : non, c’est elle qui regarde. Après, je ne sais pas si c’est du female gaze, mais c’est une façon de regarder différemment les corps.

Parlons mise en scène et musique. Vous avez évoqué le cinéma de Robert Altman en entrevue, mais on pense aussi à Douglas Sirk et à ClaudeSautet, non?
M. C.: Oui! J’ai beaucoup parlé d’Altman parce que j’ai étudié son cinéma avant de faire Simple comme Sylvain. Lui, sa caméra est tout le temps sur dolly ou sur zoom, et je savais que je voulais ce genre de mouvements. J’avais envie d’un cinéma un peu plus posé qu’avant, où je hachurais plus, je faisais des jump cuts, j’utilisais plus la caméra à l’épaule. Là, je voulais que les mouvements soient plus dans une intention de sensualité. Mais oui, Sautet, Sirk et aussi Love Story ou Loulou, de Pialat, et ces films des années 1970-80 m’ont inspirée! Quant à la musique, après Babysitter, j’ai tout de suite dit à Émile Sornin que je voulais qu’il fasse la musique du suivant. Je voulais quelque chose qui référait directement à quelque chose de fleur bleue, de lyrique, avec orchestration, ampleur et mélancolie aussi.
En fait, je voulais avoir ces codes des films romantiques des années 1970 pour que le spectateur plonge directement dans l’émotion, mais aussi pour le décaler un peu… parce qu’on est en 2023!

À vos yeux, quelle est l’utilité du cinéma?
M.C.: À moi comme cinéaste, le cinéma sert à m’exprimer. Créer est une forme de survie, pour me comprendre, être meilleure avec les autres, décrypter le monde qui m’entoure et mieux l’apprivoiser. Et à moi comme spectatrice, c’est une catharsis. J’ai vécu des moments de grâce bouleversants au cinéma, que je n’ai jamais vécus ailleurs, et qui m’ont fait avancer tout en produisant du beau.
Le cinéma, c’est l’art de l’image, et quand l’image est forte, c’est de la poésie. Et la poésie, c’est nécessaire à la vie pour qu’elle soit plus douce, plus profonde, plus intéressante, plus joyeuse.
Compléments:
Simple comme Sylvain, en salle le 22 septembre.
La bande-annonce (source : YouTube)
