La nuit du 12: attention, grand film

Un féminicide, une enquête qui piétine dans la région de Grenoble et six César. À voir en salle le 2 juin.
C’est vrai que dans ce travail précis, minutieux, attentif aux moindres détails des policiers, j’ai trouvé des points communs avec le métier de scénariste et de réalisateur.
Harry, un ami qui vous veut du bien, Lemming, Seules les bêtes… Dominik Moll et son complice Gilles Marchand ont fait le bonheur des amateurs et amatrices d’intrigues criminelles juste assez perverses pour sortir du lot. Mais avec La nuit du 12, c’est autre chose qui entre enjeu : une obsession. Celle de Yohan Vivès, jeune enquêteur de la police judiciaire (PJ), chargé de l’enquête sur la mort de Clara, une femme de 21 ans, brûlée vive alors qu’elle rentrait d’une soirée chez des amies.
Direct, tendu, d’une rigueur rare, La nuit du 12 est de ces grands films puissants et sensibles qui nous hantent longtemps.

La nuit du 12 n’a pas de résolution
au sens classique. Est-ce que vous sentez que cela a libéré quelque chose dans votre écriture, à vous et Gilles Marchand?
Dominik Moll : Certainement. C’est ce qui m’a attiré vers cette enquête. Quand je l’ai lue dans le livre de Pauline Guéna [18.3 :une année à la PJ], ce qui m’a frappé, c’est comment cette non-résolution a affecté les enquêteurs. Bien sûr, ça ne correspond pas aux codes du polar! La règle du jeu veut qu’on ait un crime au début et un criminel arrêté à la fin. Mais ne pas la respecter nous permettait aussi d’explorer, d’aller hors des sentiers battus.
On s’est demandé si cela n’allait pas engendrer de la frustration, mais on a décidé de ne pas jouer à cache-cache, en avertissant le public dès le début. Le contrat proposé est honnête et permet d’explorer d’autres aspects de cette histoire.
En plus, Gilles a réalisé pour Netflix une série documentaire sur l’affaire Grégory, qui est aussi non résolue et qui a connu un beau succès tout de même!

Vous avez tenu à aller observer le travail des policiers.
D.M. : Oui, pour une semaine, à la PJ de Grenoble.
J’y tenais, car l’institution policière a beaucoup été traitée par la fiction, mais je sentais qu’il y avait peut-être des raccourcis dans ce portrait, des choses qu’on ne montrait pas par peur que ce ne soit pas assez intéressant ou héroïque.
Moi, je voulais vraiment montrer le travail des enquêteurs tel qu’il est, avec la lourdeur administrative, le matériel défectueux, la dynamique de groupe, etc., ce qui raconte autre chose.

C’est une perspective différente que propose votre film, car en général, lorsqu’on évoque les violences faites aux femmes, c’est davantage pour stigmatiser l’inaction de la police.
D.M. : Si j’avais montré les dépôts de plainte pour viol dans un commissariat, ça aurait été différent. La PJ, c’est un peu l’élite de la police, même s’il y a aussi des problèmes là! Mais c’est ce que j’ai vu : des enquêteurs qui s’investissent à fond dans leur mission et ont à cœur de résoudre leurs enquêtes, et d’autant plus quand ça concerne ce qu’ils appellent des vraies
victimes, pas celles qui font partie du monde criminel. On sent que ça les atteint personnellement.
Je voulais montrer cet investissement et observer la trajectoire du personnage de Yohan : comment il est amené à se questionner, notamment sur ce que la violence faite aux femmes lui renvoie de sa propre masculinité, de sa propre violence.
Parce que la police, en tout cas judiciaire, reste un monde de mecs, qui sont confrontés à la violence d’autres hommes.

En effet, on a dit de La nuit du 12 qu’il était un film féministe, mais il semble tout autant une radiographie de la masculinité.
D.M. : Oui. Dès le début, j’ai dit que je ne voulais pas en parler comme d’un film féministe. Si des femmes peuvent le trouver féministe, très bien, mais pour moi, le féminisme, c’est un combat porté par les femmes, même si les hommes peuvent l’accompagner et être à l’écoute.
S’autoproclamer féministe, c’est une autre façon de s’approprier quelque chose que je trouve déplacée. Pour moi, c’est un film qui, à la suite du mouvement MeToo, essaie d’être à l’écoute.
À la radio, j’ai entendu une féministe historienne qui disait : « C’est très bien de libérer la parole des femmes, mais il faut aussi libérer l’écoute », ce que j'ai trouvé très juste. Yohan évolue parce qu’il se met à l’écoute de la parole, primordiale, des personnages féminins.

Aviez-vous pensé à Bouli Lanners et Bastien Bouillon dès l’écriture?
D.M. : En fait, je n’ai jamais écrit pour quelqu’un. Avec Gilles, on garde ça pour la fin. Bouli, par contre, est venu assez vite. C’est un comédien que j’aime beaucoup, qui déborde d’humanité, de générosité, d’émotion. Je me souviens que sa corpulence m’avait fait hésiter, parce que Pauline Guéna m’avait dit que les policiers de la PJ étaient plutôt minces, mais quand j’ai fait l’immersion, j’ai bien vu que ce n’était pas une règle (rires).
Pour Bastien, c’était un peu plus long. Le personnage est difficile à incarner : il est en intériorité, beaucoup de choses passent par le regard…
Mais Bastien a fait un essai sur la scène assez difficile de discussion avec la juge d’instruction, qui est très écrite, très littéraire. Beaucoup essayaient d’amener du naturalisme, mais lui pas du tout. Il a essayé quelque chose de très droit, de très précis, sans lâcher sa partenaire du regard, et ce côté implacable m’a beaucoup plu.

Aviez-vous des références, des inspirations?
D.M : Bien sûr, on a évoqué pendant l’écriture Zodiac de Fincher,
mais aussi la série Twin Peaks de Lynch parce que Gilles et moi aimons beaucoup son travail, mais surtout parce que Laura Palmer, la victime, plane constamment sur tous les épisodes, même si on ne la voit pas.
On voulait que ce soit la même chose : que Clara ne soit pas un prétexte pour montrer des policiers héroïques, qu’on ne l’oublie pas. Sinon, on a aussi pensé au Samouraï de Melville, avec ce personnage de Delon mutique, duquel on ne sait pas grand-chose.
La nuit du 12, à voir en salle le 2 juin.
La bande-annonce (source : YouTube)
