Le coyote : la douceur comme rempart à la dureté du monde

Nous avons rencontré Katherine Jerkovic, réalisatrice de ce film sensible à voir le 31 mars en salle.
En attendant de pouvoir retrouver un travail de cuisinier, Camilo, Québécois d’origine mexicaine, travaille dans une compagnie d’entretien ménager. Mais lorsqu’une occasion de travailler dans un restaurant à Baie-Comeau se présente, son chemin semble plus lumineux, jusqu’à ce que sa fille, toxicomane désirant entreprendre une cure, lui demande de prendre soin de son petit-fils, dont il ne soupçonnait même pas l’existence.
Pour sa deuxième réalisation, après Les routes en février, Katherine Jerkovic suit ce destin avec pudeur et attention, révélant toute la dignité et l’abnégation de tous ceux et celles qui restent habituellement dans l’ombre.
Nous l’avons rencontrée.

Comment est née l’histoire du Coyote?
Katherine Jerkovic : J’ai commencé à l’écrire en 2012, avant même d’obtenir le financement pour mon premier long métrage. La première image, c’était celle de ce travailleur de nuit et cet enfant, à la fois de son sang et étranger. Et j’étais enceinte, ce qui a déclenché une réflexion sur la maternité, la parentalité. Puis, contrairement aux Routes en février, qui était autobiographique, ce film était davantage un patchwork de situations que j’ai vécues, de gens que j’ai connus. Il y a plusieurs générations d’immigrants dans le film. Mon père était fils d’immigrant et a immigré à son tour; ma mère était réfugiée politique; je suis née et ai vécu une bonne partie de ma vie à l’étranger.
Je suis cet enfant gardé la nuit parce que sa mère travaille. Je suis aussi cette jeune mère qui pense qu’elle n’est pas à la hauteur et que sa maternité est à conquérir. Je suis aussi un peu cet immigrant, car je suis arrivée à Montréal à 18 ans et j’ai fait plein de petits boulots peu édifiants.
J’ai aussi été proche d’une amie toxicomane. J’ai essayé de donner un sens à tout ça en écrivant cette histoire.

Parlez-nous de votre acteur, Jorge Martinez Colorado, qui est assez extraordinaire.
K.J. :
Il est flabbergastant. Et ce qui l’est encore plus, c’est que ça fait plus de 20 ans qu’il est acteur au Québec et il a surtout fait des petits rôles assez stéréotypés d’immigrant qui baragouine.
Au scénario, je savais que je voulais un homme qui faisait des tâches d’habitude associées aux femmes : faire à manger ou prendre soin d’un enfant. Je voulais aussi, comme il a de grandes blessures, qu’il soit introverti, dans la retenue, comme s’il trouvait que ça ne vaut vraiment plus la peine d’exprimer quoi que ce soit, tout en restant bon et chaleureux. Je voulais un acteur mexicain, et quelqu’un m’a recommandé Jorge. Quand je l’ai rencontré, c’était évident : il a une telle palette, un tel abandon et une telle générosité dans le jeu. Ça n’a pas été facile, parce qu’il est habitué à un jeu beaucoup plus expressif et expansif – il a fait beaucoup de télé et de théâtre –, et ce que je lui demandais le chavirait un peu. C’était trop retenu, trop intérieur et ça lui a pris du temps à juste faire confiance.

Vous avez dit avoir été exaspérée par la représentation des latinos dans nos fictions. La diversité, depuis quelques années, est devenue une réelle préoccupation. Trouvez-vous qu’on s’améliore?
K.J. : Le film est né de choses plus profondes, plus personnelles, mais quand j’ai commencé à l’écrire, je me suis vite rendu compte qu’il détonnait avec ce que l’on voit et que j’étais exaspérée par ces clichés. Mais depuis quelques années, je constate beaucoup de progrès.
Je vois la différence. Surtout en télé, peut-être, où on voit une diversité qui est naturelle, incarnée, sentie, pas là pour cocher des cases. Mais je sens le changement arriver au cinéma aussi. Il y a un réel effort au Québec pour faire confiance à des producteurs, des scénaristes, des réalisateurs de la diversité.
Avant, on avait souvent des gens pure laine qui racontaient ces histoires avec les meilleures intentions, mais ce n’était pas senti, c’était parfois décalé et même offensant. Le fait qu’il y ait plus de personnes issues de différentes communautés dans les postes-clés, là où se prennent les décisions artistiques, ça donne un cinéma plus riche et plus authentique.

Pourriez-vous parler de vos partis-pris de mise en scène : les ellipses, assez marquées, les plans-séquences, le minimalisme…
K.J. : Je suis obsédée par les ellipses. Je trouve que c’est un outil grammatical vraiment intéressant et qu’il n’est pas assez utilisé en général! Et quand on a une approche minimaliste, proche du documentaire, comme moi, il n’y a pas beaucoup d’endroits où on peut affirmer son parti-pris! Quant au minimalisme, je pense que l’histoire ne se prêtait pas à une approche flamboyante.
Je ne voulais pas être mélodramatique, ou victimiser les personnages qui se battent tous et ont une vraie dignité, à mon sens. J’ai pensé que plus je restais dans la sobriété, plus je permettais à cela d’émerger.
Je suis aussi habituée à travailler en plan-séquence. J’aime beaucoup la spontanéité dans le jeu, et les deux-trois premières prises que l’on fait ont tendance à être imparfaites, mais réelles. Je travaille beaucoup avec ces premières prises. Le plan-séquence permet aussi une forme de générosité envers l’acteur : la scène est à toi, tu peux la vivre à ton rythme, il n’y aura pas de manipulation. Enfin, je voulais quelque chose de presque âpre, mais de doux et de poétique en même temps, ce que ma directrice Léna Mill-Reuillard a vraiment réussi à transmettre. J’ai essayé que ce ne soit pas un film facile à classer!
Compléments:
Le coyote, en salle le 31 mars.
La bande-annonce (source : YouTube)
