Jour de merde : c’est le cas de le dire

Ève Ringuette en vit toute une dans le premier long métrage de Kevin T. Landry, à voir en salle le 24 mars.
J’aime le chemin que prend le cinéma de genre au Québec. Plus on va prendre de risques, plus on va réaliser qu’on peut aussi faire des Everything, Everywhere, All at Once ou des Get Out ici
Son ex la harcèle par téléphone. Sa patronne la houspille constamment. Son fils, grand échalas d’ado, excelle dans le genre maussade agressif. Pour Maude, la vie est déjà loin d’être un long fleuve tranquille. Mais lorsqu’elle doit aller au fin fond du bois pour interviewer un gagnant de Loto-Gold (Réal Bossé, parfaitement inquiétant), elle comprend véritablement ce que peut être un jour de merde. Bienvenue dans l’univers dopé à l’humour noir de Kevin T. Landry.
Nous avons interviewé le réalisateur.

Votre film vient de remporter le prix Gilles-Carle aux Rendez-vous Québec Cinéma. Qu’est-ce que cela représente pour vous?
Kevin T. Landry : Honnêtement, c’est encore un peu étrange. Je ne comprends toujours pas ce qui se passe. C’est cliché de le dire, mais on ne fait pas un film pour avoir des prix. Par contre, le fait de recevoir un prix donné par des gens que je respecte tellement [le jury était composé de Micheline Lanctôt, Sophie Dupuis, Olivier Bilodeau et Éric Tessier], ça me fait vraiment chaud au cœur, et ça me remplit d’espoir pour la suite.

Vous avez fait vos armes au sein du mouvement Kino. Qu’est-ce que cela vous a appris?
K. T. L. : Avant de faire Kino, j’avais fait l’UQAM en cinéma en 2004 et ce n’était pas une très bonne période, mon père venait de décéder, je n’étais pas prêt, ni artistiquement ni émotivement, à m’embarquer dans quelque chose d’aussi gros. J’étais un peu perdu en sortant de là, et c’est Kino, en 2010, qui m’a ramené sur le bon chemin! J’ai repris goût à faire des films grâce à Kino, et j’ai trouvé ma voie.
Ça m’a appris à expérimenter, à me casser la gueule aussi, sans conséquence, et à me préparer à tout, à être capable de changer le cap rapidement quand quelque chose ne fonctionne pas.
Mais je veux continuer à faire du court métrage. Je ne vois pas le court
comme une passerelle vers le long
, ce sont deux formats différents dans lesquels on peut raconter des histoires différentes.

Comment est née l’idée de Jour de merde?
K. T. L. : En fait, j’ai été témoin des abus subis par une connaissance à moi. Elle se faisait harceler constamment par son ex au téléphone et sa relation avec son fils était aussi compliquée. Je la voyais en prendre beaucoup sur ses épaules, mais elle gardait tout le temps le cap. Et je trouvais ça incroyable de sa part. Mon imaginaire trash a embarqué et m’a fait me demander : « Qu’est-ce qui arriverait si elle pétait un plomb? ». Jour de merde est né de ça!
Le scénario a ensuite été nourri par ma mère et une de mes tantes qui ont fait tellement de sacrifices sans jamais rien demander en retour. C’est une lettre d’amour un peu tordue que je leur ai écrit!

Ève Ringuette (Le dép) est impressionnante dans ce rôle. Comment avez-vous pensé à elle?
K. T. L. : Ça a été un coup de chance incroyable.
À l’écriture, je savais que je voulais un personnage innu, pour évoquer l’idée d’un déracinement, d’un éloignement de sa propre culture, sans jamais la victimiser, mais aussi pour souligner l’humour noir de cette communauté.
J’avais travaillé sur une série documentaire sur des jeunes de la Côte-Nord, et leur humour me parlait tellement! Je savais que ce ne serait pas facile à trouver, mais j’en ai parlé avec une amie directrice de casting lors d’une soirée aux Rendez-vous Québec Cinéma, ses yeux se sont illuminés et elle est immédiatement allée chercher Ève Ringuette. On a parlé, et ça a été un coup de foudre absolu! Dès cette journée-là, j’ai su qu’elle était Maude. J’ai vraiment été béni des dieux du cinéma pour cette rencontre!

On pense au polar, au western. Quelles ont été vos influences?
K. T. L. : La plus évidente, c’est Fargo. L’humour noir décalé et un peu sinistre me fait tripper. Mais j’ai beaucoup pensé aussi à Série noire de Jean-François Rivard et François Létourneau, qui me parle énormément. C’est un mix étrange, mais ce sont mes deux références principales.
Et sinon, le premier album de Lisa Leblanc! Il est sorti quand je commençais l’écriture. J’avais du mal à trouver et définir mon personnage principal, et cet album a été un phare dans la nuit.
C’est pour ça que j’ai mis une de ses chansons dans le générique d’ouverture. C’est elle qui m’a fait réaliser quelle était l’histoire de Maude!

Qu’est-ce que cela vous a appris, de réaliser un premier long métrage?
K. T. L. :
Que j’étais à la bonne place! Le film m’a donné le goût de juste continuer à avoir du fun.
J’avais pris une tangente plus dramatique avec mes derniers projets, mais avec Jour de merde, j’ai compris que le décalé, la comédie qui fait réagir et vivre des choses intenses au public, c’est ce que je veux faire. Je ne suis pas un Bernard Émond (rires)!
Compléments:
Jour de merde, en salle le 24 mars.
La bande-annonce (source : YouTube)
