Cette maison : pour ne plus avoir peur

Miryam Charles signe un premier long métrage qui réinvente sa propre tragédie familiale, à voir en salle dès le 10 février.
Tous les films que j’ai regardés enfant, je les ai vus avec mes parents. Mon amour pour le cinéma est venu de ça. Et aujourd’hui, j’essaye de traduire cet amour pour ma famille à travers mes films.
Le 17 janvier 2008, à Bridgeport, une adolescente est retrouvée pendue dans sa chambre. Dix ans plus tard, la cinéaste Miryam Charles revient sur le drame qui la touche intimement, puisque la victime est sa cousine. Avec sensibilité et poésie, mêlant documentaire et fiction en 16 mm, Cette maison redessine les contours mêmes de ce qu’est une œuvre pour mieux s’interroger sur les questions du deuil, de l’identité et de la mémoire.
Nous avons rencontré Miryam Charles

Pouvez-vous nous parler de ce désir que vous avez eu d’inventer une forme de cinéma qui flirte avec le documentaire, la fiction, le cinéma expérimental, qui joue des temporalités…
Miryam Charles : À la base, je crois que c’est lié à la façon dont je réfléchis et vois le monde. En fait, le film est très proche de qui je suis en tant que personne. Disons que ma famille n’a pas été surprise par la forme du film (rires). Je suis comme ça, je réfléchis beaucoup, je tourne beaucoup autour des mêmes thèmes, je ne suis pas quelqu’un qui confronte. Oui, le film parle de mort, de meurtre, mais il reste une distance.
Quand j’étais jeune, mon père détestait nous lire des livres, mais il inventait ses propres histoires et elles étaient tout sauf linéaires! Le personnage passait du sommet d’une montagne à un bateau, et mon père n’expliquait jamais comment il s’était rendu de l’un à l’autre! Ça m’a permis de comprendre assez jeune qu’on peut vivre une expérience en écoutant une histoire sans que tout soit clair.
En ce moment, j’essaye d’écrire un deuxième projet de fiction, et même si j’adore le cinéma plus traditionnel et que je comprends comment ça fonctionne, j’ai un peu de difficultés à repiquer ça, c’est presque contre-intuitif (rires). Mais je l’assume, je n’ai pas honte de la façon dont mon cerveau fonctionne!

Dans une entrevue, vous dites que vous n’auriez pas trouvé courageux de faire un documentaire plus classique sur ce sujet.
M.C. : Oui, je suis un peu intense avec le courage!
À chaque projet, je cherche mon courage, j’essaye d’être plus courageuse, parce que j’ai l’impression que, dans la vie, je ne le suis pas assez.
Dans la vie, j’ai plutôt tendance à rester dans mon coin! Aborder le documentaire de façon plus traditionnelle – et je ne dis pas que pour ceux et celles qui le font, c’est facile – sur un sujet aussi proche de moi aurait peut-être été moins confrontant. Je suis plus allée vers les extrêmes. Au début, j’ai hésité, par timidité, à travailler avec des comédiens et comédiennes. J’essayais de réduire l’équipe au maximum! J’étais gênée. J’ai un peu peur de parler en public, et réaliser un film, c’est être sur un plateau, donner des directives… Mais je l’ai fait et ça m’a permis de sortir de ma zone de confort, et j’ai fini par l’apprécier.

Êtes-vous d’accord avec l’idée que Cette maison est un film de résistance : aux genres, oui, mais aussi à la violence du monde?
M.C. : Je pense que oui.
Quand j’ai commencé à travailler sur le projet, je disais autour que je préparais un film sur le meurtre de ma cousine, et automatiquement, on me répondait : « Ah, tu fais un true crime! »
Je ne juge pas le genre; moi-même, quand ma cousine est décédée, j’étais obsédée par les true crime en me disant que j’allais comprendre comment un être humain peut en arriver à enlever la vie d’un autre. Mais dans les true crime, on passe beaucoup de temps avec les meurtriers et du côté de la violence. Quand ma cousine est décédée, ma famille et moi étions aussi du côté de la violence, au point où sa vie a presque été mise de côté. J’ai essayé, avec ce film, de ramener l’amour, l’espoir, de me concentrer sur cela pour que ce qui pourrait rester avec nous ne relève pas seulement de la violence de ce qui lui est arrivé.

Vous montrez les résultats du référendum de 1995, dans votre famille. Or, le cinéma nous a beaucoup montré le oui déçu
, mais jamais, ou presque, le non victorieux
…
M.C. : Dans ma famille ou celle de mes amis à l’école, ça a été ça! Quand je l’ai écrit, je n’ai pas pensé à cela.
Mais quand j’ai envoyé le scénario à mon producteur, Félix Dufour-Lapperière, un indépendantiste convaincu, je me suis posé la question! Mais il m’a dit que ça l’avait fasciné, car il n’avait jamais été exposé à ce côté-là de la médaille.
Je me souviens aussi que quand j’ai fait des visionnements tests, une de mes amies, qui vient du Bénin, m’a dit : « Oh, mais chez moi aussi, ça a été la fête! » Ça m’a un peu apaisée de me dire que ce n’était pas que dans ma famille, même si je sais que ça reste un point de vue très particulier d’une famille immigrante, arrivée au Canada à la fin des années 70 sans nécessairement bien connaître les enjeux du Québec. Je suis contente, cela dit, que ce soit représenté, car en effet, on ne l’a pas vu souvent.

La femme noire a longtemps été la grande oubliée du cinéma, ici et ailleurs. On sent une volonté plus grande de faire une place à la diversité. Mais diriez-vous qu’on s’approche d’un équilibre?
M.C. : J’ai quand même l’impression qu’on est loin du compte, sans nier les efforts qui sont faits. Il y a encore tellement d’histoires qui n’ont pas été racontées d’un point de vue différent.
Je crois qu’on peut compter sur les doigts d’une main les longs métrages de fiction réalisés par des femmes noires et sortis au Québec, par exemple. Or, le talent est là.
Je ne suis pas encore tout à fait en paix avec les choses comme elles sont. Je sais qu’il y a de l’avancement, mais je pense aussi qu’on est en retard et que c’est important de le reconnaître pour ne pas s’asseoir sur les quelques initiatives qui existent.
Cette maison, en salle à compter du 10 février.
La bande-annonce (source :YouTube)

Compléments
