Rodéo : itinéraire d’un père perdu

Un père, sa fille, un camion… Le premier film de Joëlle Desjardins Paquette prend l’affiche le 3 février.
Dans Rodéo, primé au dernier Festival de Whistler, on accompagne Serge Jr sur un chemin complexe. Celui où, après une séparation, il cherche à se rapprocher de sa fille de 9 ans en l’amenant, dans son camion, vers le légendaire Badlands World’s Best Truck Rodeo, en Alberta. Mais même avec des étoiles dans les yeux, la fillette réalise vite que le voyage implique plus qu’un rêve bientôt réalisé…
Nous avons rencontré la réalisatrice.

Le film est en partie inspiré par votre propre expérience, non?
Joëlle Desjardins Paquette : Mon père était vendeur de camions; il travaillait pour le concessionnaire Kenworth. Il a aussi été mécanicien. Il a été dans cet univers pendant 50 ans. La toile de fond du film a été nourrie par cela, et par la séparation de mes parents, même si ça a été beaucoup plus doux. En fait, ce sont des histoires proches de moi, comme celle de mon beau-père qui a eu une relation assez compliquée avec son ex-femme, qui m’ont inspirée.
Avec ma coscénariste, Sarah Lévesque, on a aussi fait plusieurs recherches pour comprendre le conflit de loyauté chez l’enfant lors d’une séparation, ce qui nous a permis d’étoffer la situation du film de manière plus explosive!

Le monde des rodéos et des camions est plutôt masculin. Votre équipe est quasiment entièrement féminine. Y avait-il une volonté de tordre le cou à certains préjugés?
J.D.P : En fait, ça a adonné que plusieurs femmes fortes se retrouvent à des postes-clés. Et j’en suis fière. Je ne pense pas que ça teinte le film d’une couleur particulière, mais je suis très reconnaissante que plusieurs femmes se soient battues avant nous pour qu’on puisse avoir cette place-là.
Fut une époque où ces femmes que j’admire voyaient leurs films qualifiés de « films de femmes », ce qui était très péjoratif. Grâce à elles, on a pu s’affranchir de cette étiquette. Je pense par exemple à Léa Pool ou Micheline Lanctôt, qui ont lutté et ne l’ont pas eu facile, mais ont réussi à poser des balises.
Et aujourd’hui, c’est incroyable, notamment en court métrage, il y a presque plus de jeunes femmes réalisatrices que de jeunes hommes. Et elles abordent tous les sujets!

On passe une bonne partie du film sur la route, en camion. Quels ont été vos partis-pris de mise en scène?
J.D.P :
À la base, j’avais en tête ces images de rodéo où j’allais avec mon père – ma mère n’aimait pas ça. C’était des moments très précieux. Le soir, la fumée, les lumières… c’était assez magique et j’ai eu envie de réinvestir ce passé.
Je suis allée au plus gros rodéo, celui au Témiscamingue, et j’ai fait des photographies de nuit qui ont nourri cette envie d’un parti-pris visuel très festif. C’est pour ça que le film commence par ces images, un moment d’apothéose qui lie le père et la fille. Et pour la suite, c’était important pour moi qu’on reste dans leur bulle, hyper proche d’eux. J’aime l’infiniment petit, les petits silences, le petit temps et les moments où on respire, où on peut décanter et dont l’émotion peut être accentuée par les paysages, au lieu d’être étouffée par un genre de huis clos : il fallait trouver cet équilibre. C’était clair pour moi que je ne voulais pas de plans moyens, seulement des gros plans ou des plans d’ensemble.

Pourquoi avez-vous choisi Maxime Le Flaguais et Lilou Roy-Lanouette?
J.D.P : Le crédit va à Tania Arana, notre directrice de casting, qui avait fait celui du film Mignonnes et qui mixe casting sauvage et d’agences. J’aimais beaucoup cette approche et on a choisi des vrais camionneurs et des enfants qui n’avaient pas d’expérience, par exemple. Pour Serge Jr, elle m’avait fait une liste de comédiens québécois. Je n’avais pas pensé du tout à Maxime au départ, mais dans son audition vidéo – on était en pandémie! –, il m’a fait une proposition nuancée, qui s’éloignait des clichés, avec une telle intelligence dans le regard que j’ai compris que c’était ce que je cherchais. Le film n’est pas très verbeux, et j’avais besoin de toutes ces nuances. Quant à Lilou, je l’avais en tête quand j’écrivais. J’espérais qu’elle ne vieillirait pas trop vite (rires). Je l’ai vue dans Jouliks, de Mariloup Wolfe; elle était toute petite. Elle a une telle justesse! Et elle est assez proche du personnage de Lily, sportive, un peu tomboy, hyper vive, sensible et dure en même temps.
En fait, je cherchais une Charlotte Laurier dans Les bons débarras, qui pour moi est une performance de référence. Et Lilou correspondait à cela.

C’est votre premier long métrage. Qu’est-ce que cette expérience vous a appris?
J.D.P : Ça m’a beaucoup poussée à remettre en question mon envie d’en faire un deuxième! Après le tournage, la réponse était non, en toute transparence. C’est difficile, beaucoup de pression. Tous les départements font des miracles avec les budgets qu’on a.
Je suis tellement fière de notre cinéma québécois. On arrive à des choses incroyables avec si peu, comparé à nos voisins du Sud, et en étant souvent plus intéressants. Mais ça épuise.
Par contre, la postproduction a vraiment posé un baume sur tout cela. C’est comme un enfant, en fait. Le postaccouchement nous réconcilie avec l’expérience! Donc, oui, je pense qu’il y en aura un deuxième (rires)!
Rodéo, à voir en salle le 3 février
La bande-annonce (source : YouTube)

Compléments:
