Mistral spatial : une peine d’amour et des extra-terrestres

Marc-Antoine Lemire signe un premier long métrage dont les moyens limités n’empêchent pas les ambitions.
En 2017, son court métrage Pre-drink faisait sensation sur la planète cinéma, remportant notamment le prix du meilleur court canadien au Festival international du film de Toronto (TIFF). Mais bien loin de répéter une recette, le jeune réalisateur Marc-Antoine Lemire rebrasse les cartes pour son premier long métrage en s’aventurant sur les traces d’un jeune homme joueur de thérémine, bouleversé par sa rupture… ou par les perturbations physiques qu’il ressent après une possible visite des extra-terrestres!
Nous l’avons rencontré.

Comment est née l’histoire de Mistral spatial?
Marc-Antoine Lemire : Après Pre-drink, ça a pris du temps avant que je sache quel serait le prochain projet. J’ai écrit beaucoup de scénarios qui racontaient des histoires que je trouvais ordinaires ou déjà vues et qui n’apporteraient rien dans la masse immense de contenus qui existent déjà.
Je ne voulais pas non plus faire mon court en long métrage; je voulais aller complètement ailleurs, me renouveler, tout en restant proche de moi. J’aime aller là où on ne m’attend pas et j’avais envie de créer un objet libre, sans compromis.
Mistral spatial est un film sur la quête de l’insaisissable, sur l’abandon de soi, le laisser-aller. C’est ce qui m’intéressait avec les extra-terrestres aussi : le mystère, le côté inexplicable. Je suis assez cérébral, je cherche tout le temps des réponses, mais parfois, force est d’admettre que devant certaines choses, il faut juste se laisser guider par le moment, sans chercher à tout comprendre. C’est peut-être la meilleure façon d’évoluer.

Dans votre dossier de presse, vous dites que le titre est venu en fin de projet. Au-delà de l’allitération, qu’est-ce qu’il représente pour vous?
M.-A.L. : Je savais que je ne voulais pas tout tourner d’un coup, qu’il allait y avoir du montage entre les blocs; je voulais aborder cela comme une œuvre en mouvement, voir comment elle allait se développer au fil du temps. J’avais un titre temporaire assez pourri, Windy, mais j’aimais cette évocation du vent, de quelque chose qui passe, insaisissable. Quand est venu le temps de trouver le vrai titre, cette idée de quelque chose de vaporeux m’est restée.
Je trouvais le mot
mistralexcessivement laid, mais en l’accolant à spatial, ça s’est mis à faire du sens : c’est un titre un peu niaiseux, un peu sérieux, dont on ne sait pas s’il est volontaire ou non.
Et ça correspond à l’idée de faire un film qui danse un peu entre : est-ce que tout est voulu, est-ce que c’est niaiseux, est-ce que j’ai le droit de rire…? Le titre porte un peu le désir qu’on avait de légèreté et d’autodérision.

Les partis pris esthétiques avec trois actes identifiés et stylistiquement différents sont très nets. Pouvez-vous nous en parler?
M.-A.L. :
Le cinéma qui m’intéresse est souvent celui qui sait utiliser tous les éléments du langage cinématographique – images, sons… – pour se tenir au plus près des émotions du personnage. Et mon objectif est le même : faire vivre ces émotions au public.
L’acte I est en 4:3 parce que je voulais présenter le film comme l’espèce de drame de cuisine conventionnel, et aussi qu’on sente l’enfermement du personnage, puis sa quête vers plus de réponses; c’est la phase du drame. À l’acte II, qui est en noir et blanc, le personnage devient convaincu de la présence d’extra-terrestres et le vit comme une menace, comme en général ce qui est inconnu est perçu. Le noir et blanc, qui transmet cette idée d’un personnage qui fait de l’insomnie, où tout lui semble plus flou, permettait aussi de fabriquer des images que la couleur ne permettait pas; en tout cas, pas avec notre budget de 200 000 $! Et enfin, dans l’acte III, les choses s’ouvrent, et on se lâche un peu plus!

On comprend que vous voulez vous éloigner de ce qui existe déjà, mais avez-vous tout de même des œuvres phares, des influences?
M.-A.L. :
Les œuvres édulcorées, tièdes, ne m’intéressent pas. J’aime mieux aller au cinéma et détester profondément une proposition que de voir un film aussi vite oublié, et j’ai envie de tendre vers ça : des propositions plus radicales, qui expérimentent, vont loin.
Après, mes inspirations sont assez variées : j’adore Beau travail, de Claire Denis, ou Mauvais sang, de Léos Carax, dont le côté théâtral me fascine et me stimule comme spectateur. Je crois aussi beaucoup à l’accessibilité, c’est-à-dire que je pense qu’on peut être radical, mais tout de même s’adresser à du monde. Par exemple, j’aime beaucoup certaines comédies américaines des années 90, comme les films de Noah Baumbach, ou même Mean Girls (Méchantes ados), qui est hyper commercial, mais aussi d’une rare efficacité quant à son utilisation du langage du cinéma; je tends vers cette idée d’un cinéma accessible, léger. La vie est déjà assez lourde comme ça (rires).
Mistral spatial, à voir en salle à partir du 20 janvier.
La bande-annonce (source : YouTube)
