Au nord d’Albany : fuir pour mieux se retrouver

Marianne Farley présente son premier long métrage, en salle à compter du 2 décembre
Son court métrage Marguerite avait récolté une nomination aux Oscar. Le suivant, Frimas, l’avait frôlée. Et toujours, dans le travail de Marianne Farley, ces mêmes droiture et douceur mêlées pour aborder des sujets profonds, intimes (l’homosexualité, l’avortement…). Pour son passage au long avec Au nord d’Albany, c’est encore cette même honnêteté sans précipitation qui frappe dans ce regard posé sur une mère prête à tout fuir pour protéger sa fille, mais dont la route est bloquée près d’un village des Adirondacks après une panne de voiture.
Nous avons rencontré Marianne Farley.

Au nord d’Albany est né d’un de vos mauvais souvenirs… Pouvez-vous nous en dire plus?
Marianne Farley: En fait, mon frère habite aux États-Unis, au New Jersey.
Il y a huit ans, j’étais allée le visiter avec mes garçons, et en rentrant, je suis tombée en panne sur le bord de l’autoroute. J’étais un peu prise en otage, parce que ça a pris environ deux semaines avant que la voiture soit réparée. Mon ex, Claude Brie, qui a coscénarisé le film, avait dû venir me chercher!
Ce sentiment d’être seule avec mes deux enfants, la difficulté à communiquer avec des mécaniciens pas toujours sympathiques, ce côté interminable et surréaliste ont inspiré le scénario. C’était ma façon de faire la paix avec cette aventure, d’y trouver même du positif, même si bien sûr le reste du film n’a rien à voir avec mon histoire.

Le film n’a pas été tourné sur place, mais il se situe dans les Adirondacks. Pourquoi cet endroit vous inspirait-il?
M. F.:
Chaque fois que je suis sur l’autoroute 87, ou sur une route américaine dans ce coin-là, je remarque qu’il y a un téléphone à chaque kilomètre: on perd vraiment contact avec le monde extérieur, les cellulaires ne fonctionnent plus, il y a quelque chose d’anxiogène.
Pour mon personnage qui veut fuir à tout prix, ça créait un contexte intéressant. En plus, bien sûr, visuellement, c’est un endroit magnifique, en particulier à l’automne. C’est sublime!

Tous les personnages du film sont en fuite, sauf la vieille dame. Est-ce une façon de dire que l’être humain manque un peu de courage jusqu’à ce qu’il gagne en maturité?
M. F.: Ce n’était pas une décision consciente, mais oui, effectivement, ce l’est peut-être, même si cette vieille dame fuit quand même un peu dans son imaginaire!
Cela dit, je crois que les êtres humains sont bourrés de contradictions. La fuite est un thème universel, on a tous et toutes des zones de fuite : l’alcool, le travail, soi-même, les autres… Le point de départ du scénario était vraiment d’explorer ces zones et de comprendre aussi que de l’autre bord de ces fuites, il y a la solitude.
C’est souvent la conséquence. Mon travail est traversé aussi, je crois, par l’idée de rencontres, de comment le contact avec l’autre peut nous chambouler et nous forcer à faire face à nous-mêmes; je trouve ça riche et beau.

Au-delà de la fuite, le film évoque aussi la parentalité comme un lieu d’erreurs et de culpabilité…
M. F.: Absolument! C’est mon vécu!
C’est tellement complexe, être parent. On fait notre possible, mais nous aussi, on déborde de contradictions, on essaye de trouver les meilleures solutions pour nos enfants, mais on doit aussi faire face à nous-mêmes. Depuis que j’ai des enfants, je me questionne constamment!
C’est complexe et je trouve qu’on en parle peu. Il y a autant de façons d’élever des enfants que de parents sur la planète. Malheureusement, il n’y a pas de mode d’emploi [rires], ou s’il y en a un, je le cherche depuis très longtemps!

Dans la presse, Céline Bonnier, qui joue cette mère de famille investie, a parlé de votre rencontre comme d’un « coup de foudre professionnel ». Êtes-vous du même avis?
M. F.: Oh, je l’aime assez! Pour moi aussi, c’était un coup de foudre. C’est indéniablement une grande actrice en plus d’être une femme incroyablement généreuse, une leader, une force tranquille. Elle est vraiment en maîtrise de son art et tellement ouverte aux autres, à l’écoute de tout ce qui se passe sur le plateau, jamais dans l’ego.
C’est magique de travailler avec elle.

Et Zeneb Blanchet?
M. F.: Dans le scénario, le personnage de Sarah est métis. En tant que cinéaste, la diversité à l’écran est importante pour moi, mais il y avait aussi une part d’instinct à vouloir avoir une actrice de la diversité, mais sans lui faire jouer le rôle d’une minorité, et surtout à ne pas avoir un film avec uniquement des Blancs. On cherchait cependant peut-être quelqu’un d’un peu moins… magnifique. Le personnage était en surplus de poids, un peu mal dans sa peau, mais Zeneb est tellement une bonne actrice que ce côté awkward de l’adolescence était parfaitement rendu.
En audition, elle a vraiment jeté tout le monde à terre.
Compléments:
Au nord d’Albany, en salle le 2 décembre.
La bande-annonce (source : YouTube)
