Je vous salue salope : le courage au féminin

Nous avons rencontré Guylaine Maroist et Léa Clermont-Dion, réalisatrices d’un documentaire sur les violences misogynes en ligne, à voir en salle à compter du 9 septembre.
On est en campagne électorale en ce moment. J’aimerais bien que certains de nos politiciens et politiciennes voient le film. Tout le monde n’a pas l’air conscientisé à ces questions encore.
Toutes les femmes ont subi, subissent ou subiront une forme de violence. Ce n’est pas une statistique officielle, mais le fruit d’une simple observation. Aussi, depuis l’avènement des réseaux sociaux et le renforcement des idées d’extrême droite un peu partout sur la planète (« Dans l’alt right, on a cette idée forte de déclin de l’Occident et qu’il faut ramener l’ordre traditionnel des choses, donc que les femmes qui prennent leur place dans l’espace public se taisent… », précise Guylaine Maroist), ce phénomène n’aura été que plus virulent.
Insultes, menaces, moqueries… Twitter et ses petits amis débordent de ces vomissures d’esprits malades plus que souvent dirigées contre les femmes.
Guylaine Maroist (God Save Justin Trudeau, Gentilly or not to be) et Léa Clermont-Dion sont parties à la rencontre de quatre femmes – Laura Boldrini, ex-présidente du Parlement italien, Kiah Morris, politicienne démocrate au Vermont, Marion Séclin, youtubeuse française, et Laurence Gratton, jeune enseignante québécoise –, afin d’enfin donner la parole à celles qui malgré tout persistent à se tenir debout

Léa, vous aviez déjà réalisé un documentaire pour la télé (T’as juste à porter plainte). Pourquoi avez-vous destiné Je vous salue salope au grand écran?
Léa Clermont-Dion :
J’ai toujours voulu faire du cinéma documentaire. J’ai été élevée en écoutant Pierre Perrault et Michel Brault, et ça a toujours été mon rêve.
Le documentaire télé, c’est un autre traitement, qui est le fun aussi, mais j’ai toujours eu cette volonté de raconter une histoire autrement et de vivre l’expérience en salle. Là, en plus, on voulait aller jusqu’au bout, ne pas tourner les coins ronds, c’est-à-dire faire un film de grande envergure avec un financement certain et une liberté réelle, sans diffuseur qui dit quoi dire, quoi faire et quoi penser.
Guylaine Maroist : On ne voulait pas faire un film à sujet, mais plutôt permettre aux gens de vivre l’expérience de la cyberviolence en suivant des femmes. C’était notre plus grand défi d’un point de vue cinématographique. On aurait pu interviewer plein d’experts, ou les agresseurs, mais on a voulu donner la parole à ces femmes, puisque d’autres ont voulu les faire taire, en les suivant dans leur quotidien pour essayer de comprendre.

L.C.D. : Oui, et on ne voulait pas faire un dépliant informatif. On sait aussi que ce genre de sujet est banalisé, on y est insensibles. Or, comment peut-on faire pour que ces récits aient un véritable impact dans une salle de cinéma? On a décidé d’axer le tout sur ce que les protagonistes vivent : la peur, l’angoisse et l’isolement. On a voulu raconter cette histoire chorale en devant faire des choix difficiles aussi en cours de production, puisque la sécurité de certaines femmes était menacée et donc, malheureusement, elles ne sont pas dans le film.
G.M. : On a approché une cinquantaine de femmes qui étaient cyberharcelées. La recherche a été vaste, mais ce qu’on ne voyait pas au départ, c’est que l’enjeu était en fait démocratique.
J’ai bien vu, dans mes cours à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) notamment, que certaines jeunes femmes font maintenant le choix de ne pas aller en politique, de ne pas prendre la parole publique, parce qu’elles savent que c’est un prix à payer.

Est-ce que les quatre protagonistes ont hésité avant de vous confier leur histoire, et vous, avez-vous peur des répercussions?
L.C.D. : Oui. Laura Boldrini a été difficile à convaincre. J’étais convaincue qu’il fallait entendre sa voix. Son équipe était réticente, le sujet était sensible, j’ai eu de longues discussions avec ses adjoints et elle hésitait, parce qu’elle ne voulait pas se victimiser.
G.M. : Mais pour les répercussions, je crois que j’ai attrapé le syndrome Léa
. Elle a une bravoure incroyable.
L.C.D. : Je n’ai pas peur. Au début, oui, j’avais peur. C’est sûr que c’est inquiétant. On a eu de drôles de moments durant le processus, des téléphones anonymes… Et puis, être constamment dans la haine et les propos violents, c’est épeurant, mais je n’ai plus peur.
Je refuse d’avoir peur. Quand tu t’intéresses à ces sujets, bien sûr que des menaces viennent avec, mais là, ça suffit.
G.M. : Et pour saluer le courage de ces femmes qui ont accepté de participer, il faut qu’on aille jusqu’au bout. Quand je pense à Kiah Morris, qui continue à prendre la parole dans une atmosphère comme celle des États-Unis, c’est évident que nous, on ne peut pas reculer.

Ce qui est enrageant dans votre film, c’est aussi de constater le peu de solutions qui existent pour venir en aide aux femmes victimes de cyberviolences.
L.C.D. : Il faut souligner quelques avancements. La loi, adoptée à Ottawa il y a deux ans, contre les crimes haineux, c’est un pas. Le fait que Donna Zuckerberg, la sœur du patron de Facebook, le critique dans un documentaire, c’est important. Le fait qu’on occupe l’espace public pour sensibiliser les jeunes à ce discours aussi, parce qu’effectivement, la haine est partout. Je pense qu’il faut éduquer les plus jeunes générations pour y faire face. C’est la clé.
G.M. : En Allemagne, une loi pénalise les GAFAM; 50 millions d’amende pour un discours haineux. Et les commentaires haineux doivent être supprimés en 12 heures. C’est un pas. On pourrait aussi former les policiers pour qu’ils soient plus sensibles à ces questions.
Ce ne sont pas des violences banales. Je pense que le film peut aider à changer notre regard collectif là-dessus.
L.C.D. :
Puis, on va le dire, on a aussi monté un gros programme, Stop les cyberviolences, qui va être présenté dans les écoles, financé par le Secrétariat à la condition féminine.
En fait, on a créé un cours avec des situations d’apprentissage pour les élèves, au secondaire et cégep
G.M. : La campagne devrait être lancée d’ici un mois. On a beaucoup réfléchi à ces questions, on a des revendications à faire sur le plan politique aussi. Une fois que la conscientisation a été faite, les lois, ça se change.
Compléments :
Je vous salue, salope, en salle à compter du 9 septembre.
La bande-annonce (source :YouTube).
