Très belle journée : du cinéma en toute liberté

Avec un homme à vélo et un cellulaire, Patrice Laliberté signe un néo-polar, à voir en salle le 6 mai.
Dégainer son cellulaire et filmer, coûte que coûte. Voilà le projet un peu fou dans lequel s’est embarqué Patrice Laliberté, après avoir connu une expérience de tournage beaucoup plus luxueuse avec Netflix pour son film précédent : Jusqu’au déclin, axé sur un survivaliste. Cette fois, l’expérience de Très belle journée, centrée autour d’un coursier à vélo solitaire et conspirationniste (Guillaume Laurin) bouleversé par l’arrivée d’une nouvelle voisine influenceuse (Sarah-Jeanne Labrosse), est tout autre. Pourtant, les thèmes, eux, creusent le même sillon :
« Le point de départ, c’était un personnage qui pense qu’il est Néo dans La matrice. C’est un vrai syndrome : tu as l’impression que le monde autour de toi n’existe pas et que tout tourne autour de toi. Et le web fournit des niches à ces gens-là. La culture du web me nourrit énormément », précise Patrice Laliberté.
Nous avons rencontré le réalisateur.

L’idée de Très belle journée est née avant celle de Jusqu’au déclin, n’est-ce pas?
Patrice Laliberté : En fait, on était en train de finaliser Jusqu’au déclin pour le présenter à un programme de financement de micro budget avant même que Netflix embarque.
Mais en voyant plusieurs cinéastes de ma cohorte commencer à tourner, comme Pascal Plante ou surtout Vincent Biron avec Prank, je sentais un momentum, et je me suis dit qu’il fallait arrêter d’attendre et faire un film durant l’été.
En m’inspirant aussi de Tangerine, de Sean Baker, et de Steven Soderbergh, on s’est dit : Pourquoi ne pas le faire au cellulaire?
C’est une nouvelle approche, et ça permet plein de choses qu’un tournage traditionnel ne permet pas. L’envie de tourner avec un cellulaire est à l’origine du projet. Il n’y avait même pas de scénario, l’histoire a été pensée ensuite dans l’idée de mettre en valeur cette approche.

Que retenez-vous de cette expérience d’un tournage avec un téléphone cellulaire?
P.L. : J’en retiens beaucoup de liberté, de souplesse. On a pu faire beaucoup de choses avec cet outil qu’on ne peut pas faire avec une caméra traditionnelle, et vice-versa. Je retiens aussi le trip de gang, c’était très collégial. Le film s’est construit dans le geste même de le faire. On est partis d’un canevas, et tous ensemble, sur le plateau, on se lançait des idées, on avançait.
Ça me donnait l’impression de revenir à mes jeunes années de drummer dans un band punk! On cherchait l’accident!

Le personnage principal anime un balado conspirationniste. Est-ce que la pandémie a accentué cet aspect du scénario?
P.L. : C’est curieux, en fait, parce qu’on a eu l’impression que Jusqu’au déclin [sorti au début de 2020] annonçait ce qui s’en venait. Et Très belle journée a été tourné avant Jusqu’au déclin, avant la pandémie, sauf pour trois jours : mais à la base, le personnage principal espérait une pandémie pour que la moitié de la population soit décimée et que ça règle le problème de surpopulation. Il a fallu que je change beaucoup de choses. Ça aurait été de mauvais goût!
C’était très surprenant, cette forme de clairvoyance qu’on avait. Je vais faire attention à ce que j’écris maintenant (rires).

Entre ce tournage et celui pour Netflix, c’est tout un grand écart!
P.L. : J’espère le réussir.
Ma grande influence, c’est Steven Soderbergh, qui lui arrive à se promener entre les deux.
Je trouve ça intéressant, ces deux postures. Ce sont deux méthodes très différentes. Dans [une production] Netflix, l’équipe est tellement grande que tu deviens un peule premier spectateur de ton film, c’est une posture plus passive, alors que sur des projets comme Très belle journée, c’est l’inverse, c’est une posture très active. Selon les projets, je pense que ça peut cohabiter. Ce sont deux façons de faire très différentes, très amusantes. Il faut voir si on peut aussi trouver une troisième façon, un entre-deux. Mais ce sont vraiment les projets eux-mêmes qui décident de la façon dont on va les faire.

C’est un néo-noir. Au-delà de Steven Soderbergh pour la méthode, aviez-vous d’autres inspirations?
P.L. : Taxi Driver. Je le dis très ouvertement.
Le personnage de Travis Bickle, la voix off, le journal intime : on a repris ça en l’actualisant avec le podcast. Pareil pour la relation avec le personnage féminin.
Sinon, Following, le premier de Christopher Nolan, m’a aussi beaucoup inspiré. Ce sont deux œuvres qui m’ont parlé. Et puis, j’aime travailler sur le genre : ce sont des codes que tout le monde connaît. Ça devient comme un contrat entre le spectateur et le réalisateur!
Quel sera votre prochain projet?
P.L. : C’est une adaptation! Celle du roman Tout est ori, de Paul-Serge Forêt. Ça se passe sur la Côte-Nord. On est dans une transformation de genre : on commence avec une saga familiale, celle d’une famille qui exporte des fruits de mer à travers le monde, et tranquillement, un accident transforme le tout en thriller sanitaire avec une enquête, puis en science-fiction nipponne qui flirte avec la métaphysique. C’est un livre incroyable, j’ai eu un coup de cœur fou.
Très belle journée, en salle le 6 mai.
La bande-annonce (source : YouTube).
