Selfie : virtuellement vôtre

Un film à sketchs comme autant de façons de tirer à boulets rouges sur notre formidable époque.
L’obsession de la popularité et du clic, le déclin de l’écrit, l’amour virtuel, la dictature des algorithmes, l’anonymat qui permet tout… Les maux créés de toutes pièces par notre environnement de plus en plus numérique sont aussi nombreux que variés.
Et ce sont eux, frontalement, que place Selfie dans sa ligne de mire, alors même qu’il nous vient d’un temps d’avant (2018!), où Zoom et sa cohorte d’ajustements virtuels n’étaient même pas encore sur toutes les lèvres.
Bien sûr, on pourrait appliquer au film sa propre médecine. Car vouloir parler de notre merveilleux monde moderne sous la forme d’un film à sketchs piloté par cinq réalisateurs (Thomas Bidegain, Marc Fitoussi, Tristan Aurouet, Cyril Gelblat et Vianney Lebasque) fait flotter un fort parfum de testostérone manquant un tantinet de modernité… Enfin, en 2018, l’idée même d’angle mort n’était probablement pas encore à la mode.

Reste pourtant un film évidemment inégal (c’est la malédiction des films à sketchs et Selfie n’y échappe pas), mais qui manie l’humour noir comme peu se le permettent.
On rit, oui, mais les mâchoires serrées de malaise devant cette famille qui récolte gloire et argent en tenant un journal vidéo de la maladie de leur fils et qui est jalousée et imitée (« les pauvres, c’est la leucémie, ils vont galérer pour le référencement »),
cette prof à l’ancienne (comprendre qui tient à l’écrit) qui abandonne ses principes pour une amourette avec une star de YouTube, ou ces personnes invitées à un mariage, traumatisées lorsqu’une fuite de données majeure perturbe la cérémonie. On se reconnaît malgré nous, la catharsis fonctionne à plein, et le projet de Selfie de nous tendre ce miroir pas si déformant est mené avec une ironie féroce qui atteint sa cible.
D’autant que plusieurs interprètes solides ont participé à la fête du grand dézingage : Blanche Gardin, nouvelle reine de cet humour vache, Manu Payet, Elsa Zylberstein ou Finnegan Oldfield qui, tous et toutes, s’en donnent à cœur joie.
Déshumanisation, besoin vital de vraies relations, vie virtuelle qui peut faire virer la vraie en cauchemar, bêtise humaine exponentiellement décuplée : non, Selfie ne dit probablement rien de bien neuf. Mais il le dit toutes dents dehors en mordant là où ça fait mal, ce qui le rend, il faut bien le constater, assez jubilatoire.
La bande-annonce (source : YouTube)
