Le traître en trois questions

Le film, brillant et passionnant, de Marco Bellochio sort en salle le 7 février
Il était de la sélection officielle du dernier Festival de Cannes, mais en est – de façon incompréhensible – reparti bredouille. Cela ne nous empêchera pas de chaudement vous encourager à aller découvrir ce film-monument du maître italien et sa plongée à hauteur d’hommes dans l’univers mafieux. Pour mieux y pénétrer, répondons à ces trois questions :

Qu’est-ce qui, dans la Mafia, réveille l’envie et la vitalité des cinéastes vieillissants?
Après Martin Scorsese (77 ans) et son Irishman, voici donc Bellochio (81 ans) et son Traître! Deux approches – la première crépusculaire, la deuxième épique – pour mieux sonder comment une vie passée sous les tentacules de la Mafia peut, au minimum, bouleverser un compas moral. Mais surtout deux preuves assez époustouflantes que l’âge d’un cinéaste n’y fait rien quand le sujet l’inspire (et comment ne pas l’être face à un monde qui justement exige le secret et les parts d’ombre, forcément à découvrir). Mouvements de caméra souples et dynamiques, énergie, montage sans temps morts, effets de styles maîtrisés, mise en scène d’une vitalité folle : Bellochio, comme Scorsese, fait du cinéma dopé à la passion et à la générosité, même s’il est peut-être un peu long!

Peut-on faire un film de Mafia sans que l’ombre du Parrain ne plane?
Non, surtout pas dans le cas du Traître, qui débute à Palerme, alors que la guerre de l’héroïne fait rage entre la Cosa Nostra (les anciens) et la famille Corleone, qui veut prendre le contrôle. Massacres, loyautés mises à mal, clairs-obscurs ciselés, séquence d’ouverture plantée lors d’une fête luxueuse, pendant que dans les salons, les hommes gèrent leurs affaires criminelles : Le traître baise assurément la bague du Parrain. Mais il ramène aussi ce cadre du mythe vers l’être humain, en se concentrant sur le personnage de Tommaso Buscetta (superbement joué par le charismatique Pierfrancesco Favino), en fuite puis arrêté au Brésil et de retour en Italie où il accepte, pour se protéger, de confier tous ses secrets au juge Falcone. Plus humain, plus réaliste, plus violent, peut-être, Le traître cite Le parrain, oui, mais a aussi parfaitement conscience que Gomorra (Matteo Garrone), autre chronique mafieuse marquante, mais cette fois ultra-réaliste, est depuis passé par là.

Comment parler de la Mafia au cinéma?
Si Coppola, Scorsese et Garrone se sont concentrés sur une observation fascinante de ce que le fonctionnement de cette organisation clandestine fait aux hommes, Bellochio fait un petit pas de côté pour plutôt interroger le concept même qui en sous-tend toute l’existence : la trahison. Car voilà bien ce que montre Le traître : un monde dans lequel on vendrait sa mère pour quelques dollars de plus et où la confiance est ontologiquement impossible, même au sein de cette « famille » que les traditions obligent tout de même à honorer. En le montrant, Bellochio rend alors la « traîtrise » de Buscetta passionnante. Car Le traître n’est pas que l’histoire d’un homme dont les aveux permettront l’arrestation d’au-delà de 400 mafieux, mais bien celle d’un homme qui, s’il change d’interlocuteur, ne fait au fond que ce que des années de comportement mafieux lui auront appris : trahir.
Le traître, en salle le 7 février. La bande-annonce (source : YouTube)
