Martin Laroche : Le rire, ou l’ambition de faire réfléchir

Le déstabilisant Le rire, mettant en vedette Léane Labrèche-Dor, est en salle le 31 janvier.
Il y a une femme qui survit tant bien que mal après une guerre civile au Québec. Une autre, plus âgée, ironique et érudite, mais condamnée et placée dans un CHSLD (« écrite en ayant les chroniques de Pierre Foglia en tête », note le réalisateur Martin Laroche). Ou encore une troisième, présidente et insaisissable. Mais au cœur du récit ambitieux et singulier du Rire, il y a aussi des actrices (Léane Labrèche-Dor, Micheline Lanctôt et Sylvie Drapeau) et un cinéaste, Martin Laroche qui, après Les manèges humains et Tadoussac, construit en tableaux tantôt surnaturels, tantôt troublants, toujours saisissants, une fable comme le cinéma québécois en ose peu et qui laisse toutes ses pistes d’interprétation ouvertes!
Nous l’avons rencontré.

Quelle est la genèse du Rire, un film tout de même déroutant et ambitieux?
Martin Laroche : À la base, je voulais aborder certaines problématiques : les séquelles de la guerre, le syndrome du survivant, la place du rire. Je réfléchissais au rôle du rire depuis un moment, en fait, parce qu’il me semble qu’on a toujours tendance à considérer l’humour comme moins noble que la tragédie, alors que, pour moi, la capacité de rire, c’est une des plus belles marques de l’évolution humaine.
J’ai lu le livre de Bergson, et lorsqu’il écrit que le rire est une certaine forme de distance émotive, ça me parle beaucoup. Quand on est ému par quelque chose, on n’est pas capable de rire, tandis que si on rit, on peut trouver une distance par rapport aux émotions, et parfois même une distance temporelle par rapport aux choses
Je trouvais intéressant d’aborder l’humour sous cet angle, qui implique aussi une réflexion sur l’idée de résilience. Après, quand j’avais 21 ans, j’ai perdu mon meilleur ami qui avait la fibrose kystique. Et si je n’ai pas vécu le syndrome du survivant tel quel, je me suis souvent senti coupable durant l’année qui a suivi d’être capable de continuer ma vie, de « passer à autre chose ». Enfin, j’ai aussi toujours été fasciné par les guerres : comment elles arrivent et quelles en sont les conséquences. Les expériences de psychologies sociales de Milgram, sur l’obéissance, me fascinent. Je suis donc parti de ces sujets qui m’intéressent beaucoup et je les ai mariés à mon envie d’explorer un peu plus le média.
Justement, en voyant Le rire, on peut penser au cinéma de Peter Greenaway, de Robert Lepage…
M.L. : Il y a du Lynch, aussi. Et puis je suis un fan du cinéma de Leos Carax, de Roy Andersson, même si ce n’est pas la même chose! Et Le rire est bien différent de mes deux films précédents aussi, parce que j’haïs être catégorisé. Entre Les manèges humains et Tadoussac, j’avais écrit une comédie noire qui demandait un certain budget, mais la SODEC l’a refusée trois fois et je l’ai mise dans un tiroir.
C’était mon désir de changer un peu, mais comme ça n’a pas fonctionné, j’ai fait de suite deux films hyperréalistes qui traitent de problématiques féminines. Je les aime beaucoup, tous les deux, mais je n’avais pas le goût de devenir « le cinéaste qui fait des films hyperréalistes avec des budgets de marde »! (rires)
J’avais le goût d’explorer. Et c’est niaiseux, mais dans Le rire, c’était quasiment la première fois que je sortais un trépied. Avant, c’était presque tout le temps à l’épaule! J’avais le goût de briser un peu les restrictions formelles, de m’éclater dans autre chose.

Ce qui par contre relie les trois films, ce sont les protagonistes féminines. Qu’est-ce qui vous intéresse tant chez les femmes que vous en ayez fait vos personnages principaux chaque fois?
M.L. : Le rire évoque moins la condition féminine que les deux autres (qui parlaient d’excision et de maternité). Mais c’est une réflexion que j’ai depuis un moment : pendant longtemps – même si ça change –, je n’ai pas aimé la représentation des femmes au cinéma. Souvent, le gars est au centre, montré dans toute sa complexité, et la femme, qui se définit par rapport à lui, est en périphérie. Ça m’énerve. Le cinéma, c’est censé représenter le réel! J’avais le goût de déconstruire un peu ça – par exemple, les trois ont été victimes de quelque chose, mais n’agissent jamais en victimes – et aussi de parler de problématiques qui m’interpellent, même si elles ne me concernent pas directement. Et je dois dire que les trois personnages féminins de mes films sont très proches de moi, je réagirais probablement comme elles si quelque chose de similaire m’arrivait!

Si Le rire s’interroge sur comment on survit après la guerre, il interroge aussi l’idée même de rire comme solution. Est-ce que vous y croyez, que le rire peut nous sauver, ou au moins nous aider à traverser l’époque si agitée et anxiogène?
M. L. : Évidemment, si quelqu’un se fait tirer à côté de nous, on ne sera pas capable de rire. Mais après, avoir une certaine forme de distance, trouver une façon de rire malgré tout, je trouve qu’il y a quelque chose de beau là-dedans. Si je pense à Charlie Hebdo, ou même à Gandhi qui utilisait beaucoup l’humour, pendant ses manifestations contre l’Angleterre… Le point commun entre tous les extrémistes, c’est qu’ils sont incapables de rire. Donc, oui, être capable de rire, ça a un côté assez salutaire, je crois.
Le rire, de Martin Laroche, en salle le 31 janvier. La bande-annonce (source : YouTube)
