Réservoir : le cinéma-thérapie selon Kim St-Pierre

Le premier film de la jeune réalisatrice prend l'affiche le 6 décembre.
L’un est musicien (Jean-Simon Leduc), l’autre militaire (Maxime Dumontier). Inutile de préciser que leurs liens ne sont pas si forts… Mais la mort soudaine de leur père les rapprochera alors qu’ils décident d’aller disperser ses cendres près du chalet de la famille, situé sur les berges du réservoir Gouin; un chalet dont ils ne connaissent pas l’emplacement exact. Un huis clos à ciel ouvert et sur l’eau : voilà le cadre qu’a choisi Kim St-Pierre pour plonger dans les eaux de son premier long métrage.
Nous l’avons rencontrée.

C’est votre premier long métrage. Comment son récit s’est-il imposé à vous? Quelle en est sa genèse?
Kim St-Pierre : D’une part, il y a eu la prise de conscience que je ne pouvais pas avoir accès aux subventions de financement régulières, parce que mes courts métrages n’ont pas gagné de prix dans des festivals renommés. Donc je pouvais soit autofinancer mon premier long – ce que je ne pouvais pas me permettre –, soit passer par le Fonds des talents et les microbudgets. Or, pour cela, il fallait que mon projet soit le plus simple possible! D’autre part, j’avais l’impression, à ce moment de ma vie, que le travail introspectif était essentiel dans ma vie, que le cinéma était même futile, parce que je vivais plusieurs deuils : l’idée de la famille nucléaire; la fin d’une relation de sept ans; la perte de mon chien, que j’avais depuis 18 ans; une restructuration qui m’a fait perdre un emploi alimentaire, mais que j’aimais bien… C’était beaucoup à vivre en même temps, et je n’avais pas vraiment d’espace où le faire. À un moment, j’ai commencé à me questionner : est-ce que je peux tirer de tout cela une thématique assez porteuse? J’ai pensé que oui, mais je n’avais ni personnage ni histoire. C’est là que j’ai pensé au bateau-maison, que le père de mes enfants avait utilisé avec son frère sur le réservoir Gouin. Avec ce lieu, ce qui m’habitait et ce dont j’avais envie de parler, quelque chose s’est mis à être possible.

Le réservoir Gouin est inédit au cinéma. Qu’avait-il de cinématographique à vos yeux?
K.S.-P. : On connaît nos grands espaces au Québec, mais celui-là a été manipulé par l’homme. À l’époque où on faisait beaucoup de coupes de bois et où on voulait faire naviguer les pitounes, on a détourné des rivières pour faire un énorme bassin. Ça a inondé énormément de terres, et on trouve encore des arbres morts à travers l’eau. C’est très sinueux, et comme c’étaient des rivières, il y a toujours du courant. Et sur cette surface, chaque fois qu’on pense s’approcher de quelque chose, on réalise que finalement, la berge n’est jamais aussi proche que l’on pensait. C’est très labyrinthique!
Aller mettre deux âmes un peu perdues, à la dérive, dans cet environnement plus grand qu’elles, ne me laissait plus beaucoup de travail à faire : l’image était puissante en elle-même.
Vous êtes une femme et vous avez décidé d’évoquer la fragilité masculine. Comment l’avez-vous abordée?
K.S.-P. : Je suis maman de deux garçons; ma coscénariste [Isabelle Pruneau-Brunet] aussi. On s’est bien sûr inspirées de cela. Mais je crois qu’inconsciemment, on voulait aussi parler de cette révolution émotive que vivent les hommes en ce moment. Ils ont beaucoup été ébranlés par le mouvement #MeToo, ils s’observent comme jamais. Ça se voit même dans l’accompagnement donné aux jeunes garçons en ce moment; à l’école, par exemple, où on leur apprend à mieux identifier et exprimer leurs émotions. On a voulu montrer des gens de notre âge qui sont des modèles positifs. Oui, parfois, ils sont maladroits ou insécures en exprimant leur vulnérabilité, mais ça amène toujours du bien de se montrer vulnérable en bout de ligne.
On a écrit très spontanément sur ces hommes, en pensant à nos garçons, mais aussi en espérant que si des hommes les voient, ils puissent comprendre que ça libère, d’être capable de parler ainsi.
Évidemment, on s’est posé la question : en tant que femmes, comment cela se fait-il que notre récit n’ait pas de personnages féminins? On a essayé d’en écrire, d’en ajouter, mais on a réalisé que ça ne fonctionnait pas, tout en comprenant que ça ne rendait pas notre film moins féminin. La sensibilité, le regard tendre et maternel sur eux sont là. Je pense que c’est inspirant.

Dans votre dossier de presse, vous évoquez le vide spirituel de votre génération…
K.S.-P. : Oh oui! Au Québec, il y a eu de l’abus au niveau de la religion, et le rejet a été complet. Je comprends pourquoi. Mais ça n’a pas été remplacé. Et je pense que dans le mot « croire », il y a l’idée d’espoir. Et ça devient très futile, « égocentré » – même lourd – si on ne croit en rien, si on pense qu’il n’y a que nous et rien de plus grand. Je n’ai pas de réponse, je suis encore en réflexion… Je sais que je veux croire, mais je ne sais pas en quoi. J’aime croire qu’il n’y a rien qui arrive pour rien, que les épreuves sont là pour nous faire grandir, qu’on doit les transcender et qu’on va retrouver ceux qui nous quittent, même si je ne sais pas comment.
Il y a plusieurs années, j’allais dans un festival en avion, et on a failli s’écraser. Au moment où c’est arrivé, j’ai essayé de prier. Mais je ne connaissais pas les prières, et ça m’a fâchée. Je voulais faire appel à quelque chose de plus grand, mais je ne l’avais pas. C’est là que j’ai réalisé ce vide.
On n’a pas d’éducation religieuse, spirituelle. Ça pleut de partout et on n’a pas de guide; on ne sait même pas par où commencer. Y a un genre de malaise spirituel, et la noirceur que j’ai vécue dans les dernières années me l’a fait ressentir.
Réservoir, en salle dès le 6 décembre. La bande-annonce (source : YouTube)
