Menteur, d’Émile Gaudreault : l’entrevue-vérité

Menteur sort en salle le 10 juillet. Nous avons rencontré son réalisateur, Émile Gaudreault, et deux de ses acteurs, Catherine Chabot et Antoine Bertrand.
Elle joue une jeune traductrice du russe au français. Lui, un président de syndicat droit et honnête, sur le point de voir sa vie transformée. Ensemble, Catherine Chabot et Antoine Bertrand sont les deux pôles autour desquels va graviter Simon, un menteur compulsif (joué par Louis-José Houde). Le tout sous l’œil aussi aiguisé qu’expérimenté d’Émile Gaudreault, réalisateur de quelques-uns des plus gros succès de l’histoire de la comédie québécoise, dont De père en flic. Qu’on se le tienne pour dit.
Comment est née l’histoire de Menteur?
Émile Gaudreault : J’ai un ami qui est menteur compulsif et qui utilisait souvent, devant moi, son fils comme excuse, en prétextant qu’il était malade. Et au bout d’un moment, je me souviens d’avoir pensé qu’à force de le prétendre, il allait finir par le rendre vraiment malade. Et j’ai aussi cru que ça ferait un très bon sujet de comédie : quelqu’un qui ment tellement que ça devient vrai. Ça a germé en 2014, avant l’ère de Trump!
Antoine Bertrand : Mais j’ai une question : comment on fait pour être ami avec un menteur compulsif?
É. G. : Ils peuvent avoir beaucoup d’autres qualités…
Catherine Chabot : Et puis ces gens-là, souvent, ils ne se rendent même plus compte qu’ils mentent, qu’ils fabulent.
A. B. : C’est comme George Costanza dans Seinfeld qui disait : « It’s not a lie if you believe it! » C’est le meilleur conseil pour un menteur (rires) : si toi tu le crois, c’est vrai!
C. C. : Mentir, c’est aussi un mécanisme de survie qui se développe tôt, qui aide à s’adapter, à l’école par exemple.
Finalement, le mensonge, c’est notre meilleur ami!
Et en tant que créateur, pourquoi le mensonge fait-il un bon sujet de comédie?
É. G. : D’abord, cette histoire n’avait jamais été racontée : celle d’un menteur compulsif qui, après un mensonge de trop, voit tous ceux qu’il a dits devenir réalité. Il y avait donc plein de possibilités vierges, ce qui est merveilleux pour de la comédie. Parce que la comédie, c’est surprendre.
A. B. : J’ai un ami qui a une théorie à laquelle j’adhère :
chaque fois qu’on rit, il y a un mensonge derrière
Des fois, il n’est pas évident, mais si on gratte un peu, il est toujours là. Un des coups gagnants en comédie, c’est vraiment le mensonge. Le sarcasme, l’ironie, c’est du mensonge!
C. C. : Mais la vérité peut aussi se rapprocher du mensonge. La façon dont on la raconte la transforme en fiction, en mensonge puisqu’on la restructure.
A. B. : Et puis dans le film, ce qu’on apprend, c’est qu’au fond, tout le monde ment un peu, que ce soit pour s’aider, aider les autres ou se sauver. Personne n’est blanc comme neige et c’est ce qui est fort. La vérité, finalement, on ne la veut peut-être pas tant que ça.
É. G. : Il y a une quête d’authenticité, mais ce qu’on dit aussi, c’est que tout le monde n’est pas prêt à la prendre. J’aime beaucoup la trame du personnage d’Antoine : c’est le défenseur absolu de l’honnêteté, il a construit sa vie là-dessus et il va devoir affronter ce trop-plein de vérité. À force de travailler sur le scénario du film, on a pu atteindre, je crois, une certaine complexité. Les mensonges nous amenaient en réalité vers la vérité.
Et l’humour amené par votre personnage, Antoine Bertrand, ajoute encore une autre dimension : celle de l’humour physique qui, peut-être, est le seul humour que l’on ne peut pas faire mentir.
É. G. : C’est vrai et c’est épouvantable, parce que c’est le plus dur à réussir. Durant une journée entière, on a testé avec une doublure tout ce qui était physique : quoi et comment lui faire tomber quelque chose sur la tête. Je le jure, on a passé deux heures à lui lancer toutes sortes d’aliments pour savoir ce qui était drôle ou non, et à quelle vitesse il fallait le faire! C’est très angoissant, et il faut le faire en amont parce qu’une fois sur le plateau, on n’a pas le temps.
A. B. : Merci à ma doublure d’ailleurs. Parce que moi, si on me lance quelque chose dans la face, je vais le manger (rires). Mais pour de vrai, quand ces gags-là fonctionnent, ils provoquent le rire le plus primitif chez les gens, et aussi le plus beau. C’est le principe énoncé par Chris Farley : « Fatty falls down. »
Catherine Chabot, vous êtes actrice, dramaturge, mais c’est votre premier rôle au cinéma. Avec, en plus, la crème de la comédie québécoise!
Pour le personnage de Chloé, j’ai vu 40 filles en audition. C’était très difficile parce que ça prenait quelqu’un qui avait du charme, dont le personnage principal pouvait tomber amoureux, mais avec aussi de la « torque », qui pouvait faire rire, et qui avait un charisme absolu. Parce que je savais qu’elle serait avec Antoine Bertrand et Louis-José Houde qui sont des monstres de charisme! Et le charisme, ça ne se dirige pas.
C. C. : Ouf! C’est un gros compliment. Aïe aïe aïe! Non, mais, j’étais très intimidée. Juste de savoir que j’allais passer une audition, c’était énorme. C’est les meilleurs! Mais après, il y a aussi eu un gros filet d’amour en dessous de moi. Émile m’a mise en confiance, m’a prise sous son aile. Il m’a donné cette chance et ça, ça ne se manque pas. Et puis, le rôle de Chloé est formidable. Cette fille a sa propre histoire. Je remercie les scénaristes d’avoir écrit un personnage comme elle, forte, aux multiples dimensions, avec son passé, ses enjeux émotifs, ses troubles. On en trouve rarement, des rôles pareils. C’est un cadeau de pouvoir jouer ça et j’ai vraiment eu l’impression d’une rencontre avec elle. Je l’ai senti dès la lecture du scénario, je la voyais un peu comme je suis dans la vie.
Et pour finir, parmi tous les mensonges de Simon, lequel est votre préféré?
A. B. : J’aime beaucoup : « Nous, ce qu’on fait, c’est qu’on prend la fourrure et on la remet sur les animaux. »
C. C. : Moi, c’est quand Simon dit avec ce petit air suffisant : « Moi, j’aime le jazz », comme si ça lui donnait un air distingué, qu’il appartenait à l’élite. Je trouve ça tellement drôle!
É. G. : J’aime beaucoup : « Mes parents m’ont maltraité », pour le résultat que ça donne par la suite, quand ça devient une vérité!
Menteur, d’Émile Gaudreault, en salle le 10 juillet
