La femme de mon frère : quelques questions à Monia Chokri

La réalisatrice présente son premier long métrage de fiction en salle depuis le 7 juin.
À Cannes, avec sa comédie douce-amère et décalée, centrée sur une Anne-Élisabeth Bossé au meilleur de sa forme dans un rôle de postdoctorante paumée, elle a gagné le prix Coup de cœur du jury du volet Un certain regard. À l'occasion de la sortie en salle de La femme de mon frère, nous nous sommes entretenus avec l’actrice désormais cinéaste à part entière Monia Chokri.
À Tout le monde en parle, avant de partir à Cannes, vous sembliez très émue que l’on vous nomme cinéaste. Maintenant que le film a commencé sa carrière, l’assumez-vous plus sereinement?
Oui, et je ne cache pas ma joie. En fait, depuis cette entrevue, j’ai eu le sentiment que ma parole, ce que j’ai à dire et à montrer, pouvait intéresser le public. Je le sens, à l’intérêt suscité ici et dans les médias. Les gens semblent curieux de voir mon film et ça me rend extrêmement fière. Même si Cannes, c’est une expérience formidable, ça ne reste qu’une infime partie de la vie du film. Je crois que je partage ceci avec les autres cinéastes; nous ne faisons des films que pour que le public puisse les voir.

La relation frère-sœur est rarement abordée au cinéma. Qu’est-ce qui vous a donné envie de l’ausculter dans votre premier long métrage?
Il y a deux raisons. D’abord, ce conseil souvent donné aux jeunes scénaristes : « Écrivez à propos de ce que vous connaissez! » J’ai une certaine intimité avec ce sujet, je le connais et je sentais donc que je pouvais développer un récit à partir de lui. Ensuite, il y a effectivement peu de films qui l’abordent. Je pense à Love Streams, de Cassavetes, qui est une référence, mais ils sont rares. Et quand le cinéma l’aborde, par exemple Forcier dans Embrasse-moi comme tu m’aimes ou Valérie Donzelli dans Marguerite et Julien, c’est souvent par le prisme de l’inceste. Or, je voulais parler d’une vraie relation frère-sœur, qui ne soit donc pas du tout charnelle.
On sent l’ombre de Woody Allen ou de Denys Arcand, notamment dans vos dialogues. Font-ils partie de vos références?
Husbands and Wives, de Woody Allen, a été absolument fondateur dans mon parcours de scénariste. J’aime aussi beaucoup Larry David, Tina Fey, la troupe du Splendid, Pierre Richard… C’est varié!
Quant à Denys Arcand, c’est assez amusant, parce que oui, je reconnais beaucoup de points communs. Nos personnages sont volubiles, nous parlons de milieux universitaires, mais je crois que nous abordons le tout de façon différente.
À son époque, l’université était peut-être un milieu un peu plus prospère, léger. Moi, j’évoque un monde où une postdoctorante n’arrive pas à trouver sa place ni à l’université ni dans le monde! Toutefois, je vois bien qu’on a des préoccupations connexes. Quand j’ai vu La chute de l’empire américain, j’ai été fascinée. Son film commence avec le personnage d’Alexandre Landry, également doctorant en philosophie, qui dit : « Moins tu es intelligent, plus tu es heureux ». Moi, ça commence par une doctorante en philosophie qui dit : « Plus tu es beau, moins tu as besoin de réfléchir… » Les prémisses sont vraiment les mêmes, même si notre questionnement sur le monde est différent.

L’univers visuel de La femme de mon frère est très singulier, entre direction photo rétro, choix musicaux décalés, costumes à la limite de la caricature. Comment l’avez-vous conçu?
C’est le fruit d’un vrai dialogue avec la directrice photo Josée Deshaies et le directeur artistique Éric Barbeau, excellents tous les deux, des bêtes de travail aussi obsessifs que moi (rires). Je crois vraiment que c’est Josée qui m’a aidée à être une meilleure metteuse en scène. C’est une femme qui a beaucoup de goût et d’érudition, et qui me demandait de justifier tous mes choix de réalisation. Comme elle m’impressionnait, je voulais l’impressionner à mon tour! C’est elle, par exemple, qui m’a aidée à davantage poser ma caméra, plutôt qu’à l’utiliser à l’épaule, comme dans mon court métrage Quelqu’un d’extraordinaire.
Elle [Josée Deshaies] m’a vraiment confortée dans l’idée que c’est au contact des autres qu’on devient meilleure.
Quant à Éric Barbeau et à la costumière Patricia McNeil, ils m’ont fait aller vers un univers moins réaliste que celui que j’avais en tête au départ. C’est cette dernière, en particulier, qui m’a dit, après de nombreuses discussions : « Mais en fait, tu vois la vie comme une bande dessinée ». Elle m’a donc encouragée à ajouter couleurs et fantaisie.
Avez-vous envisagé d’interpréter vous-même le personnage que joue Anne-Élisabeth Bossé?
Je n’écris jamais avec quelqu’un en tête. Les personnages préexistent, ça me permet d’être plus libre dans mon écriture. Bien sûr, j’ai écrit un alter ego, un double, mais je ne ressens aucune frustration de ne pas l’avoir joué. Je voulais vraiment m’améliorer comme réalisatrice. Puis, j’ai choisi une et des actrices que j’admire vraiment, dont l’énergie a vraiment enrichi les rôles. J’ai aussi une vraie pudeur à jouer dans un de mes films, en plus de ne pas être à l’aise avec l’idée de diriger ceux avec qui je joue. Le jeu, c’est de l’abandon, et je ne pense pas pouvoir l’atteindre en dirigeant en plus mes partenaires.

Même si cela change, les femmes qui font de la comédie restent rares. Avez-vous senti une forme de préjugé en vous aventurant sur ce terrain?
Dans ma tête, je ne m’étais jamais dit que je faisais une comédie. C’est venu après, lorsque d’autres ont étiqueté le film. Quand j’écris, je ne me questionne pas. J’ai plus l’impression d’être dans la vie, avec une cohabitation de drôle et de dramatique. Ça me contraint moins que de choisir un genre.
Mais je constate bien sûr qu’il y a un préjugé. On semble toujours étonné lorsqu’une femme est drôle, comme si elles l’étaient moins, de nature!
Déjà, pour mon court métrage, je me souviens que quelqu’un m’avait dit : « Mais tu n’as pas peur que Magalie Lépine-Blondeau soit trop belle? » C’est fascinant. J’ai bien senti, d’ailleurs, que dans les critiques en France, une petite partie était rebutée par mon film. Des hommes, hétéro, blancs… qui peut-être n’acceptaient pas que le personnage de Sophia ne soit pas dans la séduction. C’est un peu fatigant. Jean-Pierre Bacri, par exemple, a fait toute sa carrière autour de ce personnage de bougon sympathique. J’ai pris un malin plaisir à inventer un personnage de femme qui ne colle pas à ce qu’on attend, qui ne cherche pas à séduire ou à plaire. Je suis d’ailleurs surprise quand on me dit que c’est audacieux. Pour moi, c’est juste un personnage de femme normale!
La femme de mon frère, en salle depuis le 7 juin. La bande-annonce (source : YouTube)
