Attention, événement : Au clair de la lune a 35 ans

Le film mythique d'André Forcier est diffusé vendredi à 23 h 05 sur ICI Radio-Canada Télé. Nous avons demandé à 10 cinéastes québécois de nous parler de ce film unique et fantastique.
« Chaque homme, même Albert, souhaite au moins une fois dans sa vie la mort de l’albinos… »
En 1983, lorsqu’il sort Au clair de la lune, André Forcier a 35 ans et il a déjà hérité du surnom de « l’enfant terrible du cinéma québécois », après les inoubliables Le retour de l’Immaculée Conception, Bar Salon ou L’eau chaude, l’eau frette. Mais avec ce récit unique, poétique, fantasque, délirant relatant les aventures inouïes d’Albert (Guy L’Écuyer), homme-sandwich, de François l’albinos, de Léopoldine, l’orpheline « héroïne qui ne prenait pas de codéine », de dragons, de maniaques, de quilleurs et de toutes sortes de créatures faisant vivre comme personne d’autre n’aurait pu l’imaginer les alentours du Moon Shine Bowling où se jouera une partie de quilles épique, il confirmait sa position de cinéaste inclassable et réfractaire à toute convention.
Au clair de la lune n’aura pas que marqué les spectateurs. Les cinéastes également. Nous avons donc demandé à 10 d’entre d’eux de nous parler de cette œuvre et de ce cinéaste phare qu’est André Forcier, qui fête cette année ses 50 ans de carrière.

Bachir Bensaddek (Montréal la blanche)
Mon premier contact avec Forcier, c'est une sirène née de la rencontre entre un onanisme épistolaire et une déception amoureuse. C'est le cinéaste des rencontres extrêmes, qui sort les désaxés, les miséreux de leurs tribulations quotidiennes, telles des pépites, pour les plonger dans le trésor de leur imaginaire. Sa vitalité créative et irrévérencieuse fait qu'à chacun de ses films, j'arbore un sourire béat, de plaisir et surtout d'admiration pour l'éternel garnement qu'il continue d'être.
Louis Bélanger (Les mauvaises herbes)
Au clair de la lune, c’est d’abord une affiche magnifique d’Yvan Adam qui pique ma curiosité dans un couloir du Cégep Limoilou. Ensuite, c’est une révélation sur le grand écran. Du cinéma québécois comme je n’en avais jamais vu. Un imaginaire débridé, un sentiment de liberté, une poésie urbaine… Je découvre qu’on peut faire des films comme ça ici!
La même claque dans la face que j’avais reçue à mon premier roman de Ducharme, mais cette fois, c’était le film d’un poète qui s’appelait André Forcier. Plus tard, étudiant en cinéma à l’université, avec Denis Chouinard, nous sommes allés dans les archives de la Cinémathèque pour consulter le scénario original du film… C’était comme des chevaliers qui tombent enfin sur le Saint Graal. Un film phare pour les cinéastes de ma génération.
Sébastien Pilote (Le démantèlement)
Au clair de la lune, je ne compte pas le nombre de fois que je l’ai vu quand j’étais étudiant en cinéma. Je connais certains dialogues par cœur. L’humanité limpide de Guy L’Écuyer, je ne crois pas l’avoir revue ensuite chez un autre acteur avec autant de clarté. Mais ce n’est pas seulement les acteurs, c’est tout le film qui a le tragique des grands clowns. Plonger dans le réalisme poétique enflammé de Forcier m’a ouvert les yeux.
Robin Aubert (Les affamés)
Au clair de la lune, c’est un poème. C’est une chanson, une toile abstraite et naïve. C’est une sculpture qui renferme à la fois l’hiver et un pays inventé qu'est l’Albinie. En fait, quand on y pense, Au clair de la lune englobe tous les canaux de l’art. C’est la naissance du surréalisme québécois. Du magique en images. Il a permis au Québec de s’ouvrir sur des histoires inventées, crues, complexes, foisonnantes d’idées, bourrues et attachantes comme son auteur.

Louise Archambault (Gabrielle)
Au clair de la lune est un trésor national. « Y’a pas d'ivresse pour réchauffer l'espace trop frette de notre détresse. » Vraiment, cette réplique m'émeut chaque fois!
La poésie fantaisiste, drôle et touchante d'André Forcier en fait un cinéaste singulier. Encore aujourd'hui, ce film résonne en nous, par son sujet, et surtout par sa grande humanité.
Mathieu Denis (Ceux qui font les révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau)
Si Forcier est un cinéaste essentiel au Québec, Au clair de la lune est un film essentiel dans sa propre filmographie. Il s’attache encore une fois ici à nous rappeler la grandeur des petits et la force cachée des faibles, en campant ses personnages dans un réel qu’il détourne avec sa poésie et avec l’affection qu’il garde pour ceux que la plupart choisissent d’oublier. Un des deux plus grands films québécois des années 80, avec Les bons débarras de Mankiewicz.
Anne Émond (Nelly)
C’était à la fin des années 80, à l’époque du cinéma d’auteur l’après-midi à Radio-Québec. L’univers de Forcier m’est rentré dedans alors que j’étais sans doute bien trop jeune pour celui-ci : les soûlons, les malfrats, les femmes à barbe, les albinos, le sexe, l’amour, la vulgarité, la tendresse, la poésie, l’irrévérence. Toutes ces scènes qui faisaient dire à mon grand frère que c’était donc « fucké » le cinéma québécois. Si c’est ça fucké, ben j’aime ça! Merci André Forcier pour votre cinéma. Merci aussi pour vos précieux encouragements, il y a quelques années déjà.

Myriam Verreault (À l’ouest de Pluton)
J’ai vu Au clair de la lune pour la première fois dans un cours d’université qui s’intitulait « Cinéastes de la démesure ». Il est devenu le film fétiche de mes études en cinéma. Ce film est beau, il fait rire, il est irrévérencieux sans être vulgaire, il touche à l’universel en étant complètement ancré dans sa québécitude. Il était le seul film québécois dans le corpus de ce cours aux côtés des Buñuel, Lynch, Fellini et Raoul Ruiz. Ce film de Forcier, comme tous ses autres, avait totalement sa place dans cette liste d’œuvres libres construites comme des rêves éveillés. J’aime tout d’Au clair de la lune : la performance du duo d’acteurs, les décors expressionnistes, les dialogues poétiques et humoristiques, et cette liberté créatrice enivrante qui traverse toute la filmographie d’André Forcier.
Francis Leclerc (Pieds nus dans l’aube)
Quand j’ai vu Kalamazoo, j’avais 17 ans. Je n’y ai pas compris grand-chose, mais je venais de découvrir un monde parallèle qui me fascinait. Ça m’a donné envie de tout voir Forcier. Il y avait là tout un Québec que je ne connaissais pas. Le Moonshine Bowling venait de s’ouvrir à moi, et j’ai eu envie d’y rentrer par la grande porte.
Stéphane Lafleur (Tu dors, Nicole)
Ce que j’aime chez Forcier, c’est comment chacun de ses films vient étendre la cartographie de son propre continent. Chez lui, le réel roule sur les caps de roues. Le cinéma comme outil de rêve, de magie et d’amour.
Au clair de la lune sera diffusé sur ICI Radio-Canada Télé vendredi 2 mars, à 23 h 05. Un extrait du film (source : YouTube)
