La série Lakay nou : la diversité devant et derrière la caméra

Frédéric Pierre est en pleine création de Lakay nou, une comédie mettant en vedette trois générations d’une famille d’origine haïtienne installée au Québec. Dans le dossier de la diversité à l’écran, il prend les choses en main. Avec Lakay nou, il pousse même la diversité de l’autre côté de la caméra. Sa compagnie de production, Jumelage, s’attelle à cette tâche qui demande créativité et volonté de sortir des sentiers battus.
Un texte de Lisa Marie Noël
L’idée de faire une série autour d’une famille haïtienne au Québec, ça doit faire au moins 20 ans que je l’ai dans la tête.
Frédéric Pierre a collaboré au Bye bye en 2020. La production avait pris les moyens pour provoquer la diversité dans les équipes de création. C’est dans cet élan qu’il a senti que le moment était bien choisi pour concrétiser ce projet qui mise sur la diversité.
Frédéric Pierre est idéateur, auteur et producteur de Lakay nou (prononcez lakaille
), qui signifie notre maison
en créole.
Synopsis : Myrlande (Catherine Souffront) et Henri (Frédéric Pierre), un couple québécois d’origine haïtienne, vivent coincés entre deux générations. D’un côté, celle de leurs trois enfants de 10 à 20 ans, fruits de la culture québécoise; et de l’autre, celle de leurs parents, plus traditionnels et attachés à leurs racines.

Ils réalisent qu’ils ont vécu toute leur vie soit pour leurs parents, soit pour leurs enfants. C’est une réalité dans laquelle les gens vont se reconnaître, mais on la sert à la sauce haïtienne
, raconte-t-il.
Avec cette série, Frédéric Pierre souhaite d’abord faire rire et amuser le public. Il veut également contrebalancer l’image des communautés noires dans l’imaginaire collectif.
J’ai envie qu’on parle de nos communautés en s’amusant. Je trouve ça sain et je trouve que ça manque pour trouver un équilibre. On parle toujours de nos malheurs comme la pauvreté et la criminalité dans certains quartiers. C’est important de contrebalancer
, dit-il.
Provoquer la diversité à l’écran
Frédéric Pierre n’attend pas que les choses arrivent. Il les provoque. Il a débordé de l’habituel cadre des agences pour tenir une audition grand public. Particulièrement pour les personnages de la génération des 60 et 70 ans d’origine haïtienne, il y a peu de candidatures dans les agences.
On a demandé à la population en général dans les communautés pour essayer de trouver des gens qui n’ont peut-être jamais fait ça. Quand on va en casting sauvage, c’est qu’on a envie de trouver des perles insoupçonnées.
Cette façon de faire a porté ses fruits.
Accélérer la professionnalisation
Maintenant producteur, il sent qu’il a le pouvoir d’accélérer le processus de diversification derrière la caméra.
Avec les productions Jumelage, que j’ai fondées, ma volonté est de transformer l’industrie derrière la caméra. Ça prend des gens dans les postes-clés de production, de réalisation, des postes derrière la caméra… L’ajout de personnes noires est vraiment crucial sur le plateau et dans l’équipe de production.
Son plan est de créer des jumelages avec des gens aguerris dans les différents corps de métier pour accélérer le processus d’apprentissage. Par exemple, Angelo Cadet avait déjà fait de la direction artistique pour quelques projets, et il souhaitait développer cet aspect professionnel. Il a été jumelé avec Christian Légaré, un directeur artistique aguerri dans les fictions pour la télévision.

Ça demande aussi une magnifique coopération des mentors qui prendront des gens sous leur aile. Ils vont donner peut-être 25 % de plus de temps pour aider les mentorés à apprendre le métier.
L’évolution de l’industrie
Frédéric Pierre est présent au petit écran depuis les années 1990 (Zap, Tag, Cover Girl, Virginie, Les magnifiques). Il le dit et le répète, il n’a pas à se plaindre. À ses débuts, il sentait que les productions avaient une réelle préoccupation de représenter la diversité dans les différentes émissions.
Il y a eu une période, après, où l’on s’est endormi un peu dans l’industrie. On a oublié que c’était important, la représentativité
, souligne-t-il. Un exemple de ce manque de vigilance est l’histoire de la série Le 7e round, dont il a souvent parlé. Dans les années 2000, Frédéric Pierre avait exprimé son mécontentement.
C’était la chose à faire. J’avais soulevé un drapeau à la production. Attention gang, vous êtes en train d’écrire une série sur la boxe à Montréal et votre seul personnage noir est un dealer de drogue? Faites attention! Ce n’était clairement pas des gens mal intentionnés. Je les connais, je les côtoie et je les aime. C’était juste un très bon exemple montrant qu’on s’était endormi dans l’industrie et qu’on avait oublié que c’était important.
La production a apprécié sa franchise et a reconnu avoir erré sur ce point.
Frédéric Pierre fait tout pour que cette vigilance ne s’estompe pas. Il commence avec Lakay nou. Il espère voir d’autres de ses projets aboutir en formant une industrie plus diversifiée.
C’est du travail en plus qu’on ajoute. C’est une complication de plus, mais qui vaut la peine, selon moi. Et c’est le but de ma compagnie. C’est ce que je veux faire.

Lakay nou, sur ICI Télé en 2023-2024
Idée originale : Frédéric Pierre
Textes : Frédéric Pierre, Catherine Souffront, Angelo Cadet, Marie-Hélène Lebeau-Taschereau
Réalisation : Ricardo Trogi
Stagiaire d’observation au département de réalisation : Anderson Jean
Compléments :
- Article | Lakay nou : la communauté haïtienne du Québec mise de l’avant dans une fiction d’humour
- Les enfants de la télé | Les débuts de Frédéric Pierre
- Récit numérique | Diversité à l’écran : le plafond de verre des rôles vedettes | Radio-Canada.ca
