Parler de la mort en famille : comment faire?

« J’ai attendu la mort de mon père pendant la moitié de ma vie. Je sais très bien ce qui se passe dans la tête des enfants qui vivent avec la maladie incurable d’un parent, mais ce que j’ignore encore, c’est ce qui repose sur les épaules de celles et ceux qui doivent préparer leur départ. » – Rose-Aimée Automne T. Morin, idéatrice et productrice au contenu
Rose-Aimée Automne T. Morin a grandi dans ce climat délicat. Elle parle de l’accompagnement et de la mort de son père dans un essai, Ton absence m’appartient, qui lui a inspiré un roman, Il préférait les brûler.
Le deuil en héritage, samedi 8 avril 2023 à 22 h 30 sur ICI Télé
Alors qu’on a une tendance en Occident à cacher la mort, à éviter d’en parler, Rose-Aimée Automne T. Morin est allée à la rencontre de parents qui se préparent à mourir. Comment se sentent-ils? En ont-ils parlé à leurs enfants? Comment apprivoiser sa mort tout en éduquant et en aimant les personnes qu’on s'apprête à quitter? Rencontre avec l’idéatrice de ce documentaire.
Très jeune, tu as accompagné ton père vers sa mort. Dans ce documentaire, tu rencontres plusieurs parents qui s’apprêtent à mourir. Quelle était ton intention de départ?
Je tenais à faire un film qui offre des ressources aux familles qui vivent avec la maladie incurable d’un de leurs membres. C’est un sujet dont on ne parle pas beaucoup, car une maladie incurable est synonyme de mort, et la mort, ça nous fait peur. Je pense qu’on ignore les outils qui s'offrent à nous. Et la maladie incurable vient avec beaucoup de solitude.
Plus que de la sensibilisation, je voulais qu’on s’éduque comme société sur le sujet.
J’ai aussi eu l'impression, par moment, que tu réconfortais les parents que tu rencontrais.
Préparer sa mort, c’est être très seul. Les gens qu’on rencontre dans le film incarnent bien la majorité des gens qui avancent là-dedans à tâtons parce qu’ils ne savent pas qu’il y a des ressources et parce que les gens qui les entourent n’ont pas très envie de parler de leur mort. C’est vraiment un échange dans le film, parce que ça ne me fait pas peur d’en parler. Je suis déjà passée à travers. Je leur offre une perspective qui est différente de la leur, que peuvent avoir certains de leurs proches. En contrepartie, ils peuvent m’aider à mieux comprendre ce que mon père a traversé.

Je vois vraiment ça comme un film égalitaire. On se soutient les uns les autres.
Qu’est-ce que tu as trouvé comme réponse pour toi dans cette quête?
Quand tu grandis avec un père mourant, c’est difficile de saisir, après coup, ce par quoi il est passé, dans son cœur, sa tête. Et comme je n’ai pas d’enfant, je n’ai aucune idée de ce qu’un parent traverse. Il me manquait de grosses pièces du casse-tête.
En rencontrant, les parents et les experts, j’ai pu comprendre à quel point un parent qui vit avec une maladie incurable doit s’éduquer lui-même par rapport à la mort, en plus de transmettre ce qu’il découvre à ses enfants, tout en essayant du mieux qu’il le peut de ne pas trop les traumatiser. C’est un sacré défi!
Tu as aussi pris le temps de parler aux parents qui restent. Ça m’a fait penser au dicton : Il faut un village pour élever un enfant.
Pour arriver à vivre un deuil, il faut s’entourer de combien de personnes?
Une des choses qui m’ont le plus étonnée en faisant le documentaire, c’est à quel point il te faut un regard extérieur pour aider ton clan familial à traverser cette épreuve-là, car chaque personne a besoin de ressources complètement différentes.
J’avais sous-estimé ça au départ. Je pensais qu’il y avait des façons de faire précises qu’on pouvait tous et toutes emprunter. Et ce qu’il nous faut finalement, c’est des gens qui peuvent nous tenir par la main ou juste nous soutenir, nous aider à explorer des pistes, mais en fonction des besoins de chaque personne autour de nous. Les experts psychosociaux sont essentiels.

Entre autres, l’organisme Deuil-Jeunesse?
Cet organisme est incroyable, hein? C’est magnifique! Il y en a tout plein, des organismes comme celui-là qui se donnent comme mission d’accompagner les familles. Eux sont situés à Québec, mais ils ont une ligne d’écoute où on peut les joindre. Après, il y a les hôpitaux qui ont des programmes, les maisons de soins palliatifs… Il y a des groupes de rencontres dans différentes régions du Québec.
Ces organismes peuvent être victimes de sous financement dans le milieu de la santé et c’est super important de les préserver.
C’est aussi une mission du film de nous faire prendre conscience de l’importance de ces organismes, et on doit leur porter attention et les financer à leur juste hauteur.
Ton frère est aussi présent dans le documentaire. J’imagine que ce n’est pas la première chose dont vous parlez ensemble. Comment poursuis-tu ton deuil avec lui?
C’est la réalisatrice Maude Sabbagh qui m’a encouragée à inclure mon frère. J'étais réticente. Je n’étais pas certaine qu’il voudrait s’ouvrir sur un sujet aussi intime. Il était finalement très content quand on lui a lancé l’invitation. J’ai réalisé qu’il avait envie et besoin d’en parler. Ça a ouvert une belle discussion, car j’étais restée sur l’impression qu’on avait vécu ce deuil de la même manière et ce n’est pas du tout le cas. Ça m’a permis de mieux le comprendre et de revisiter mes souvenirs. J’ai toujours été proche de mon frère, mais j’ai l’impression de l’être encore plus. On ne comprend jamais totalement une personne avant d’aller dans ces zones plus sensibles.

Merci Rose-Aimée Automne
Ce documentaire est très émouvant. Une personne qui vit une situation similaire pourra probablement trouver quelques pistes à suivre pour parler de la mort, savoir vers qui se tourner et du réconfort. Pour les autres : beaucoup d’émotions, des réflexions et une façon plus empathique d’accompagner les gens autour de soi qui vivent des deuils.
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