Secrets de scénariste : Justine Philie

« Pour que je me retrouve impliquée dans une série, il faut que les personnages viennent me chercher, qu’ils aient une certaine complexité. »
Depuis sa sortie de l’École nationale de l’humour, en 2012, l’auteure Justine Philie enfile les projets. En 10 ans, elle a travaillé sur un nombre impressionnant d’émissions de télé, dont Prière de ne pas envoyer de fleurs, MED, Bonsoir bonsoir!, Les Sapiens, Les échangistes, Corde raide, Les enfants de la télé et Un souper presque parfait, pour n’en nommer que quelques-unes, en plus de contribuer aux textes de plusieurs humoristes et de spectacles de variétés. Récemment, elle a participé à l’écriture du film Maria, en collaboration avec Mariana Mazza, en plus de coscénariser la série destinée aux jeunes adultes Les petits rois, en compagnie de Marie-Hélène Lapierre. Disons qu’elle ne chôme pas!
Nous avons eu la chance de discuter avec elle de sa carrière florissante et de sa vision de l’écriture télé lors d’un entretien.
Voici ce qu’elle avait à nous dire.
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D’où t’est venue la passion pour l’écriture et la scénarisation?
J’ai tout le temps consommé beaucoup de fiction, autant à la télé qu’au cinéma. C’est niaiseux, mais je déménageais souvent quand j’étais ado et il y avait tout le temps un moment où je ne connaissais personne dans la ville où je venais d’emménager, alors la télé, c’était mon amie. Puis j’ai tout le temps écrit dans la vie, pas forcément de la fiction, mais quand j’étais ado, ça faisait partie de mon quotidien. À un moment donné, j’étais à l’UQAM en Critique et dramaturgie, et on avait un cours d’écriture de théâtre. Je devais faire l’exercice d’écrire pour le théâtre et ça m’a tellement passionnée que j’ai créé une pièce en deux jours. Ensuite, j’ai voulu étudier à l’École nationale de théâtre comme auteure, mais je n’ai pas été admise. Il faut dire que c’était très contingenté comme programme. Je me suis donc inscrite à l’École nationale de l’humour, toujours en écriture, mais à reculons. Une semaine après le début des cours, j’étais super contente que mon plan A n’ait pas fonctionné.
Tu es tantôt scriptrice, tantôt scénariste ou script-éditrice. Qu’apprécies-tu dans chacun de ces rôles?
Quand je travaille comme scriptrice, j’aime vraiment le fait de devoir saisir la musicalité de la personne pour qui j’écris, peu importe son profil. Il faut réussir à marier la personnalité et le ton du texte; j’adore ça. C’est extrêmement satisfaisant quand ça devient une belle collaboration. Sinon, en tant que script-éditrice, j’aime le fait de donner du jus à quelqu’un. J’apprécie moins la partie où je dois couper des trucs ou celle où il faut que je fasse le pont entre le diffuseur et l’artiste, mais je trouve cool de collaborer avec une personne afin de rendre ses textes plus efficaces, en proposant des gags ou en jouant avec la structure, par exemple.
La job que j’aime le plus, c’est celle de scénariste. Ce que j’aime, c’est de donner une voix à des personnages, trouver comment ils vont s’exprimer. Je pense que c’est la place où j’ai le plus de liberté créative, puisqu’ailleurs, je dois me coller à quelqu’un ou aider une personne à pousser ses idées.
Le film Maria, que j’ai écrit avec Mariana Mazza, c’est le truc qui me ressemble le plus, même si ça fait déjà deux ans que j’ai fini de l’écrire. Il y a 100 000 affaires que je changerais dans le scénario avec mon expérience, mais c’est tout de même très satisfaisant d’avoir fait à peu près ce que je voulais avec ce projet-là.
Quels sont les ingrédients essentiels pour créer une bonne série?
De bons personnages. Pour que je me retrouve impliquée dans une série, il faut que les personnages viennent me chercher, qu’ils aient une certaine complexité. Je hais les personnages qui ne sont qu’en surface. C’est ce qui va faire qu’une série ne m’intéressera pas.
Le sujet, le concept, oui, ça a de la valeur, mais avoir des personnages qui sont complexes et attachants, c’est primordial autant pour le public que pour les scénaristes.
On peut le remarquer à l’occasion : il y a des séries qui sont bâties sur de solides idées, mais qui s’épuisent parce que les personnages ne sont pas assez forts. Un concept doit être fort, surtout pour la première saison, sauf que ce n’est pas forcément là-dessus que l’histoire va reposer dans les saisons suivantes. Si tu veux que les gens restent, ça te prend des personnages complexes, riches et intéressants.
Quelle est la situation la plus improbable que tu as dû surmonter comme scénariste?
Maria a été tourné au début de la pandémie, alors il a fallu qu’on revoie le scénario avec les règles de zones. Il y en avait plusieurs, qui déterminaient la proximité à laquelle les interprètes pouvaient se tenir et le temps qu’ils pouvaient passer près l’un de l’autre. À ce moment-là, Florence Longpré était déjà catégorisée zone 1
, c’est-à-dire qu’elle pouvait être à grande proximité d’autres interprètes, sur un autre projet, donc il a fallu faire des trucs un peu étranges. Je me rappelle une scène dans laquelle le personnage de Maria pleure et il fallait trouver une façon d’expliquer que le personnage de Florence Longpré n’allait pas la prendre dans ses bras, contrairement à son autre amie. Même chose pour Les petits rois, fiction sur laquelle j’ai travaillé. C’est une série pour jeunes adultes, mais les restrictions sanitaires ne nous permettaient pas de montrer beaucoup de rapprochements physiques à l’écran. Lors du développement de la série, il y avait une volonté que ce soit un peu plus edgy, alors c’est un peu étrange qu’il n’y ait pas plus de sexualité, de baisers et autres.

Même que ça m’a gossée dans Maria parce que le personnage joué par Alice Pascual est une lesbienne et il y a une scène où elle cruisait dans un bar. Les comédiennes ne pouvaient pas s’embrasser et je trouvais ça bizarre. J’avais peur que ça donne l’impression qu’on avait une lesbienne de parure
, qu’on ne voulait pas la voir dans son intimité à l’écran. Mais les mesures sanitaires ont donné lieu à une belle découverte puisque le chum de Florence Longpré dans le film est joué par Pascal Cameron, qui est aussi son amoureux dans la vraie vie. Ça n’aurait pas été un choix logique, comme il n’a pas de formation de comédien, mais finalement, il a fait une excellente job. (Rires) Je te dirais que la COVID a vraiment bougé des affaires, forcément.
Avec le recul, quel élément du métier te surprend le plus par rapport à l’idée que tu t’en étais fait à tes débuts?
Je pense que la télé en général, c’est un milieu qui rassemble des métiers qui sont excessivement prenants. Et je sais que c’est dur à comprendre pour les proches de personnes travaillant en télé qui ne baignent pas dans ce monde-là. Des fois, des gens vont me dire : Ben, tu lui répondras demain!
quand je reçois un courriel le soir, mais non, je ne peux pas : on tourne demain.
Je pense, à cause du degré d’implication que ça demande, que c’est une job de gens, en général, passionnés, mais ça fait aussi que des fois, on est peut-être un peu trop exigeant envers soi-même.
En même temps, je pense que les gens qui ont une job touchant à l’art, même s’ils ne sont pas en train de travailler, pensent toujours un peu à ça. J’ai beau être un samedi après-midi en train de préparer une sauce à spaghetti, ça se peut que je sois en train de penser à un gag qu’il me manque dans un scénario. En fait, pas ça se peut
, c’est sûr. (Rires) Mon endroit préféré pour réfléchir, c’est la douche, t’sais. (Rires) C’est ça, en fait, qui m’a le plus surprise : même si t’es pas devant ton ordi à écrire, t’es tout le temps un peu en train de travailler.
Quelle série aurais-tu aimé avoir écrite?
Killing Eve. Des fois, je regarde la série et ça me fait mal de ne pas pouvoir écrire sur cette fiction-là. Tout est parfait là-dedans : la direction artistique, la distribution, l’histoire, les personnages, leurs relations, la musique, les choix vestimentaires; j’aime tout! Je trouve ça extraordinaire; ça vient me chercher au plus profond de moi.

Sinon, j’ai vraiment tripé sur The Marvelous Mrs. Masel. Les dialogues, les situations, le ton... En fait, je pense que dans les deux cas, il y a des morceaux de dialogue, des façons de jouer qui sont vraiment hors de l’ordinaire. Et plusieurs des personnages que l’on y retrouve, comme celui de Villanelle dans Killing Eve, par exemple, sont plus grands que nature. Dans les deux cas, ce ne sont pas des propositions de comédies pures, mais elles regorgent de moments tellement drôles et bien ficelés, de dialogues extraordinaires. Je suis vraiment une personne de dialogues. Un bon dialogue, ça me fait lever le poil! (Rires) J’aime aussi beaucoup Fleabag, qui est écrite par Phoebe Waller-Bridge, qui a aussi été la scénariste en chef de Killing Eve, et je trouve que ça se ressent.
Justine Philie, merci beaucoup!
En cette période où bien des gens passent plus de temps à la maison qu’auparavant, pandémie oblige, les séries télé sont quasiment devenues un service essentiel. Si une grande partie des personnes passionnées du petit écran sont familières avec le format télévisuel, peu d’entre elles connaissent les rouages du métier de scénariste de séries télé. C’est dans cette optique que nous avons eu l’idée de lancer Secrets de scénariste , des billets où vous pourrez en savoir davantage sur ce métier hors de l’ordinaire ainsi que sur la vision de ceux et celles qui le pratiquent.
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La série Les petits rois sera diffusée à ICI Télé les vendredis à 21 h à partir du 22 avril. Elle peut aussi être visionnée sur ICI Tou.tv Extra.
Le film Maria est présenté sur Club illico.