Secrets de scénariste : Danielle Trottier

En cette période où bien des gens passent plus de temps à la maison qu’auparavant, pandémie oblige, les séries télé sont quasiment devenues un service essentiel.
Si une grande partie des personnes passionnées du petit écran sont familières avec le format télévisuel, peu d’entre elles connaissent les rouages du métier de scénariste de séries télé. C’est dans cette optique que nous avons eu l’idée de lancer Secrets de scénariste
, des billets où vous pourrez en savoir davantage sur ce métier hors de l’ordinaire ainsi que sur la vision de ceux et celles qui le pratiquent.
Danielle Trottier, scénariste de nombreuses séries à succès telles qu’Unité 9, Cheval-Serpent et Toute la vie, est notre invitée de la semaine. Le parcours de cette créatrice est tout sauf linéaire puisqu’elle n’a commencé à écrire qu’à l’âge de 40 ans, après avoir accumulé bon nombre d’expériences de travail. C’est par un heureux hasard qu’elle a découvert sa passion pour l’écriture télé.
Voici le compte rendu de cet entretien.
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D’où t’est venue la passion pour l’écriture et la scénarisation?
La passion pour l’écriture m’est venue en le faisant. Je n’avais jamais rêvé d’écrire pour la télé, ce n’était pas un objectif dans ma vie. C’est un accident professionnel qui a confirmé que j’avais une vraie passion pour l’écriture, que c’était ce que je voulais faire dans la vie.
Quand as-tu développé un intérêt pour la télé?
Je viens d’une famille extrêmement modeste. La télé était un objet de luxe auquel il ne fallait pas toucher. Ça coûtait cher, et il y avait une période très ciblée où l’on pouvait la regarder. J’ai l’air de venir d’une autre époque, mais ce n’est pas si loin que ça! (Rires)
Après avoir travaillé dans toutes sortes de domaines, tu as finalement découvert ta passion pour la scénarisation au début de la quarantaine. Pourquoi est-ce que le média de la télé t’intéressait plus qu’un autre?
C’est une analyse que je fais a posteriori : je suis muséologue de formation, alors à l’époque, je faisais parler les objets. Dans un musée, c’est ce qu’on fait. Sauf qu’il y avait quelque chose qui manquait à ça : la dimension réelle, la chaleur humaine, les contacts directs. C’était ce que je tentais de trouver.
La télé est un véhicule extrêmement puissant. On peut entrer dans la maison de milliers de gens à la fois. Tu comprends donc qu’à l’objet précieux, je lui ai ajouté sa puissance. Je le vois maintenant. Au moment où j’ai commencé à écrire, ce sont les autres qui m’ont dit que ce que j’écrivais était une série télé. Moi, je ne savais pas ce que j’étais en train de faire. Je savais juste qu’il y avait quelque chose qui voulait s’exprimer. J’étais un peu prise avec ce que j’avais à dire. La première histoire que j’ai racontée, dans la série Emma, c’est quand même celle d’une femme qui a été vendue à sa naissance pour 3000 $. C’était naturel pour moi de dialoguer, de mettre en scène, de scénariser. Je n’ai pas eu à apprendre ça, c’est comme si je savais déjà comment le faire.
Est-ce important qu’il y ait un message dans les séries que tu écris?
Ce n’est pas tant le message que de parler de quelque chose qui me touche de près ou de loin. Je ne suis pas en train de défendre des causes ou de porter une bannière. Je ne suis pas là du tout. Je suis dans l’histoire individuelle. Ce qui m’intéresse, c’est ce qui est arrivé à cette personne-là, c’est de voir à quels défis elle a dû faire face.
Je veux savoir comment mon personnage va se débrouiller face à une série d’épreuves que je vais mettre sur son chemin, parce que je veux savoir de quoi est fait ce personnage-là. C’est comme ça que j’apprends à le connaître.
Est-ce qu’elle a du courage? Est-elle lâche? Est-ce qu’elle est déterminée? Je suis plus là-dedans. Je ne suis pas dans le message. Je trouve que la vie est un parcours absolument incroyable. C’est comme si je voulais voir comment on s’en sort, comment on fait face à l’adversité... Parce que tu as compris que je n’écris pas des histoires faciles... (Rires)

Est-ce que tu vises à aborder des thèmes différents d’un projet à l’autre?
Le grand thème de mon écriture, c’est l’individu. Il arrive quelque chose à tel personnage. C’est ce qui m’intéresse. La trame qui me caractérise, c’est d’être proche de la réalité de personnes à qui il arrive beaucoup de choses. Je ne peux rien faire avec un personnage à qui il n’arrive rien. Je ne peux pas écrire une série là-dessus. C’est le grand thème récurrent dans tous mes projets : le parcours difficile d’un être humain.

Comment est-ce qu’une idée de série te vient en tête? Est-ce un processus aléatoire, ou plutôt conscient?
Je suis à l’affût de ce qui se passe autour de moi. Je pose un regard sur la vie en général. Il y a des facteurs qui vont me faire aller dans une direction pour écrire, comme quand je suis témoin d’une injustice ou de quelque chose qui me met en colère.
À partir de ce moment, quand je suis interpellée personnellement, je vais documenter le sujet. C’est à force de le faire que je vais dire : OK, il y a là des histoires à raconter.
Ça part d’un sentiment très inconfortable d’injustice et de colère; c’est ça, mon moteur. C’est tellement dur d’écrire que la motivation doit y être.

Si l’on ne tient pas compte des cotes d’écoute, qu’est-ce qui t’amène à décider qu’une série est terminée?
La réponse est pas mal simple : c’est quand mes personnages ont assez souffert. Par exemple, Marie Lamontagne dans Unité 9 : je me suis dit que je ne pouvais pas aller plus loin. Une histoire, c’est souvent une série d’épreuves placées sur le parcours d’un personnage pour voir comment il va s’en sortir. À un moment donné, je me dis que j’ai assez fait vivre d’événements différents à un même personnage. C’est assez. Il faut maintenant que je le laisse être heureux. Et quand il est heureux, il ne m’intéresse plus. Quand il va se faire un sandwich, je ne veux pas forcément être là. Je veux être à ses côtés jusqu’à ce qu’il réussisse à dépasser la difficulté. C’est ce moment-là qui m’intéresse. C’est quand mon personnage m’a prouvé qu’il était solide. J’aime les personnages qui font face à beaucoup d’adversité et qui s’en sortent.

Quels sont les ingrédients essentiels pour créer une bonne série?
Des bons personnages. On peut avoir une excellente histoire, si les personnages ne sont pas assez forts, ça ne fonctionnera pas. Et là, je parle autant des bons que des méchants. Parce qu’un méchant qui n’est pas aussi fort que le bon, ça ne résonne pas.
Ça prend des personnages forts, mais dans toute la palette de couleurs possibles. Ça prend des méchants, des bons, des cupides, des généreux…
Un sujet très fort sans personnages, ça ne tient pas la route. Le public veut voir des gens vivre toutes sortes de situations.
Qu’est-ce qui est le plus difficile dans l’écriture?
Mon Dieu, tu vas voir, c’est tellement banal. C’est de rester assise pendant une longue période. (Rires) Je suis obligée de bouger beaucoup ensuite; je nage, je marche. C’est très dur pour le corps, parce que pendant quelques heures, tous nos muscles, toute notre tête, toute notre énergie doivent sortir au bout de nos doigts pour écrire un texte. Demander ça à un corps, c’est très exigeant.
Qu’est-ce qui est le plus satisfaisant?
Quand on voit que toute l’équipe a réussi à donner toute la place à l’acteur ou à l’actrice et que la scène que j’ai écrite a été comprise et magnifiée par tout le monde. Quand je la vois jouée, je suis bouleversée par tout le travail qui a été fait après moi. Je travaille toute seule à écrire les textes, et ensuite, il y a 50 personnes qui repassent dessus. Au bout du compte, lorsque je vois tout le travail conjugué d’une équipe entière, c’est très satisfaisant. De voir que tout le monde est allé dans une même direction.
C’est donc quand ça se concrétise que tu y prends plaisir?
Oui, mais c’est plus que ça. C’est la participation d’une cinquantaine de personnes pour que l’expérience du téléspectateur soit plus que formidable. C’est ça qu’on vise.
Je ne travaille pas pour ma gloire personnelle; je n’en ai pas, de gloire personnelle. Je travaille parce que tout le monde – ma productrice, mon réalisateur, mes acteurs et toute l’équipe – veut fournir au téléspectateur un moment qui va complètement le sortir de sa vie.
Il va oublier ce qu’est sa vie pour se plonger dans une histoire pour quelque temps. C’est une job, ça! (Rires) Ça prend beaucoup de monde pour réussir ça.
Est-ce que tu trouves un certain plaisir dans l’écriture même?
Écrire, en soi, c’est de pouvoir avoir accès à son imaginaire, à sa capacité créatrice. Il y a un plaisir intense à voir que c’est inépuisable. Je n’ai jamais vécu de page blanche dans ma vie. Je ne sais pas ce que c’est. De s’asseoir et de réaliser qu’il existe des milliers d’histoires qu’on peut raconter, c’est intensément satisfaisant. Je me considère extrêmement privilégiée d’avoir ça. Maintenant, que le projet se rende au bout ou pas, c’est autre chose. Mais la capacité d’écrire, de créer, ça me satisfait grandement.
Est-ce que certaines œuvres de collègues scénaristes t’ont marquée?
J’ai été très fascinée par Tales From the Loop, de Nathaniel Halpern. Cette série de science-fiction m’a complètement réjouie, parce qu’on est vraiment ailleurs avec des robots humanisés. C’est très loin de mon univers, et j’ai trouvé ça extrêmement agréable à visionner. C’est le fun quand tu vois que l’imaginaire des autres scénaristes est tellement différent du tien. C’est magique quand tu es fascinée par une autre œuvre.

Regardes-tu beaucoup de télé?
Oui, je regarde des séries qui sont faites un peu partout. J’aime beaucoup regarder les séries sud-coréennes, par exemple, parce qu’elles sont remplies d’émotions. Les personnages masculins sont très émotifs, ce qui est pas mal différent de ceux qu’on trouve dans les séries d’ici, qui doivent être assez stoïques. Je regarde ce qui se fait au Québec aussi. Je trouve qu’on est très prolifiques.
Danielle Trottier, merci beaucoup!
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Si vous n’avez toujours pas vu la série Unité 9, elle est actuellement offerte sur ICI Tou.tv.
Vous y retrouverez aussi les séries Cheval-Serpent et Toute la vie.
À bientôt pour un autre billet de la série Secrets de scénariste
!
Compléments :
Secrets de scénariste : Jacques Davidts