Secrets de scénariste : François Létourneau

En cette période où bien des gens passent plus de temps à la maison qu’auparavant, pandémie oblige, les séries télé sont quasiment devenues un service essentiel.
Même si une grande partie des personnes passionnées du petit écran sont familières avec le format, peu d’entre elles connaissent les rouages du métier de scénariste de série télé. C’est dans cette optique que nous avons eu l’idée de lancer Secrets de scénariste, des billets où vous pourrez en savoir davantage sur ce métier hors de l’ordinaire ainsi que sur la vision de ceux et celles qui le pratiquent.
En plus d’être scénariste, notre invité de la semaine est comédien. D’ailleurs, nous avons récemment pu observer le fruit de son travail dans C’est comme ça que je t’aime, série qui a récolté pas moins de 10 statuettes au dernier Gala des prix Gémeaux, dont celui du meilleur scénario. Vous aurez sans doute deviné que nous avons eu la chance de discuter avec François Létourneau, également auteur des séries Les Invincibles et Série noire, dans lesquelles il est aussi comédien. Ses trois œuvres sont d’ailleurs offertes sur ICI Tou.tv.
Voici le compte-rendu de notre entretien.
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D’où t’est venue la passion pour l’écriture et la scénarisation?
J’ai toujours aimé écrire. J’ai été influencé par ma mère, qui écrivait beaucoup. Je m’amusais à temps perdu avec une machine à écrire et je me suis mis à inventer des petites histoires. Le plaisir était autant dans le fait de raconter que dans celui d’utiliser la machine. Ensuite, à l’école, j’ai toujours eu une facilité pour l’écriture, mais je dirais que le déclic est arrivé au cégep.
Comme bien des jeunes adolescents, j’ai vécu une grosse peine d’amour à cette époque, et l’écriture est devenue une façon de m’exprimer de façon très intime. Je me rappelle que j’avais un cours de poésie qui ne m’attirait pas tant que ça, mais il m’avait permis d’extérioriser ma tristesse.
Depuis, cette affaire-là ne m’a jamais lâché. Pour moi, l’écriture est une activité vraiment importante où j’exprime plein de choses que je ne suis pas capable d’exprimer dans la vie. Le déclic est arrivé là, mais après coup, je ne savais pas ce que je voulais faire avec ça. J’ai écrit des essais, des nouvelles. Je suis allé [étudier] en théâtre au Conservatoire d’art dramatique, et je me suis mis à écrire des petits monologues, que j’incarnais. Les gens me disaient que c’était drôle ce que j’écrivais, que j’étais bon comme acteur quand je jouais mes textes. Quand je suis sorti de l’école, j’ai écrit une pièce de théâtre qui a été montée. Je pensais vraiment faire ça de ma vie; c’était ça, mon plaisir : écrire et jouer du théâtre.
Ensuite, j’ai rencontré Jean-François Rivard, et on a développé un projet télé ensemble. Au début, je faisais un peu ça pour l’argent, et ensuite, à force de développer, on s’est mis à triper; ça a donné Les Invincibles. Cette rencontre avec Jean-François et avec ma productrice, Joanne Forgues, des gens avec qui j’aime travailler, m’a amené à faire une autre série, puis une autre. C’est là où je suis rendu dans ma carrière.

Tu disais que tu faisais de la télé pour l’argent au début. Pourquoi es-tu resté? Qu’as-tu découvert en faisant Les Invincibles?
Le plaisir était surtout dans ma collaboration avec Jean-François. Et même dans mes pièces de théâtre, dont la première, qui s’appelait Stampede, il y avait quelque chose de cinématographique, de très construit, scénarisé. Je n’ai jamais écrit du théâtre lyrique. Le jeu et la scénarisation, j’ai toujours aimé ça. J’ai aussi toujours tripé sur le cinéma, en fait, plus que sur le théâtre. Aussi, j’ai découvert qu’on pouvait écrire en télé avec la même liberté qu’en théâtre. En tout cas, moi, j’ai toujours eu cette chance-là dans mes projets. On me laisse ma liberté.
Le cliché qui veut qu’on doive vendre son âme en écrivant de la télé, moi je ne l’ai pas vécu.
Souvent, les gens me demandent si je m’ennuie d’écrire pour le théâtre et je leur réponds que non. Je m’ennuie de jouer au théâtre comme acteur, mais comme auteur, il n’y a pas de différence entre ce que je fais maintenant et ce que je faisais dans mon cours au cégep quand j’écrivais des poèmes pour essayer de guérir ma peine d’amour. C’est la même chose.
Est-ce qu’elle est guérie, cette peine d’amour là?
Non. (Rires) Celle-là est guérie, mais il y a une tristesse qui m’a envahi à ce moment-là, et elle ne m’a jamais complètement quitté. C’est un peu quétaine, mais le petit feu intérieur qui fait que j’ai besoin d’écrire, ça remonte à cette époque-là. Depuis, il y a beaucoup de choses qui ont nourri ça : je ne surfe
pas sur une émotion de 1992. (Rires)
Est-ce que c’est rendu un feu de la Saint-Jean, ou est-ce qu’il reste pas mal toujours au même niveau?
(Rires) Non, non, mais tu sais, les peines d’amour à 18 ans, tu ne t’en remets jamais vraiment.
Comment est-ce qu’une idée de série te vient en tête? Est-ce un processus conscient, ou aléatoire?
Ça dépend. Pour Les Invincibles, c’était très conscient. J’ai rencontré Jean-François dans une rencontre de brainstorming d’un autre projet télé qui n’a jamais fonctionné. Je trouvais que je n’étais pas du tout à ma place. Jean-François était là, et on se connaissait un peu. À un moment donné, il a lancé l’idée de quatre gars qui laissent leur blonde en même temps, pis moi, j’ai dit : Ils pourraient avoir des montres bleues
, c’était juste ça. Il m’a rappelé six mois plus tard pour savoir si j’avais le goût de développer l’idée avec lui. Moi, je l’avais oubliée. Le germe de ça était vraiment une idée lancée dans une réunion.

Pour Série noire, Jean-François et moi avions envie de faire une autre série, et on avait plusieurs possibilités devant nous. À un moment, on a eu cette idée de raconter l’histoire de deux scénaristes; on allait donc pouvoir puiser dans nos vies. Pour C’est pour ça que je t’aime, c’est un peu différent. Je travaillais sur un scénario de film; je ne pensais pas tout de suite refaire de la télé, et j’ai aidé mon père à déménager. C’est là que je suis retombé dans mes souvenirs d’enfance à Sainte-Foy et que je me suis rappelé que mes parents avaient une relation très houleuse; ils se chicanaient beaucoup.
J’ai toujours senti un désir de liberté chez ma mère, que la famille était quelque chose qui la contraignait dans son désir d’émancipation. Là, j’ai eu l’étincelle de cette idée d’une femme qui a envie de tuer son mari dans les années 1970. C’est de là que c’est venu.
Ensuite, tout s’est transformé. Ce n’est pas du tout l’histoire de mes parents. (Rires) Je dis toujours que la provenance des idées, c’est très mystérieux. Ça peut surgir n’importe quand. Je vais à mon bureau, je travaille, je suis très discipliné. Il y a des journées où rien ne se passe. D’autres où ça coule. Il faut juste être disponible et avoir confiance que les idées vont venir. D’où elles viennent, par contre, je ne le sais pas trop.
Quel est ton processus d’écriture? Comment travailles-tu en solo ou en équipe?
C’est assez différent. Au théâtre, j’ai toujours écrit seul, mais pour la télé, j’aimais la dynamique que j’avais avec Jean-François. On n’a jamais écrit à quatre mains, mais on discutait ensemble, on faisait des séances de brainstorming et on se faisait des structures d’épisode. Ensuite, on écrivait à relais : je pouvais commencer l’écriture d’un épisode en respectant un peu ce qu’on s’était dit, mais aussi en ne le respectant pas. Mon but, c’était aussi de le surprendre. Je lui envoyais ce que j’avais fait et lui repassait sur mon travail. On écrivait un peu comme ça, et ensuite, c’est moi qui m’occupais de réviser le tout pour que ce soit assez uniforme; ça devenait un mélange de nos idées. Souvent, les gens n’étaient pas capables de dire qui avait écrit quoi quand venait le temps de tourner. Ça, c’est une façon qui a marché, mais à un moment donné, on n’était plus capables de travailler comme ça. C’était principalement moi qui mettais les mots sur papier. J’avais plus de facilité que Jean-François à écrire les idées, à dialoguer, alors il y a eu un déséquilibre, et finalement, j’ai décidé d’écrire la dernière série seul.
Pour moi, c’est important de garder la dynamique avec Jean-François. Ça a renouvelé notre collaboration, et je trouve que, maintenant, c’est plus facile de travailler ensemble, comme nos rôles sont plus clairs. Des fois, je m’ennuie vraiment de lui dans l’écriture, mais en même temps, j’ai aussi un plaisir à construire ça tout seul. Des fois, ça va plus vite aussi : quand j’ai des bonnes journées, les choses se mettent en place et je peux aller très vite.
Quand on travaille seul, les idées ne rebondissent sur personne d’autre. Ça peut être difficile, surtout quand on écrit de la télé, puisqu’il y a beaucoup de matériel à produire.
Parfois, j’ai l’impression d’exprimer des trucs plus personnels ou des idées un peu plus bizarres, qui n’auraient peut-être pas passé le double filtre si on avait été deux à écrire. Là, je suis seul, alors il n’y a que mon filtre. Il y a des trucs un peu plus étonnants que je peux explorer. Je dirais que j’ai vraiment aimé les deux façons d’écrire, mais plus ça allait, plus j’avais besoin de contrôler le processus, et pour Jean-François, c’était plus difficile. J’étais rendu là : à le faire seul. Je ne me verrais pas écrire avec quelqu’un d’autre. Et de toute façon, la collaboration avec Jean-François, j’estime que je l’ai toujours parce qu’il lit mes épisodes et me donne des commentaires. Des fois, quand je suis bloqué, je l’appelle et je peux lui parler de mes idées. Je fais ça aussi avec quelques amis et ma blonde.
Est-ce que tu vises à aborder des thèmes différents d’un projet à l’autre?
Non, je ne pense pas à ça du tout. Les mêmes thèmes reviennent beaucoup d’une série à l’autre. Des fois, j’écris des choses et je me dis que j’ai fait la même chose à ma première pièce de théâtre. Il y a certains thèmes qui reviennent tout le temps, mais j’ai le désir d’aller plus loin. Les thèmes, je laisse ça monter naturellement. J’essaie juste d’être ouvert, mais jamais je ne me dis que je vais aborder tel ou tel autre thème. J’aime mieux les laisser monter malgré moi que de les forcer.
Comme spectateur, je n’aime pas les trucs où on essaie de me passer un message, ça me rebute. J’essaie donc de m’en éloigner comme auteur.
Aimes-tu faire des clins d’œil aux fans de tes œuvres, en faisant des liens entre différents univers, par exemple? Aimes-tu l’ambiguïté et les discussions que les nombreuses théories sur tes séries provoquent?
Tu veux dire des liens entre les séries?
Oui, c’est ça. Je vais te donner un exemple : j’ai lu sur la page d’un groupe de fans de C’est comme ça que je t’aime que la dame âgée qui tue un chien dans Série noire s’appelle Huguette, alors quelqu’un se demandait si c’était le même personnage que dans C’est comme ça que je t’aime.
(Rires) Ah, c’est drôle. C’est la première fois que je le réalise. Quand je donne des noms à mes personnages, j’ai une liste de noms et ils reviennent tout le temps. (Rires) Cette confusion n’est pas voulue. Des fois, on place des petits détails, et on se dit que la plupart des gens ne remarqueront pas, mais nous, on aime ça. Ça arrive que les fans le voient, et c’est le fun. Je te confirme que s’il existe des liens d’une série à l’autre, ils sont involontaires. (Rires) Des fois, il y a même des répliques qui reviennent d’une série à l’autre, mais ça non plus, ce n’est pas voulu. C’est moi qui me répète sans faire exprès.
Si on ne tient pas compte des cotes d’écoute, qu’est-ce qui t’amène à déterminer qu’une série est terminée?
C’est vraiment dans l’écriture. Pour Les Invincibles, après trois saisons, on le savait. Après trois, c’était clair que c’était fini. Il y a une fatigue qui s’installe aussi à traîner un projet. Pour Série noire, on a finalement eu notre deuxième saison, et ça a été plus compliqué. La saison 2 se déroule pendant le même hiver que la première; c’est une suite immédiate. On s’est dit que ça allait être la dernière, comme tout ça aura duré un hiver. On ne se voyait pas écrire une troisième saison qui se serait déroulée l’été ou l’hiver suivant.

Pour C’est comme ça que je t’aime, quand j’ai présenté le projet, j’avais envie de faire trois saisons, et là, je suis en train d’écrire la deuxième. Je t’avoue que je pense encore que j’aimerais faire trois saisons.
Je pense que ça se pourrait, mais je vais voir comment je vais me sentir au fur et à mesure que l’écriture avance. Trois, ça me semble un bon chiffre.
Quels sont les ingrédients essentiels d’une bonne série télé?
Eh boy. Je dirais la liberté accordée aux gens de la création, ça, c’est super important. C’est la responsabilité du diffuseur et du producteur de laisser la liberté aux artistes et la possibilité de prendre des risques, de leur permettre de ne pas travailler dans des carcans. Je pense que s’il y a cet espace de liberté où il est possible de sortir des sentiers battus, il y a plus de chances que la série ait une couleur différente.
On parle beaucoup de la diversité, avec raison, et je trouve qu’à la télé, il y a beaucoup d’émissions qui se ressemblent, même en fiction. La diversité, on peut en parler aussi dans ce sens-là. Il devrait y avoir plus de différence d’une émission à l’autre, je trouve. On obtiendrait ça si on laissait plus de liberté aux artistes.
J’ai toujours revendiqué ça aussi, mais je suis très content de la liberté et de la confiance que j’ai de ma productrice et de Radio-Canada. On nous laisse aller, et c’est vraiment le fun. Ensuite, il faut raconter une bonne histoire, ce qui est la chose la plus difficile. Il faut aussi que les gens puissent se reconnaître un peu là-dedans. Il faut qu’il y ait de l’humanité, mais la recette… Si on la connaissait, on ferait tous des succès. (Rires) C’est ce qui fait que le métier est passionnant aussi : tout le monde essaie de produire des bons films et des bonnes émissions de télé, mais personne ne sait vraiment comment faire. S’il y a une espèce de liberté, il y a au moins une possibilité que quelque chose de surprenant surgisse.
Qu’est-ce qui est le plus difficile dans l’écriture?
Je dirais la solitude. Quand on tourne, comme je joue aussi dans mes séries, ça devient un projet collectif et c’est le fun. Quand le tournage est fini, je retourne à mon bureau pour écrire et je suis seul. J’aime la solitude de l’écriture, mais ça arrive qu’elle me pèse. Ce qui est dur aussi, c’est que ça prend beaucoup de discipline. J’aimerais souvent avoir plus de temps pour travailler les épisodes, mais les délais sont assez serrés.
Et que trouves-tu le plus satisfaisant?
Il y a deux satisfactions : quand j’écris une scène ou que je finis un épisode en sachant que ça fonctionne, ça me fait vraiment plaisir. Des fois, je relis des trucs que j’ai écrits et je me dis : Ah oui, ça me plaît. L’affaire que je ne comprenais pas au début, j’ai réussi à l’exprimer.
Ça me donne vraiment une satisfaction personnelle, indépendamment du reste. C’est sûr qu’il faut tourner la série et faire le reste, mais il y a un plaisir dans l’écriture. L’autre plaisir, c’est de voir que les gens ont aimé ça. Durant la pandémie, les gens regardaient beaucoup la série sur ICI Tou.tv et m’en parlaient. Ils me disaient que ça leur faisait du bien de rire et de suivre cette histoire dans ces moments d’isolement et de solitude. C’est sûr que c’est le fun.
Est-ce qu’une série télé t’a vraiment marqué?
Je ne regarde pas beaucoup de séries télé, mais il y en a plein. Je me souviens avoir été intéressé par la série Mad Men parce que c’était écrit d’une façon que je n’arrivais pas à saisir, mais que je trouvais intéressante. J’ai beaucoup aimé cette série, mais mes références sont vieilles. Ma série préférée, c’est Seinfeld, Twin Peaks. J’ai un peu des références de vieux monsieur.
Il y a aussi beaucoup de grandes séries que je n’ai pas vues parce que ça n’adonnait pas. On dirait que j’ai plus tendance à voir des films que des séries. Souvent, quand il y a trop d’épisodes, j’ai l’impression que ça me décourage. J’aime mieux voir un film et me dire que j’entre dans un univers pendant deux heures avant d’en être libéré ensuite. Mon inspiration est davantage cinématographique que télévisuelle, mais en même temps, je ne suis pas du tout un snob de la télé, au contraire : en ce moment, je trouve qu’il se fait vraiment de bonnes affaires à la télé. Et comme scénariste, je suis très content de travailler en télé en ce moment.
Est-ce que le cinéma pourrait être une avenue éventuelle?
Oui, j’ai écrit un scénario il y a deux ans qu’on avait déposé avec mes producteurs, mais ça n’a pas fonctionné. Il fallait le déposer à nouveau, mais ma série a eu le feu vert, alors c’est sur la glace pour le moment. De toute façon, je pense qu’il faut que je retravaille un peu le scénario. Même s’il reste de côté quelques années, ce n’est pas très grave. Mais oui, j’aimerais ça que ça se concrétise.
François Létourneau, merci beaucoup!
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Si vous n’avez toujours pas vu les séries Les Invincibles etSérie noire, vous pouvez les regarder surICI Tou.tv.
La série C’est comme ça que je t’aime est diffusée les mercredis à 21 h sur ICI Télé et est également accessible sur ICI Tou.tv.
À bientôt pour un autre billet de la série Secrets de scénariste!