Secrets de scénariste : Serge Boucher

En cette période où bien des gens passent plus de temps à la maison qu’auparavant, pandémie oblige, les séries télé sont quasiment devenues un service essentiel.
Même si une grande partie des personnes passionnées du petit écran sont familières avec le format, peu d’entre elles connaissent les rouages du métier de scénariste de série télé. C’est dans cette optique que nous avons eu l’idée de lancer Secrets de scénariste, des billets où vous pourrez en savoir davantage sur ce travail hors de l’ordinaire ainsi que sur la vision de personnes le pratiquant.
Notre invité pour le deuxième billet de cette rubrique est nul autre que Serge Boucher, auteur des séries dramatiques Aveux, Apparences, Feux, Olivier et Fragile. Cette dernière, son œuvre la plus récente, est d’ailleurs présentement diffusée à ICI Télé les lundis à 21 h et est sur ICI Tou.tv.
Voici le compte-rendu de notre discussion.
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D’où la passion pour l’écriture et la scénarisation vous est-elle venue?
Avant tout, j’étais auteur de théâtre; c’est par là que je suis arrivé à la télé. C’est drôle parce que le lendemain de la présentation de ma première pièce, en 1993, on m’a approché pour écrire des projets télé et j’ai dit non. Pendant 10 ans, j’ai refusé toutes les propositions. Sauf qu’en même temps, j’avais la conviction que j’allais faire de la télé un jour. Je pense que c’est vraiment une affaire de p’tit cul
, que c’est ce que je voulais faire quand j’étais jeune. À un moment, une de mes pièces, Motel Hélène, a été captée pour la télé, et la productrice de l’émission dans laquelle elle était présentée m’a appelé pour me demander si la télé m’intéressait. J’ai encore dit non, mais pour la première fois, j’avais envie de dire oui. Trois semaines plus tard, je lui ai lâché un coup de fil pour lui dire que j’avais peut-être quelque chose en tête, et c’est comme ça que c’est parti. Ce projet, plusieurs années plus tard, est devenu Aveux, ma première série télé.
J’ai toujours eu un certain désir pour le médium, mais j’attendais d’avoir "l’appel du ventre" .

Est-ce que vous écriviez aussi au cours de votre jeunesse?
Non, je voulais devenir acteur. J’ai fait mon cours en interprétation à Lionel-Groulx et il y a une chose qui m’était claire en terminant ma formation, c’est que je ne voulais pas être comédien. (Rires) Je savais que j’avais une grande passion pour le théâtre et que j’allais y revenir, mais je ne savais pas nécessairement comment. C’est quelques années plus tard, lorsque j’ai commencé à faire mon baccalauréat en enseignement du français, langue maternelle, au secondaire que tout à coup, il m’a pris l’envie d’écrire pour le théâtre. C’est comme ça que j’y suis revenu : par l’écriture.
Comment une idée de série vous vient-elle en tête?
Je ne sais jamais trop pourquoi une idée ou un personnage surgit, mais quand ça arrive, c’est un peu comme une illumination. À partir du moment où j’ai une idée, ça m’habite au point où je sais que c’est ce que j’ai à faire. Évidemment, il y a des idées qui meurent vite. Ce n’est pas parce qu’on a une idée que, naturellement, on va la pousser jusqu’au bout. Du moins, dans mon cas.
Dans vos séries, visez-vous à aborder des thèmes différents d’un projet à l’autre?
J’ai l’impression que je dis toujours la même affaire. Je ne suis pas porté par le sens, par un message que j’ai à véhiculer. Ça a l’air étrange à dire. J’imagine que je me fais tellement confiance que je sais que ça va finir par avoir un sens. À la base, quand je présente un projet – je ne suis pas innocent à temps plein –, je sais le propos que ça va exprimer un peu, mais en même temps, pas tant que ça. Ce qui me guide, c’est la structure, la construction, les personnages, l’histoire. À la télé, tu ne t’en sors pas : c’est les fils de l’histoire qui te tiennent. Ce sont ces fils-là qu’il faut trouver. Il y en a beaucoup que je trouve en écriture, à force de bûcher. C’est ainsi que les pions se placent et que le puzzle prend forme.
Toutes vos séries n’ont qu’une seule saison. Est-ce un choix?
Je ne saurais pas comment en faire une deuxième, au temps que ça me prend. J’ai pris 9 ans à faire la première parce que je ne savais pas ce qu’était la télé. J’arrivais du théâtre et je pensais être en mesure d’utiliser cette même écriture hyperréaliste, sauf que la télé n’est que réaliste. J’ai appris sur le tas en me faisant confiance.
Et je vais vous dire une chose : ce qui me sauve, à la télé, c’est que je ne sais pas comment faire. Si je savais comment m’y prendre, j’écrirais plus d’une saison. (Rires)
Quels sont les ingrédients essentiels pour créer une bonne série?
Pour moi, ce sont les personnages parce que la télé est un phénomène d’identification. Moi, ce qui me porte, c’est le cœur des personnages, leur humanité. Mon plaisir est de trouver des façons un peu différentes d’arriver au même point que tout le monde. Je pense que nous, les scénaristes, cherchons tous la même affaire : toucher les gens qui regardent nos séries. On veut les rejoindre, leur parler. Ce qui me tient à la télé, c’est le fait de trouver une façon qui est la mienne de raconter une histoire qui, j’espère, va être différente des autres.
Qu’est-ce qui est le plus difficile dans l’écriture?
Tout. (Rires) Je peux m’installer pour écrire et il ne sort rien pendant deux heures. Ça explique un peu pourquoi je n’écris pas de deuxième et de troisième saisons. Pour scénariser plusieurs saisons, il faut être une machine à écrire et je n’en suis pas une.
C’est ce que je trouve le plus difficile : il y a des journées où il ne se passe rien et au cours desquelles tu as l’impression que tu es con, que tu n’avances pas et que tu ne trouveras rien.
L’écriture m’a appris à être patient : lors d’une panne, je le sais que ça va se passer le lendemain ou le surlendemain. Je l’ai encore vécu la semaine passée : il ne s’est rien passé. Là, tantôt, j’ai dit à mon conjoint : Ça y est, je débloque.
Chaque auteur a son processus d’écriture, mais pour moi, il est toujours pareil depuis le tout début. Bien sûr, ça me prend moins de temps aujourd’hui. Sauf que c’est normal de bloquer, de ne pas savoir. Ça ne m’angoisse pas.
Qu’est-ce qui vous amène le plus de satisfaction dans l’écriture?
Ah, c’est quand je trouve une scène. C’est difficile à expliquer, mais quand je le sais, je le ressens dans tout mon corps. Présentement, je planche sur un projet et j’ai trouvé la fin d’un épisode. Ça fait presque un mois que je travaille là-dessus, j’ai apporté des changements et là, je suis sûr de mon affaire. C’est une grande satisfaction quand je le sais. Je ne suis pas capable d’écrire des scènes d’un jet. C’est très rare qu’après une première version, je vais me dire : Oh wow, c’est ça!
Il faut que je retravaille, que je m’acharne. C’est un grand bonheur, mais c’est de la job. Il faut aussi dire que j’ai un grand luxe : personne n’attend mes textes. Je peux recommencer 10 fois sans problème. Je n’en ai pas, de troisième saison à produire pour l’année prochaine. Mon projet sera pris quand il sera prêt.
Y a-t-il des scénaristes, auteurs ou autrices dont vous vous inspirez ou qui vous ont grandement influencé?
Quand il y a eu La vie, la vie, de Stéphane Bourguignon, je me suis dit : Ah, peut-être que toi aussi, tu pourrais faire quelque chose pour la télé.
Ça m’avait grandement marqué. Sinon, je crois qu’on est inspiré par ce qu’on est, par ce qu’on porte.
Je suis influencé par toutes les lectures que je fais, par ce que je vois et ce que je vis, par le cinéma. Je suis beaucoup plus influencé par la littérature que par la télé.
Quelle série auriez-vous aimé avoir écrite?
Comme tout le monde, j’aurais aimé avoir écrit Six Feet Under. Pour moi La vie, la vie, c’est un genre de Six Feet Under québécois. Je reviens tout le temps à l’identification. C’est comme M’entends-tu? ou L’âge adulte… J’adore quand ça dépasse la génération dont on parle dans le projet en soi. L’âge adulte, ça ne s’adresse pas à ma génération et pourtant, c’est universel : en regardant la série, je ris et je pleure. Même chose pour M’entends-tu?. La qualité des dialogues de Florence Longpré est incroyable. C’est assumé. Ça, j’adore ça.
Avez-vous un mot de la fin pour nous?
J’ai tout le temps la conviction de faire ce que je dois faire. Avant, c’était le théâtre, aujourd’hui, c’est la télé. Ce que tu as envie de faire, fais-le.
Un grand merci, Serge Boucher!
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Si vous n’avez toujours pas regardé la série Feux, vous pouvez le faire sur ICI Tou.tv en suivant ce lien.
La série Fragile est diffusée les lundis à 21 h sur ICI Télé et est sur ICI Tou.tv.
À bientôt pour un autre billet de la série Secrets de scénariste!