Télé et confinement : discussion avec France Beaudoin
Comment est-ce que les artisans et artisanes de notre télévision vivent et travaillent durant cette crise?

L’animatrice et productrice France Beaudoin sait se retrousser les manches quand le destin frappe. Elle a réussi l’improbable défi, avec toute son équipe, de monter une émission spéciale d’En direct de l’univers pour la fête des Mères, un événement télévisuel fort essentiel en ce moment de solitude pour beaucoup de familles. Elle s’apprête également à diffuser le plus grand bal des finissants et finissantes du Québec avec le Bal Mammouth. Comment cette grande rassembleuse qui carbure au contact humain réussit-elle à mener ses projets dans ce contexte pandémique durant lequel on doit travailler en solo?
Un texte de Lisa Marie Noël
L’animatrice et productrice France Beaudoin sait se retrousser les manches quand le destin frappe. Elle a réussi l’improbable défi, avec toute son équipe, de monter une émission spéciale d’En direct de l’univers pour la fête des Mères, un événement télévisuel fort essentiel en ce moment de solitude pour beaucoup de familles. Elle s’apprête également à diffuser le plus grand bal des finissants et finissantes du Québec avec le Bal Mammouth. Comment cette grande rassembleuse qui carbure au contact humain réussit-elle à mener ses projets dans ce contexte pandémique durant lequel on doit travailler en solo?
Depuis que la pandémie a commencé, qu'est-ce qui vous a le plus étonnée?
France Beaudoin : C’est de voir à quel point on n’a pas vu venir le train. Tout à coup, du jour au lendemain, on a vu les choses qui s’accéléraient. Juste avant, on était en semaine de relâche, dans un chalet, avec ma mère, ma sœur, mes enfants, collés sur le divan. On entendait les cas en Chine, mais on n’a tellement pas cet historique-là, nous, comme société. C’était tellement pour les autres, cette affaire-là.
Ce qui m’a confrontée, comme tout le monde, c’est évidemment les gens qui nous quittent sans au revoir, sans être accompagnés, sans le rituel de départ qu’on fait habituellement. Je pense aux impacts qui suivront pour l’entourage. Ça doit rester dans ta tête. Pour moi, c’est la pire affaire!
Du côté du travail, il y a l’insécurité qui est encore là... Des fois, j’essaie de me mettre à la tâche et je n’y arrive pas.
Il y a quelque chose d’ambiant que je ne suis pas capable de nommer qui fait que certains jours, tu es capable de lire, d’autres jours, tu n’es pas capable; ou certains jours, tu es capable de créer, et d’autres fois, tu n’es pas capable.
Quel est votre principal défi professionnel dans ce contexte?
France Beaudoin : C’était de faire En direct de l’univers sans public, de continuer de chanter et de garder le chœur malgré la distance.
On a eu le bon flash de se mettre dans les plexiglas, ç’a sauvé la donne. Ce qui nous rassure, c’est qu’avec chaque bon flash, il y a plein d’avenues qui s’ouvrent. Par exemple, si on enlève le public, ça nous donne une plus grande scène, etc.

J’avais tellement hâte de revoir les gens. Quand on est rentrés le premier matin, j’ai vu plein de monde avoir le motton. On n’avait pas réalisé qu’en arrivant, on ne pourrait pas se sauter dans les bras. Même si on le savait théoriquement, la réalité nous frappait quand on voyait les flèches de direction par terre. Il fallait aller contre tous nos réflexes.
Le moment le plus beau pour moi, c’est quand on s’est mis à chanter. Quand la musique est partie, tout de suite la chaleur est arrivée. J’ai vu tout le monde sur scène, les choristes et les techniciens se regarder et se dire : OK, ça passe.
Tout le monde avait peur que la chaleur qui caractérise le show ne soit pas au rendez-vous. Mais tout le monde a senti que ça passait. On a été rassurés.
Qu'est-ce qui vous aide dans toute cette crise?
France Beaudoin : Ce qui m’aide, c’est de ne pas chercher à refaire ce qu’on appelle la normalité, de ne pas chercher à faire comme avant. Ça me fait beaucoup de bien. Parce que sinon je suis tout le temps déçue. Je me concentre sur ce que je peux faire aujourd’hui. On a vu qu’en juste deux semaines, des choses deviennent possibles.
La société va forcément être modifiée dans les prochaines années : qu'est-ce qui vous enthousiasme le plus dans ces changements, et qu'est-ce qui vous fait le plus peur?
France Beaudoin : Ce qui me fait peur, c’est l’inconnu. S’il y a une affaire qu’on a bien apprise, c’est qu’on ne sait pas ce qui peut arriver, tabarouette! On ne le sait pas!
Mais mon espoir est dans l’humain. On s’est trouvé d’autres façons de faire et on va trouver encore. On va vivre différemment.
Je ne suis pas jovialiste. Je ne suis pas capable de dire que tout va bien aller, mais je vois les victoires.
Je vois aussi des gens se lever autour de moi, avoir une solidarité exceptionnelle, des gens qui ont une humanité et une empathie envers d’autres qui perdaient leur job ou des proches. Je trouve ça beau et touchant. Je me connecte à ça.
Vous faites de la télé pas comme d'habitude. Mais une fois que ce sera fini, est-ce qu'il y a quelque chose que vous faites en ce moment que vous aimeriez garder?
France Beaudoin : Ce qui n’est pas inintéressant, c’est cette espèce de dépouillement dans nos émissions. On se présente beaucoup plus naturel, dans notre spontanéité et dans notre vulnérabilité. Il y a plein de choses qui sont devenues pas graves, comme de quoi j’ai l’air à l’écran ou dans notre façon de présenter. On va plus dans l’essentiel, dans le direct. Ce n’est pas inintéressant d’aller toucher à ça et de voir que ça se fait quand même et qu’on est bien là-dedans.
Quel est le message que vous aimeriez lancer à votre auditoire?
France Beaudoin : Merci! Je veux les remercier de ce qu’on a vécu (notamment à la fête des Mères). Je n’ai jamais reçu autant de commentaires de ma vie! Merci d’avoir embarqué avec nous dans cette proposition-là.
On a la chance sur En direct de l’univers d’avoir un public qui est très fidèle depuis 11 ans. On sent que c’est un public qui nous permet l’erreur et qui comprend notre fébrilité et notre vulnérabilité de pousser la machine en direct, d’essayer toutes sortes d’affaires et qui comprend combien on a le goût de lui en donner.
Il nous permet le risque et ne nous en tient pas rigueur quand on se trompe. C’est une liberté qui vaut bien cher.
On savait qu’on sautait en bungee, mais dans un environnement bienveillant.
Est-ce que le contact physique et la proximité ont pris une autre valeur pour vous?
France Beaudoin : C’est sûr que ça me manque. S’il y a une affaire qu’on me reproche en entrevue, c’est de ne pas arrêter de toucher au monde. C’est sûr qu’il va falloir que je me gère. En même temps, on découvre d’autres moyens de se connecter. [Lors d’En direct de l’univers] on a eu un contact direct dans les yeux avant d’aller en ondes et le courant passait. Il n’y avait pas de parasite sur la ligne.
Plusieurs personnes trouvent des façons de faire, comme s’enlacer dans du plastique... Je me dis : « Quelle époque étrange, my God. » En même temps, je les trouve bonnes parce qu’elles ont trouvé une solution.
Compléments :
Entrevue avec France Beaudoin à Tout le monde en parle
Télé et confinement : Discussioin avec Serge Denoncourt
Télé et confinement : Discussion avec Anne-Marie Dussault
Télé et confinement : Discussion avec Jean-René Dufort
Télé et confinement : Discussion avec Guy A. Lepage
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