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Ça date pas d’hier vous invite à voyager dans le temps et les archives pour faire le pont entre l’actualité d’hier et d'aujourd'hui. Les enjeux ont-ils tant changé? À vous de le découvrir!
Catherine Lachaussée
Aussi passionnée que curieuse, Catherine Lachaussée a fait sa marque à la barre de nombreuses émissions de radio et de télévision à Radio-Canada avant de plonger avec enthousiasme dans ce nouveau projet web qui réunit deux de ses grandes passions : l’actualité et l’histoire.
De rares aquarelles font revivre un bal costumé du 19e siècle
Les aquarelles de Rutherford montrant un bal costumé sur glace lors d'un carnaval du 19e siècle ont une valeur inestimable. Photo : Courtoisie / Musée Royal 22e Régiment/Tous droits réservés
La popularité croissante du patin au Canada a entraîné l’apparition d’une nouvelle mode au 19e siècle : les bals costumés sur glace. Pour une des toutes premières fois, de rares aquarelles d’un bal costumé de 1873 permettent de lever le voile sur l’un des événements les plus populaires de nos anciens carnavals.
Un texte de Catherine Lachaussée
Les images font à la fois sourire et rêver. Elles sont aussi très rares : 13 aquarelles de patineurs en costume ayant pris part au bal sur glace d’un vieux carnaval. Elles datent de 1873, ce qui les place parmi les plus anciennes représentations du genre. Le Musée du 22e Royal Régiment ne les a diffusées qu’une seule fois auparavant, lors d’une courte exposition virtuelle.
Un patineur déguisé en cocher, avec son fouet, filant à toute allure Photo : Musée Royal 22e Régiment/Tous droits réservés
Leur auteur, Robert W. Rutherford, était officier de la Batterie B, alors cantonnée à la Citadelle de Québec. Ses talents militaires se doublaient d’un vrai talent d’artiste, ce qui fut le cas pour bien des officiers du temps. Mais son attirance pour les scènes du quotidien le place dans une classe à part. Ses personnages sont particulièrement évocateurs. Ils semblent pleins de vie sur la glace, et pour la plupart, sont très drôles.
Le patineur déguisé en bouteille de bière ne devait pas y voir grand-chose, à en juger par la petite fente à hauteur des yeux dans son costume. Photo : Musée Royal 22e Régiment
Le côté cocasse de plusieurs de ces aquarelles contribue d’ailleurs à en faire un témoignage précieux, en montrant que dans ces premiers bals costumés sur glace, l’humour était aussi au rendez-vous. Les patineurs n’étaient pas seulement là pour se montrer dans leurs plus beaux atours. Ils aimaient aussi jouer la comédie.
Le costume élaboré de théière avec son sachet semble avant-gardiste pour l'époque. On le croirait presque sorti d'un spectacle contemporain. Photo : Musée Royal 22e Régiment
La bouteille de bière et la théière traînant son petit sachet d’infusion ont sûrement fait la joie des spectateurs. En la regardant, on pense immanquablement à Disney on Ice et à l’un de ses spectacles le plus populaires, La belle et la bête.
Un bal au Skating Rink de Grande-Allée?
L’endroit précis où s’est déroulé le bal n’est pas désigné, même si on sait qu’on est bien à Québec:
On peut imaginer qu’on est au Quebec Skating Rink, sur Grande Allée, et que parmi les personnages des aquarelles, on a des gens du Club des patineurs de Québec
La construction de cette patinoire intérieure remontait à 1862. Il est donc tout à fait plausible que ce bal costumé sur glace s’y soit déroulé. Et les militaires, installés tout près, étaient souvent de l’aventure, ne serait-ce que pour l'accompagnement musical. Ces bals étaient toujours accompagnés de la fanfare de la garnison, rappelle Dany Hamel.
En 1873, la fanfare de la Batterie B était d'ailleurs une habituée des lieux. Elle offrait deux spectacles par semaine au Skating Rink, les jeudis après-midi et les samedis soir. Même si on était à l'intérieur, on offrait parfois du café aux dames au milieu de la représentation, pour leur permettre de se réchauffer.
Des patineurs sur la glace du Saint-Laurent, à Québec, vers 1894. Plusieurs sont costumés pour le carnaval. Photo : Musée de la Civilisation/Supplément du Quebec Daily Télégraph pour le Carnaval
Un premier bal costumé sur le fleuve!
Le bal de 1873 pourrait-il aussi s'être déroulé à l'extérieur? Il y avait eu des précédents. L’un des premiers bals costumés sur glace de Québec remonterait à 1866, et c’était un bal en plein air.
Il avait été organisé au Globe Rink, une vaste patinoire située en plein fleuve, à la hauteur de l’actuel secteur des traversiers. Montréal tenait les siens au Victoria Rink, mais dans la capitale, ce genre d’événement était nouveau, et l’excitation était à son comble. Beaucoup de gens s’étaient mis à la chasse au meilleur costume, et apparemment, en trouver n’avait pas été facile.
La description que fait un journal du temps de ce premier bal costumé est enlevante.
Peu après 7 heures [19 h], des milliers de gens s’étaient mis en route vers l’événement. Les rues partant des faubourgs Saint-Jean et Saint-Roch donnaient l’impression d’une procession religieuse. Les rues de la Montagne et Saint-Pierre racontaient la même histoire : tout le monde s’en allait à la mascarade!
Entre 4000 et 5000 spectateurs s’étaient rassemblés autour de la glace pour voir glisser, sous la lune de février, une centaine de patineurs, dont une bonne moitié en costumes. La foule, enthousiaste, n’hésitait pas à empiéter sur la glace. Tout autour, il y avait des cabines pour se changer, et des kiosques où l’on offrait de quoi se désaltérer.
Bal costumé sur glace du carnaval au Victoria Rink, à Montréal, en 1870. Photo : Courtoisie / Musée McCord/William Notman
Le blackface a mauvaise presse
Robes de femmes écourtées, collants seyants moulant les jambes… Les bals costumés étaient souvent l’occasion de s’affirmer et de lâcher son fou, mais l’époque victorienne avait quand même ses limites et le blackface suscitait déjà de la réprobation dans certains milieux.
Lors d’une grande soirée costumée présentée par le Club des patineurs de Québec, en 1877, le règlement était clair. Un avis paru dans Le Courrier du Canada en janvier précisait que le travestissement était interdit, tout comme le port d’habits religieux, et qu'on ne pouvait représenter de Noirs sans permission formelle du comté.
Un personnage arborant un «blackface» se sert d'un banjo pour se moquer d'un autre costumé en Oncle Sam, dans une des aquarelles de Rutherford. Photo : Courtoisie / Musée Royal 22e Régiment/Tous droits réservés
On peut donc imaginer que les personnages afro-américains illustrés par Rutherford ne passaient plus la rampe quelques années après le fameux bal de 1873. Pendant ce temps, les costumes orientaux, asiatiques et autochtones demeuraient toujours aussi populaires. Ils avaient beau être caricaturaux, ils ne semblaient pas soulever les mêmes critiques.
Un petit tour chez le photographe?
Les amateurs de bals costumés pouvaient passer des mois à préparer leur costume. C’était souvent l’événement phare de la saison, et certains magazines regorgeaient de suggestions. Les gens étaient nombreux, parmi les plus riches, à profiter de l’occasion pour se faire tirer le portrait.
Jules Tessier, député de Portneuf, chez le photographe avec son costume de chasseur patriotique et ses patins. L'élite du 19e siècle raffolait de ce genre de souvenirs. Photo : BAnQ
Les photographes ne couraient pas les événements à l’époque. Il fallait se déplacer en studio, où l’on avait pris soin de créer un décor approprié. Pour obtenir un portrait de groupe, la photo de chaque participant était découpée avant d’être assemblée avec les autres. En photographiant ce collage, on obtenait un composite. Plusieurs photographes célèbres en ont fait une spécialité.
En s’inspirant des bals costumés en vogue chez les nobles, les bals sur glace ont peut-être permis de démocratiser un peu la tradition. Contrairement aux bals traditionnels, où tous les invités étaient triés sur le volet, ils étaient plus ouverts. Les spectateurs étaient souvent les bienvenus. Lors de certains événements, il arrivait même que l’admission soit gratuite, tant qu’on était costumé!
Les patineurs ne manquaient pas d'imagination pour leurs costumes carnavalesques de bals sur glace. Cette fois, on est en 1901, toujours au Victoria Rink. Photo : BAnQ
Une mode qui passe
Les bals sur glace semblent avoir complètement disparu avec l’arrivée du 20e siècle. Selon l’historien Jean-Marie Lebel, le manque de relève chez les organisateurs a pu jouer, mais on dirait surtout que la mode a fini par passer. Les patinoires ont alors trouvé un nouveau statut. Le sport-spectacle apparaît dans les années 1890, rappelle l’historien.
On pense au hockey, bien sûr, mais aussi au patin sportif, devenu de plus en plus compétitif. Les bals costumés sur glace ne semblent plus survivre aujourd’hui que dans un mode : le spectacle. Mais il suffirait peut-être d’un organisateur pour les faire renaître le temps d’un soir, au prochain Carnaval, ou — qui sait? —, dans un aréna près de chez vous!
Sources:
Dany Hamel, conservateur au Musée Royal 22e Régiment
"Sketches of some of the costumes of the Carnival 1873", Robert William Rutherford
BAnQ, banque de journaux du temps
Gabriel Martin, rédacteur technique, Université de Sherbrooke