12 demeures de premiers ministres à découvrir dans le Vieux-Québec
Saviez-vous qu’un nombre étonnant de premiers ministres québécois ont eu leur résidence dans le Vieux-Québec? Ça date pas d’hier propose un circuit et une carte interactive pour les découvrir, que ce soit dans le confort de votre salon ou en parcourant les rues à l'aide de votre téléphone intelligent!
Avant de loger dans l'appartement de fonction de l'édifice Price, en plein coeur du Vieux-Québec, nos premiers ministres ont été propriétaires de nombreuses maisons depuis la nomination du premier d'entre eux, en 1867. Sauriez-vous dire lesquelles?
22, rue Sainte-Anne : Pierre-Joseph-Olivier Chauveau (1867 à 1873)
La visite commence au 22, rue Sainte-Anne, une belle maison du Régime français, de 1732, où Pierre-Joseph-Olivier Chauveau vécut tout son mandat de premier ministre. Il l'occupait depuis l'enfance et y finira aussi ses jours. On l'a sans doute rehaussée d'un étage vers 1750. Voisine de la rue du Trésor, elle a abrité un musée de cire pendant une partie du 20e siècle.
Son mur coupe-feu et son toit de tôle à deux versants sont typiques du Vieux-Québec : Les ordonnances pour lutter contre les incendies ont largement modelé l’architecture à l’intérieur des murs
, rappelle Martin Dubois, consultant en architecture chez Patri-Arch. Les bardeaux de cèdres utilisés à la campagne y étaient proscrits pour éviter que le feu ne se propage de toit en toit.
De sa demeure, Chauveau n’avait que quelques pas à faire pour se rendre au parlement, alors situé en haut de la côte de la Montagne.
16, rue Mont-Carmel : Lomer Gouin (1905 à 1920)
Le 16, rue Mont-Carmel, a été la résidence de Lomer Gouin pendant une bonne partie de son mandat, de 1910 à 1920. Cette jolie maison de pierres a été convertie en petit hôtel au début des années 1930. Longtemps menacée de destruction par un projet d’agrandissement du stationnement du Château Frontenac, elle a été épargnée, le projet ayant été abandonné.
La vie de château de nos premiers ministres
Commencé en 1892 — sa tour centrale ne sera ajoutée qu’entre 1920 et 1924 —, le Château Frontenac servira de refuge à de nombreux premiers ministres. De tous les hôtels où ils logeront, ce sera de loin le plus populaire. Louis-Olivier Taillon y vivra un certain temps au 19e siècle, alors que le Château est encore tout neuf.
Maurice Duplessis redémarre le bal à la fin des années 1930. Il occupe la suite 1207, au 12e étage, à temps plein et reçoit si souvent ses ministres à la bibliothèque du Champlain que le Château prend des airs d’annexe de l’Assemblée nationale sous son règne. Les premiers ministres Paul Sauvé, Antonio Barrette, Robert Bourassa et les Johnson (père et fils) sont d’autres célèbres locataires du Château Frontenac.
2 et 12, rue Saint-Denis : Henri-Gustave Joly-de-Lotbinière (1878 à 1879)

Henri-Gustave Joly-De Lotbinière habite le 2, rue Saint-Denis pendant son bref mandat. Il y demeure jusqu’en 1883. Une plaque commémorative rappelle son passage en façade de l’immeuble, aujourd’hui classé par le ministère de la Culture et des Communications.
En 1908, il emménage au 12 de la même rue et y mourra dans l’année.
Le 12 est en fait un duplex, fait remarquer Martin Dubois. À l’époque, on collait souvent deux maisons pour leur donner une façade plus monumentale. On pouvait ainsi réunir jusqu’à quatre maisons pour créer une impression plus grandiose.
Toutes les maisons de la rue Saint-Denis sont d’influence londonienne. Du temps du Régime français, la rue n’était qu’un vaste champ.
6, rue de Brébeuf : Honoré Mercier (1887 à 1891)

La maison occupée par Honoré Mercier au 6, rue de Brébeuf a beau paraître modeste, c'est bien la demeure d'un ancien premier ministre. Elle remonte à 1882. Son revêtement de brique jaune, surnommé brique d'Écosse, est répandu dans le Vieux-Québec. En fait, la brique venait soit d’Écosse, soit de quelque part dans les îles Britanniques
, précise Dubois.
Québec était à l’époque un port majeur et un important fournisseur de bois pour l’Angleterre. Les bateaux partaient d’Angleterre chargés de briques et revenaient de Québec chargés de bois, ce qui permettait de lester les navires et de rentabiliser le voyage.
Le Vieux-Québec : centre politique et intellectuel de la ville?
Pourquoi nos premiers ministres ont-ils été si nombreux à habiter le Vieux-Québec? Il faut se souvenir de ce que fut le secteur avant les années 1920 pour l'expliquer. Le Vieux-Québec était le centre politique et intellectuel de la ville
illustre l’historien Jean-François Caron. Jusqu’à ce qu’il passe au feu en 1883, même le parlement était situé à l’intérieur des murs, contribuant à attirer députés et ministres.
Les journaux y avaient leurs bureaux, ainsi que nombre de communautés religieuses. L'Université Laval s’y trouvait encore, jusqu’à la construction du campus de Sainte-Foy, dans les années 1950. Marchés publics, librairies, boutiques et restaurants huppés achevaient d’en faire un milieu de vie dynamique, bien différent du lieu essentiellement touristique d’aujourd’hui.
48, rue Sainte-Geneviève : Joseph-Alfred Mousseau (1882 à 1884)

L’influence britannique se fait encore sentir au 48, rue Sainte-Geneviève, comme dans le reste de la partie ouest du Vieux-Québec, développée sous le Régime britannique. C’est d’ailleurs le style qui domine dans l’ensemble du Vieux-Québec, contrairement à ce qu’on imagine souvent
, rappelle Martin Dubois.
L’ancienne maison du premier ministre Mousseau a été construite en 1848 par Charles Baillairgé, un architecte renommé qui a joué un rôle important à la ville en tant qu’ingénieur civil. Elle est sobre, mais des détails luxueux — pierre de taille en façade, belles portes avec cintre — lui confèrent un cachet particulier.
91 Bis, rue D'Auteuil : René Lévesque (1976 à 1985)
René Lévesque a occupé pendant une partie de son mandat un appartement de six pièces et demie situé à l’étage d’une belle maison de pierres de la rue D’Auteuil. Le bâtiment remonte à 1830 et il est d’inspiration londonienne, mais l’idée d’une adresse bis est très parisienne
, s’amuse Martin Dubois. Le bis d’une adresse est ajouté quand une entrée est ajoutée entre deux autres.
Cette maison à deux pas du parlement permettait à Lévesque de se rendre au travail en passant sous la porte Saint-Louis, un trajet qu’il affectionnait. Les belles boiseries en façade sont d’origine, mais les lucarnes dans le toit sont plus récentes.
58, rue Sainte-Ursule : Gédéon Ouimet (1873 à 1874)
Le 58, rue Sainte-Ursule, où vécut Gédéon Ouimet jusqu’en 1878, est typique de la fin du Régime français avec son mur coupe-feu et son toit à deux versants, mais elle a sans doute été modifiée sous le Régime britannique, pense Martin Dubois. Un indice? La porte d’entrée donnant directement sur l'escalier intérieur, très haute et alignée sur les fenêtres. C’est un classique sur les rues plus récentes du Vieux-Québec, comme Sainte-Geneviève, Saint-Denis ou D’Auteuil, et un détail typique des maisons londoniennes.
Des rénovations plus récentes lui ont permis de retrouver sa fenestration d’origine.
25, rue Sainte-Ursule : Félix-Gabriel Marchand (1897 à 1900)
Quand il devient premier ministre à son tour, Félix-Gabriel Marchand s’installe au 25, rue Sainte-Ursule, dans une maison néo-classique de 1825. Plus spacieuse que le 58 et très symétrique, elle est typique de la belle maison de ville britannique. Son toit à quatre versants a aussi l’avantage de permettre l’installation d’un dernier étage complet, ce que ne permet pas le toit à deux versants du Régime français.
La maison appartenait à son gendre. C’est dans cette maison qu’il sera exposé alors qu’il meurt en exercice, en septembre 1900.
L'appartement de fonction de l'édifice Price : un compromis
Depuis 2001, de Bernard Landry à François Legault, tous les premiers ministres du Québec ont logé à l’édifice Price, dans un appartement de fonction situé aux 16e et 17e étages. À ce jour, c'est le meilleur compromis qu'on ait trouvé pour pallier l'absence de résidence officielle du premier ministre à Québec.
Propriété de la Caisse de dépôt et placement du Québec, l’édifice avait été érigé pour accueillir le siège social de la Price Brothers, riche compagnie spécialisée dans le commerce du bois. Outrée par son gabarit, la ville avait adopté un règlement sur la hauteur des bâtiments du Vieux-Québec par la suite.
Considéré comme l’un des plus anciens gratte-ciel au Canada, ce superbe édifice de style Art déco a été construit de 1929 à 1930, en plein krach boursier. On l’a élevé à une telle cadence que le premier fournisseur, Saint-Marc-des-Carrières, a peiné à produire les pierres assez vite. Une carrière ontarienne a été appelée en renfort.
15 et 9, rue Hamel : Edmund James Flynn (1896 à 1897)

Les 15 et 9, rue Hamel, sont signés Baillairgé-Peachy, un tandem d’architectes célèbre à l’époque. Toutes deux ont appartenu à Edmund James Flynn, qui semble avoir apprécié le secteur, voisin de la rue des Remparts. Le 15 ressemblait sans doute davantage au 1 de la même rue, selon Martin Dubois. On y a ajouté plus tard un étage et un toit plat. On reconnaît l’influence britannique et le style néo-classique typique des maisons londoniennes, ainsi que la fameuse brique écossaise si populaire dans le Vieux-Québec.

Flynn a habité le 15 dès 1881. Son mandat de premier ministre terminé, il emménage au 9, aussi connu pour avoir abrité l’ancien consulat américain. Il y vivra jusqu’à sa mort, en 1927. On remarque la haute porte vitrée donnant sur l'escalier intérieur, caractéristique du style et de l'époque.
49, rue des Remparts : Lomer Gouin (1905 à 1920)
Le 49, rue des Remparts, est connu comme la maison Montcalm (il y aurait eu ses quartiers), mais Lomer Gouin y a aussi vécu de 1905 à 1910. Le bâtiment, qui remonte à 1725, a été harmonisé avec le 45 et le 47, mais il s’agissait au départ de trois maisons bien distinctes.
Le revêtement de bois est une rareté dans le Vieux-Québec. On l’avait interdit pour éviter les incendies, mais une rénovation d’exception a permis de recourir au matériau d’origine.
La vue sur le port, aujourd’hui si recherchée, n'a pas toujours été aussi magnifique. De 1800 à 1873, la maison donnait plutôt sur un mur. Les remparts d’origine, hauts de 3 mètres, ont été abaissés sur la rue à la fin du 19e siècle à la demande de certains résidents au moment où Lord Dufferin lançait ses travaux de réhabilitation sur les fortifications.
Quelques perles hors des murs...
Le circuit des résidences de nos premiers ministres a aussi rayonné en dehors des murs du Vieux-Québec. Voici quatre demeures d'exception toujours visibles aujourd'hui si vous êtes curieux d'en voir plus!
523, rue Saint-Vallier Ouest : Simon-Napoléon Parent (1900 à 1905)
L’une des plus belles maisons de Saint-Sauveur, le 523, Saint-Vallier Ouest, a été construite pour Simon-Napoléon Parent. Elle est signée Georges-Émile Tanguay, celui-là même qui construira l’hôtel de ville en 1896, alors que Parent cumulait les fonctions de maire et de premier ministre du Québec.
Son toit mansardé Second Empire, sa tour carrée de style néo-italien et les détails foisonnants de ses boiseries et corniches sont un mélange de styles typique de l’ère victorienne.
Parent est le seul premier ministre à avoir résidé en basse-ville, ce qui témoigne de sa fine connaissance de la ville, selon l’historien Frédéric Smith, à qui l’on doit une recension de toutes les demeures de premiers ministres de la province, réalisée au début des années 2000.
425, Grande Allée Est : Louis-Alexandre Taschereau (1920 à 1936)
D’influence victorienne et construite en 1899, l’ancienne maison de Taschereau est une autre maison patrimoniale faisant preuve d’un beau mélange de styles. Reconnaissable au portail à fronton de l’entrée, le néo-colonialisme domine, alors que la tourelle et le pignon en façade sont typiques du style Néo Queen Anne.
La maison est proche du parlement. Taschereau avait d'ailleurs la réputation de faire le chemin jusqu’au bureau avec une telle ponctualité que certains gardiens avaient pris l’habitude d’ajuster leur montre à son arrivée, chaque matin, à 8h.
1175 Bougainville: Jean Lesage (1960 à 1966)

La maison où vécut Jean Lesage durant son mandat est un duplex anglais classique des années 1920 de la rue Bougainville, à deux pas des Plaines d'Abraham, dans le quartier Montcalm. La large galerie et les piliers de pierre font partie de ses jolis détails.
Le quartier était en plein développement au moment de sa construction. C’était la banlieue de l’époque, et un secteur couru des professionnels et des familles aisées — juges, avocats, médecins. Lesage s'est fait un plaisir d'y recevoir invités et ministres alors qu'il était premier ministre.
1080, avenue des Braves : Jacques Parizeau (1994 à 1996)

Le 1080, avenue des Braves, est la dernière maison de Québec à avoir été occupée par un premier ministre en fonction. Même s’il n’en était pas propriétaire — la Chambre de commerce de la ville l’avait acquise pour la mettre à sa disposition — Jacques Parizeau sut en faire un authentique lieu de vie doublé d'une dynamique résidence officielle durant son mandat, y organisant de nombreuses réceptions et y recevant chaque semaine. L'aventure durera deux ans.
La maison, de style néo-Tudor, reconnaissable à son crépi et ses faux colombages, est directement inspirée des manoirs anglais.
SOURCES
- Les résidences des premiers ministres du Québec, Frédéric Smith, historien
- Martin Dubois, consultant en architecture, Patri-Arch
- Les lieux de résidences des premiers ministres de 1867 à 1920, Les lieux de résidences des premiers ministres de 1920 à aujourd’hui, Jocelyn Saint-Pierre, Bulletin de la Bibliothèque de l’Assemblée nationale
- Jean-François Caron, historien
- Benoît Fiset, responsable du recensement patrimonial pour la ville de Québec