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La bataille des vaccins : une histoire de la vaccination au Québec

La course contre la montre pour trouver un vaccin à la COVID-19 est un nouveau jalon dans l’histoire de la vaccination. Une histoire qui a connu bien des rebondissements au Québec, de la guerre d’indépendance américaine aux émeutes de Montréal.
Si le premier vaccin a été inventé en 1796, c’est grâce à Edward Jenner, un intuitif médecin de campagne anglais. Et c’était pour combattre la variole.
Bien d’autres maladies faisaient alors des ravages, comme la diphtérie et la grippe. Mais la terreur suscitée par la variole avait peu d’équivalents. Elle pouvait tuer un malade sur trois. Elle touchait surtout les enfants et les adolescents. Les survivants restaient parfois défigurés par les cicatrices ou à moitié aveugles. Elle n'avait jamais disparu de France et d'Angleterre. Tous les 10 ou 20 ans, elle ressurgissait sous forme d’épidémie dans les colonies.

La variole était terriblement contagieuse. Elle semblait se répandre à la vitesse d’un feu de forêt. Quand elle frappe Québec pour la première fois en 1702, il aura suffi d’un autochtone revenu infecté de l'État de New York pour contaminer toute la ville. En quelques mois, les morts se comptaient par centaines. Un vrai désastre pour une colonie de quelques milliers d’habitants.

Jenner était observateur. Il avait remarqué que les fermiers chargés de la traite des vaches semblaient miraculeusement épargnés lors des épidémies de variole, et noté la présence de petites cicatrices sur leurs mains. Elles étaient typiques de la vaccine, le nom qu’on donnait à la variole des vaches, une forme bénigne de la maladie. Son idée, prélever de la vaccine des vaches pour l’injecter à un sujet sain, allait donner son nom au vaccin et révolutionner la médecine.

L'inoculation : un pari risqué
Le vaccin mis au point par Jenner offrait une alternative à une pratique plus ancienne et beaucoup plus risquée : l'inoculation. Le traitement consistait à s'administrer de la matière — souvent séchée — tirée de pustules de varioleux en la respirant par le nez ou en se la faisant injecter sous la peau avec une lancette.
C'était potentiellement mortel, mais l'infection contractée était atténuée par rapport à une infection naturelle, explique Gary Kobinger, directeur du Centre de recherche en infectiologie de l'Université Laval.
Le risque d'en mourir était réduit à 2 %.
L'inoculation s'était répandue de la Chine à l'Afrique, puis dans tout l'Empire ottoman. Au début du 18e siècle, elle était connue des Européens et présente en Amérique, nous apprend Rénald Lessard, spécialiste de l'histoire du Régime français et archiviste à Bibliothèque et archives nationales du Québec (BanQ).
Quand il arrive au Québec en 1756, Montcalm a déjà réfléchi à la question de l'inoculation. Mais il ne croit pas que le terrain soit propice en ce qui concerne la population, ni chez les autochtones, ni chez les Canadiens français.
Le procédé était beaucoup plus populaire aux États-Unis, même s'il restait controversé. Il sera largement utilisé lors d'une grave épidémie de variole en 1721, à Boston. Plusieurs Américains célèbres du temps, comme le futur président Jefferson, se sont fait inoculer avec toute leur famille. Mais l'un des inconvénients du traitement est qu'il coûtait cher. Il impliquait qu'on passe plusieurs semaines sans travailler, ce que peu de gens pouvaient se permettre. L'inventeur Benjamin Franklin militait d'ailleurs en faveur d'une inoculation accessible aux plus pauvres.

Il fallait aussi s'isoler si on ne voulait pas rendre ses proches malades. C'était un gros problème. Les gens inoculés devaient se soumettre à une période de quarantaine. Tous ne la respectaient pas
, précise Rénald Lessard, en rappelant le cas d'une femme qui s'était vantée d'être allée à la messe dès le lendemain de son inoculation, au risque de contaminer toute la paroisse.
Une guerre gagnée, de Québec à Washington
Selon l'historien Rénald Lessard, l'un des épisodes les plus marquants de l'histoire de l'inoculation s'est en partie joué à Québec.
Lorsque la ville est assiégée par les Américains en 1775, l'armée de Georges Washington est touchée par une épidémie de variole si grave qu'elle l'oblige à battre en retraite. Pour Washington, qui avait vu ses troupes affaiblies par des éclosions antérieures, c'est la goutte qui fait déborder le vase. En 1777, il ordonne l'inoculation de toute son armée — une première qui inspirera plusieurs états par la suite.
Les Britanniques étaient largement immunisés contre la variole alors que les Américains y avaient été peu exposés. On a même soupçonné les Britanniques d'avoir sciemment contaminé l'armée américaine. On n'était peut-être pas loin d'une guerre bactériologique
, précise l'historien.
Le pari était risqué. Il a sans doute coûté la vie à quelques soldats. Mais il aura été payant. Il a sans doute joué un rôle clé dans la victoire de Washington dans la guerre d'indépendance.

Les premières campagnes de vaccination publique
Jenner se doutait bien que l'idée d'utiliser une souche non mortelle de la variole pour s'immuniser était carrément géniale. En 1798, il fait la démonstration que son vaccin fonctionne. Le jennérisme, un mouvement en faveur de la vaccination, contribuera à le rendre immensément célèbre.
Certains gouvernements n'hésitent pas à lancer très tôt des campagnes de vaccination publique. C'est le cas de la Bavière en 1807, suivie de près par la Suède.
Le Canada pourrait avoir fait partie des précurseurs. On pense que vers 1806, les autochtones ont été soumis à une première vague de vaccination. Contrairement à nombre d'Européens, ils n'avaient aucune immunisation naturelle contre la variole qui les a décimés au 18e siècle
, nous apprend Denis Goulet, professeur associé à la Faculté de médecine de l'Université de Montréal.
En 1845, le conseil municipal de Québec encourage déjà la vaccination. Des médecins recrutés par la Ville l'offrent gratuitement aux plus démunis.

Le 1er janvier 1862, le Canada-Uni décrète la vaccination obligatoire pour tous les enfants de trois mois. Ce sont les villes qui chapeautent les opérations. On doit aussi s'assurer que chaque citoyen reçoive le suivi approprié et un certificat, une fois vacciné. La plupart des journaux semblent s'entendre sur le bien-fondé de la vaccination.
Le vaccin a pourtant ses détracteurs.
Un vaccin qui divise
Dès 1806, la Royal Jennerien Society de Londres, dont le but est d'éradiquer la variole, mène un enquête. On raconte que le vaccin aurait rendu des patients malades. Son efficacité est mise en doute.
Non seulement les rumeurs s'avèrent infondées, mais elles coûtent des vies en discréditant la vaccination rappelle le Quebec Mercury, un journal québécois.
Le débat ne fait que commencer et les médecins sont les premiers à l'alimenter. L'ensemble du corps médical reste largement divisé sur la question durant le 19e siècle
, rappelle l'historien Denis Goulet.
La majorité des médecins ont d'abord été réfractaires à la vaccination parce que c'était nouveau, pas expliqué. Ça leur paraissait bizarre et contre-intuitif d'inoculer une maladie.
Un médecin formé en 1850 avait peu de chances de savoir ce qu'étaient les microbes, encore moins les virus. Certains avaient aussi appris à se méfier des vaccins, dont la qualité était très inégale.

La vaccination sera le premier sujet abordé lors de la fondation de la Société médicale de Montréal en 1876. Si l'élite médicale s'entend officiellement sur le bien-fondé de la vaccination, en coulisses il en va tout autrement. Beaucoup de médecins continuent de s'y opposer. La bataille entre les pro et les anti vaccins trouve d'ailleurs un large écho dans les journaux du temps.
Le débat est particulièrement vif à Montréal. Un médecin de la métropole, Émery Coderre, reproche aux médecins vaccinateurs de profiter des vaccins pour s'enrichir, alors que ses adversaires l'accusent de mettre la population en danger avec ses idées. Il ne vise rien de moins que l'abolition de la vaccination obligatoire, décrétée lors de l'épidémie de 1875.
Du débat aux émeutes
Dix ans plus tard, le débat atteint son apogée.
Montréal fait alors face à l'une des pires épidémies de variole de son histoire. À la fin de l'été 1885, la Ville est complètement dépassée par le nombre de malades. Comme si les choses n'allaient pas assez mal, des vaccins de mauvaise qualité ont obligé les autorités à suspendre la campagne de vaccination en cours.
Cette vaccination obligatoire provoque des émeutes. En septembre, l'Hôtel de Ville est pris d'assaut par des gens en colère, qui cassent des vitres à coups de pierres et tentent de mettre le feu à la maison d'un médecin vaccinateur. L'armée est même appelée en renfort.
Coûteuse en vies humaines, l'épidémie s'avère aussi désastreuse sur le plan économique.

Les théâtres de la métropole sont fermés. Le tourisme est suspendu. Les gens d'affaires sont aux abois. Toronto menace de cesser tout commerce avec la ville à cause de l'épidémie. Des inspecteurs médicaux ontariens débarquent au Québec et mettent la frontière sous haute surveillance. Tous ceux qui veulent la traverser doivent présenter une preuve de vaccination sous peine d'être refoulés. Ces mesures exceptionnelles permettront à l'Ontario de limiter les dommages. La variole n'y fera que 30 victimes, contre plus de 3000 à Montréal seulement.
L'État de New York décrète aussi des mesures d'urgence pour contrôler sa frontière québécoise. Chaque bateau, chaque train est inspecté minutieusement. Tous les voyageurs en provenance du Québec sont soumis à un examen médical.
Même la Ville de Québec restreint l'accès aux voyageurs. Tous sont soupçonnés d'emblée de transporter l'infection. On ne peut plus y entrer sans présenter un certificat prouvant qu'on n'a pas été en contact avec la maladie. L'ambiance est funeste. Chaque jour, on publie le nombre de malades et de lits disponibles dans les hôpitaux.

Un tournant décisif
L'épidémie de variole de 1885 aura du bon. C'est un point de bascule dans l'histoire de la vaccination québécoise. Elle décide la province à se doter d'une loi sur la santé publique et entraîne la création du Conseil provincial d'hygiène. Des bureaux municipaux de santé font leur apparition, et la qualité des vaccins s'améliore.
Le vaccin de Pasteur contre la rage est créé cette année-là. En réussissant à développer une forme atténuée de la maladie en laboratoire, il donne une démonstration convaincante des exploits dont est capable la microbiologie.

De vigoureuses campagnes de sensibilisation sanitaire sont lancées. On a compris l'importance de gagner l'opinion publique. En 1901, la vaccination des nouveau-nés devient obligatoire.
Dans les années 1920, un vaccin contre la diphtérie sauve la vie de milliers d'enfants. La province s'impose même comme un chef de file de la vaccination. C'est en effet à Montréal que sont menés les premiers tests sur le vaccin BCG contre la tuberculose. Plus de 2000 nouveau-nés reçoivent les premiers vaccins par voie orale. Un revirement d'autant plus remarquable que des pays comme l'Allemagne ou les États-Unis étaient alors sceptiques face au vaccin, souligne l'historien Denis Goulet.
La tuberculose fauchait alors des millions de vies et le traitement, en sanatorium, était hors de la portée de bien des bourses.

La campagne de 1920 avait essentiellement reposé sur la sensibilisation des parents. Tous étaient touchés par la tuberculose, et donc bien au fait des risques qu'ils avaient de transmettre la maladie à leur enfant.
L'importance de mettre la population dans le coup
Trop d'historiens ont laissé croire que la population de Montréal était majoritairement opposée à la vaccination en 1885, selon Denis Goulet. Même les journaux de la capitale le laissaient entendre à l'époque.
En fait, les gens ne s'opposaient pas au vaccin comme à l'ensemble des mesures décrétées, jugées autoritaires et invasives, croit-il. On placardait les maisons contaminées. Des pères révoltés n'hésitaient pas à s'armer de leur fusil pour éviter la quarantaine et éviter de voir leurs enfants isolés de leur famille.
Le Brésil a connu le même genre de problème au début du 20e siècle. Le gouvernement avait décrété la vaccination obligatoire contre la variole. La population n'avait pas été mise dans le coup. Les émeutes avaient dégénéré à Rio de Janeiro. Les trains avaient été paralysés. Les émeutiers avaient même coupé l'alimentation en gaz du réseau municipal, plongeant la ville dans le noir.

Un débat toujours vif aujourd'hui
Cette bataille dans l'opinion publique demeure un enjeu majeur aujourd'hui, alors qu'on observe une résurgence de la méfiance envers les vaccins. Les maladies endémiques enrayées en Occident ne sont plus là pour rappeler qu'elles peuvent être une menace, constate Denis Goulet. Même si l'immense majorité des médecins soutient la vaccination, les rares qui résistent bénéficient du puissant effet amplificateur des réseaux sociaux.

Pourtant, s'il existe une preuve scientifique de l'efficacité de la vaccination, c'est bien le vaccin contre la variole, rappelle l'historien. Le dernier cas a été rapporté en 1977.
La variole a complètement disparu grâce aux campagnes de vaccination de l'OMS. Depuis 1981, elle n'existe plus qu'en laboratoire.
Cette victoire éclatante de la vaccination n'empêche par les partisans de l'immunité naturelle d'alimenter le débat. Des parents prêts à organiser des partys de varicelle ou de rougeole pour permettre à leur enfant de contracter la maladie ont défrayé la chronique au début des années 2000.

Le risque de complications en cas d'infection est pourtant bien réel, et potentiellement très grave. Pour un chercheur comme Gary Kobinger, l'analyse du facteur de risque devrait toujours l'emporter.
Présentement, aucun vaccin ne cause un facteur de mortalité plus important que celui de la maladie. Dans le cas de la rougeole, le risque d'en mourir existe. Ce sont les virus qui tuent. Pas les vaccins.
Malgré les pas de géant accomplis dans le domaine, beaucoup de vaccins restent à trouver. On cherche toujours ceux qui auront raison du SIDA, de la dengue et de la malaria. On aimerait aussi en créer un plus efficace contre la tuberculose.

Le vaccin n'en demeure pas moins l'un des outils les plus extraordinaires jamais créés pour lutter contre les épidémies, pense Gary Kobinger. Et c'est toujours le cas en ce qui concerne la recherche d'un vaccin contre la COVID-19. Mais parmi tous les candidats, encore faut-il s'assurer de démarrer avec le bon, analyse-t-il.
Si le vaccin n'est pas performant au départ, s'il ne convainc pas les gens de se faire vacciner, tout le mouvement risque de ralentir, et on risque de perdre des années.