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Ça date pas d’hier vous invite à voyager dans le temps et les archives pour faire le pont entre l’actualité d’hier et d'aujourd'hui. Les enjeux ont-ils tant changé? À vous de le découvrir!
Catherine Lachaussée
Aussi passionnée que curieuse, Catherine Lachaussée a fait sa marque à la barre de nombreuses émissions de radio et de télévision à Radio-Canada avant de plonger avec enthousiasme dans ce nouveau projet web qui réunit deux de ses grandes passions : l’actualité et l’histoire.
Épidémies et santé publique : la petite histoire de l’hygiène au Québec
L'usage du bain regagne la faveur du public au 19e siècle, après des siècles de méfiance envers l'eau. Photo : Publication de Keppler & Schwarzmann, 1883, Bibliothèque du Congrès américain.
Désinfecter. Isoler les malades. Se laver les mains. Si vous vous sentez réceptif aux consignes des autorités publiques pour lutter contre la COVID-19, c’est peut-être parce que le Québec répète les mêmes à chaque nouvelle épidémie, depuis plus d’un siècle.
Un texte de Catherine Lachaussée
À entendre la direction de la santé publique marteler chaque jour qu’il est impérieux de se laver les mains en temps de pandémie, on comprend que le message a beau être simple, il n’est pas facile à faire passer pour autant.
En septembre 1918, alors que la grippe espagnole commençait ses ravages sur le continent, le département d’hygiène publique de Washington, responsable de la santé des citoyens, tenait le même discours : ne pas oublier de se laver les mains et le visage.
Le message pouvait paraître puéril, mais mieux vaut paraître enfants, et éviter une épidémie, insistait-on. On conseillait aussi de faire attention aux gens qui crachaient ou éternuaient en public.
Enfant faisant sa toilette en 1916. Bien des maisons québécoises ne sont pas équipées de baignoires à l'époque, et l'eau chaude demeure longtemps un luxe. Photo : Fonds du Séminaire de Québec, Musée de la Civilisation
Bien sûr, éternuer dans son coude ne serait venu à l’idée de personne, pas plus que de garder une distance de 2 mètres entre soi et les autres. Dans les quartiers ouvriers, on vivait le plus souvent entassés les uns sur les autres.
Les toilettes étaient souvent douteuses et l’eau chaude était considérée comme un luxe. Seuls les bourgeois auraient songé à s’offrir plus d’un bain par semaine. Le service d’hygiène avait du pain sur la planche.
Une bonne couche de crasse pour se protéger des maladies
Qu'elle soit publique ou personnelle, l’hygiène a longtemps été une notion toute relative. Si les Grecs et les Romains appréciaient les bains, le Moyen Âge les avait pris en grippe.
Les épidémies de peste y ont sans doute contribué. Dans l’espoir d’éviter une nouvelle hécatombe, loin de revoir leur hygiène à la hausse, les gens avaient plutôt commencé à se méfier de l’eau en général, et des bains en particulier. On croyait qu’en ouvrant les pores de la peau, ils permettaient à des vapeurs mortelles d’envahir le corps et d’atteindre les organes.
Pendant longtemps, l’eau et le savon serviront donc à nettoyer les vêtements plutôt que les gens, et la propreté sera essentiellement une affaire de lessive.
Une femme occupée à suspendre sa lessive d'une blancheur éclatante, à Drummondville, vers 1900. Photo : Charles Howard Millar, Musée McCord
Les plus riches avaient la chance de pouvoir changer de chemise tous les jours. Les pauvres, eux, en étaient parfois réduits à coucher les enfants durant la journée du samedi afin de laver leur unique chemise pour la messe du dimanche.
C’est seulement au début du 19e siècle que le bain reprend du galon. Des médecins ont commencé à répandre l’idée que l’eau pouvait avoir des vertus thérapeutiques. On découvre que s’y tremper peut même s’avérer excellent pour la santé.
Des bains publics s’ouvrent à Québec, dès 1817. Réservés à l’élite, ils accueillent aussi les dames. Soucieuse de la propreté de sa classe ouvrière, Montréal se lance dans la construction de bains publics en 1880, mais ils sont exclusivement réservés aux hommes.
Les bains publics vont contribuer à la santé publique et compenser les lacunes des installations à domicile, complexes et coûteuses, au cours du 19e siècle. Photo : John Henry Walker, illustration pour magazine, vers 1850, Musée McCord
Les infinis dommages de l’infiniment petit
Pendant longtemps, c’est l’air qu’on rend responsable des épidémies. Plus il pue, plus on craint de tomber malade. La théorie a beau faire autorité depuis le Moyen Âge, certains scientifiques n’y croient guère.
John Snow, un médecin anglais de l’époque victorienne, observe que le choléra fait des ravages dans certains secteurs de Londres, sans toucher les quartiers voisins. Il constate toutefois que seules leurs sources d’eau les distinguent, et que seuls les gens ayant bu de l’eau contaminée tombent malades.
Malgré un travail épidémiologique remarquable, considéré comme le premier de l’ère moderne, personne ne l’écoutera. Il faudra les travaux de Pasteur, à la fin du 19e siècle, pour nous amener à prendre les microbes au sérieux.
Les travaux de Pasteur et leur large diffusion joueront un rôle déterminant dans l'histoire de la santé publique. Photo : Bibliothèque du Congrès américain./Bain News Service photograph collection
Ça a tout changé!, observe Denis Goulet, professeur associé à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal, qui rappelle que plusieurs médecins québécois iront étudier à l’Institut Pasteur.
En isolant la cause de chaque maladie infectieuse, la microbiologie a permis de faire aux autorités publiques des recommandations claires, appuyées sur la science
La femme, ange gardien de la santé publique
Au pays, après une vaccination massive, la variole est mieux contrôlée, mais on continue de craindre le choléra, la tuberculose, le typhus et la diphtérie.
Les statistiques du tout nouveau Conseil d’hygiène de la province de Québec, créé en 1888, donnent aussi naissance à un nouveau combat. Elles montrent que les maladies infectieuses font des ravages chez les tout-petits, même en-dehors des épidémies.
Le combat contre les maladies infectieuses inspirera bien des caricatures au 19e siècle, notamment dans les journaux montréalais. Photo : Caricature du maire de Montréal en 1877, Henri Julien, Musée McCord
À Montréal, près des deux tiers des décès touchaient les enfants de moins de 5 ans en 1891. Le problème est alors essentiellement attribué à l’hygiène déficiente au sein des familles.
Deux journaux scientifiques fondés par des médecins désireux d'éduquer les masses, The Sanitary Journal (1876), et le Journal d’hygiène populaire (1883), vont contribuer à notre éveil collectif aux vertus de la propreté. Intéressés autant par la nutrition que les ravages du tabac, ils vont militer activement pour la santé des enfants.
En phase avec les idées du temps, le Journal d’hygiène populaire relaie tantôt les conseils éducatifs de la comtesse de Ségur, tantôt les instructions données à la préfecture de la police de Paris par nul autre que Louis Pasteur.
Donner aux enfants une bonne nourriture, les protéger de l’action du froid humide, isolement complet du malade. Mesures de désinfection : les crachats, vomissements, le linge, la literie, les ustensiles.
Le message s'adresse aux mères, à qui l’on demande de prévenir la maladie et de traquer les germes. C’est sur leurs épaules que repose la santé de toute la famille.
L'hygiène était un défi dans bien des foyers au tournant du 20e siècle. Pour l'historien Denis Goulet, le vrai problème du temps, c'était la pauvreté. Photo : Family life, John Henry Walker, 1850-1865, Musée McCord
Les limites de l’hygiène… et de la prévention
Les femmes ne seront pas toujours payées cher pour veiller sur la santé de la province, rappelle l’historien Denis Goulet. Des comités féminins bénévoles ont sillonné Montréal pour y présenter des ateliers éducatifs sur l’hygiène et s’assurer d’approvisionner les familles en lait sain.
Leur travail prépare le terrain aux vastes campagnes de prévention du 20e siècle. Ce sont elles qu’on verra sur le terrain, plus que les médecins, jusqu’à la création des CLSC.
Personnel infirmier en campagne de lutte contre la tuberculose. Les femmes ont été particulièrement actives sur le terrain de la prévention. Photo : Jacques Desjardins, 1949, BAnQ
Notre hygiène collective a beau s’être considérablement améliorée, il semble tout de même qu’elle ait ses limites. Du temps de la grippe espagnole aussi, on avait répandu le port du masque et fermé les lieux publics.
Les tests de dépistages sont une arme importante qu’on n’avait pas à l’époque, conclut l'historien. Pour ce qui est de la pandémie actuelle, une fois qu'on aura trouvé le vaccin, il y aura sans doute plusieurs leçons économiques et écologiques à tirer.
Références :
Les débuts de l'éducation sanitaire au Québec, 1880-1901, Georges Desrosiers, Benoît Gaumer
Le mouvement hygiéniste au Québec, Denis Goulet
La prise en charge étatique de l'hygiène publique et des services curatifs : deux parcours distincts, François Guérard
La santé publique, une histoire canadienne, Christopher Rutty dt Sue.C Sullivan
L'hygiène personnelle dans la vallée du Saint-Laurent, Jean-Pierre Hardy et Nicole Castéran
Une histoire du monde sans sortir de chez moi, Bill Bryson, Payot