« Je suis une irrécupérable », dit fièrement Roxane Campeau, sourire en coin, saisissant bien que ce qualificatif est paradoxal pour une artiste qui travaille avec des matériaux récupérés.
Un texte de Anne-Marie Lemay
Toute menue, avec sa voix douce, on peine à imaginer Roxane en train de démolir ses matériaux, de manier la scie ronde et de fouiller dans les cours à scrap… Habituellement, je me fais regarder de travers : qu’est-ce que tu fais icitte!
, rigole Roxane.
Roxane Campeau redonne vie aux clous rouillés et aux objets de métal qui lui tombent sous la main. Photo : Roxane Campeau Les soleils de métal si caractéristiques de ses œuvres sont faits des canettes recyclées. On distingue sur sa table de travail des canettes de Redbull… et on se doute que ce n’est pas la très zen Roxane qui en consomme! Après les avoir lavées et découpées en minuscules morceaux, Roxane plie ces morceaux d’aluminium recyclés en deux. Sans formation en art, ça fait déjà dix ans qu’elle travaille de cette manière.
Métal rouillé, bouts de fils électriques, boutons, roches et céramique cassée en morceaux composent les œuvres de Roxane. Photo : Radio-Canada/Luc Lavigne Les mosaïques de Roxane se vendent entre 125 et 1000 dollars, mais impossible d’évaluer combien de temps elle passe sur chacune d’elles. Seulement en recherche et en préparation de ses matériaux, c’est incalculable. Il faut avoir une tête de cochon!
, me dit Roxane, sûre d’elle. Ça prend beaucoup de détermination. Faut croire en ce qu’on fait. C’est tellement de travail.
Même si le métal y est dominant, les œuvres de Roxane ont un côté très organique. Photo : Roxane Campeau La mosaïste se considère chanceuse d’avoir suffisamment d’acheteurs pour vivre de son art. Ce rythme de travail convient à la mère de deux jeunes enfants : Je suis super minimaliste. Je ne roule pas sur l’or, loin de là! Mais au mois de juin, je vais être avec mes enfants pendant tout l’été. Et en septembre, je me remets à la production!
Corps et âme dans la mosaïque
Le temps semble s’être arrêté dans son atelier. Délicatement avec sa spatule, Roxane étend sur un contreplaqué de bois du mortier qu’elle a teint d’un noir profond à l’encre de Chine. Là, tu viens de me perdre pour trente minutes!
, m’indique-t-elle, parce qu’elle doit procéder avant que le mortier étendu sur quelques centimètres carrés ne sèche. Elle enfonce chacun des morceaux d’aluminium des canettes préalablement coupés et pliés au bon endroit. Un à un, les morceaux s’imbriquent côte à côte. Roxane s’arrête un instant. Recoupe un morceau. Le place à l’endroit parfait. Roxane appelle ça le rayonnement
. Une construction qui relève de la méditation.
Rien n’est laissé au hasard dans les œuvres de Roxane Campeau. L’œuvre apparaît dans son esprit avant que le travail commence. Photo : Roxane Campeau L’importance de la collectivité
Roxane habite Saint-Élie-de-Caxton. Elle apprécie la proximité de la forêt et la valorisation du travail des nombreux artistes qui y habitent.
Les jeunes de l’école des Vallons à Saint-Paulin ont réalisé une mosaïque de neuf mètres carrés avec Roxane, à partir de matières qu’ils ont récoltées. Photo : Roxane Campeau Roxane Campeau aime s’impliquer dans sa collectivité. Les ateliers qu’elle donne dans les écoles de la province se traduisent par de grandes murales réalisées avec des enfants. Il y en a maintenant dans une vingtaine d’établissements : à Trois-Rivières, Shawinigan, Saint-Barnabé, Saint-Paulin, Sherbrooke, entre autres.
Pour les projets dans ses écoles, Roxane s’inspire des paysages avoisinants pour bien représenter le milieu de vie des élèves. Photo : Radio-Canada/Anne-Marie Lemay Cette année, c’est l’école de Sainte-Ursule, en Mauricie, qui fait appel à ses services. Elle passera huit semaines avec les enfants pour produire une œuvre collective représentant leur communauté. Les jeunes font des dessins de ce qu’ils aimeraient représenter de leur milieu et c’est à partir de ce croquis que la mosaïque sera réalisée. Aussi, ils se servent de matériaux qu’ils apportent de la maison pour construire la mosaïque. Parents et grands-parents sont impliqués, certains transportent l’histoire de leurs ancêtres dans un morceau de cuivre ou de vaisselle.
Roxane trouve touchant de rassembler les gens : Les enfants travaillent à tour de rôle sur différents panneaux qu’on assemble ensemble et quand ils voient le tout, ils se disent wow, tout le monde ensemble, on a réussi à faire ça! Un bout de vaisselle cassé ou un bouton… ils mettent vraiment du leur, ça aussi c’est important parce que le sentiment d’appartenance est encore plus grand.
Changer des vies, une mosaïque à la fois
Il y a quelque chose de joyeusement accessible dans ce que Roxanne fait. Elle compare la mosaïque à un casse-tête que tous peuvent construire. On est très peu créatif dans notre monde actuel. Quand les gens réalisent qu’ils sont capables, que c’est simplement un casse-tête, ils y prennent plaisir.
Une œuvre de Roxane Campeau réalisée avec des enfants. Photo : Radio-Canada/Roxane Campeau Roxane a les larmes aux yeux en me racontant qu’une professeure d’une école trifluvienne lui a raconté à quel point elle a eu un impact positif dans la vie d’un jeune garçon qui avait des difficultés d’apprentissage. C’est dans ce que son art apporte aux autres qu’elle trouve sa plus grande valorisation.