Mon année avec les Globetrotters

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Signature de Pascal Fleury

Pascal Fleury mesure 2,18 m (7 pi 2 po). En 1995-1996, il a fait partie des Harlem Globetrotters, une équipe mythique de basketball fondée en 1927 en Illinois, et qui a disputé plus de 26 000 matchs devant 144 millions de spectateurs dans 122 pays. Les Globetrotters affrontent toujours la même équipe de faire-valoir et se spécialisent dans le spectacle familial.

Par Pascal Fleury, ancien joueur de basketball professionnel

L’Afrique du Sud était la dernière étape de notre tournée en 1996. À notre descente de l’avion, je remarque des affiches de moi grandeur nature. La pétrolière Exxon s’était servie de mon image pour sa campagne de marketing.

Je vois mon visage sur des cahiers d’autocollants, sur des timbres et même sur des canettes de Sprite. Le basket est très peu développé en Afrique du Sud, mais le symbole que représentent les Globetrotters est important.

Nous sommes une quinzaine d’athlètes professionnels noirs qui avons réussi en Amérique. L’apartheid vient d’être aboli. On devient des modèles instantanés.

On est même invités à rencontrer le président Nelson Mandela.

Je suis le dernier dans la file de joueurs qui se tiennent devant lui. Mandela serre la main de chacun d’eux sans rien dire. Puis arrive mon tour.

Nelson Mandela lève la tête et me dit : « Oh, vous êtes très grand, Monsieur. »

- C’est l’intellectuel du groupe, répond notre président Mannie Jackson.

- Ah, très intéressant, rétorque Mandela.

J’étais sur un nuage. Mandela avait une telle prestance. J’étais vraiment impressionné.

Pascal Fleury (à gauche) avec le président sud-africain Nelson Mandela (au centre) en 1996
Pascal Fleury (à gauche) avec le président sud-africain Nelson Mandela (au centre) en 1996
(Photo : Courtoisie Pascal Fleury)

Une surprise m’attendait à notre retour à l’aéroport JFK, à New York, quelques heures plus tard. Je m’arrête à un kiosque à journaux et ma photo avec Mandela est à la une du USA Today.

Au printemps 1995, mon entraîneur à l’Université du Maryland Baltimore County me tend un bout de papier avec le numéro d’un type qui dit travailler pour les Harlem Globetrotters. Comme j’étais moi-même blagueur, j’ai cru à un gag et ce n’est qu’à la troisième relance que j’ai finalement appelé.

Les Globetrotters m’avaient vu jouer et trouvaient que j’avais le talent et la personnalité pour faire partie de leur équipe. J’ai toutefois refusé leur offre. J’avais des examens à réussir pour obtenir mon diplôme et je ne pouvais pas tout abandonner pour partir immédiatement en tournée.

Certaines équipes de la NBA commencent aussi à s’intéresser à moi. Parmi elles, les Raptors de Toronto, une équipe d’expansion. Certaines équipes d’Europe sont aussi en contact avec mon agent. Je ne suis finalement pas repêché et, en juin, le lock-out éclate dans la NBA.

L’incertitude minimise mes chances de me trouver un emploi en Europe parce que les équipes là-bas ont plutôt espoir de profiter du conflit de travail pour embaucher des vedettes de la NBA. Je suis alors en pleine tournée, en Europe et en Asie, avec une équipe d’athlètes cherchant un contrat sur le Vieux Continent. Il y a de l’intérêt d’une équipe grecque et d'une autre en Yougoslavie, où la guerre vient de se terminer, mais rien ne se concrétise.

Ensuite, je me taille un poste avec l’équipe canadienne. Un jour, tandis que nous sommes à Taïwan, je rappelle les Globetrotters pour leur dire que je suis intéressé.

On revient au Canada et sans même passer par la maison, je repars à New York au camp de sélection des Harlem. Malgré un doigt cassé, je me taille un poste et je signe mon premier contrat. Depuis que je joue au basketball, je rêve de signer un contrat professionnel.

Je fais 1000 $ US par semaine. C’est plus que mon père, qui va bientôt prendre sa retraite comme professeur. Je n’ai pas un grand pouvoir de négociation. Les Globetrotters refusent même de négocier avec des agents.

Pascal Fleury avec les Harlem Globetrotters
Pascal Fleury avec les Harlem Globetrotters
(Photo : Courtoisie Harlem Globetrotters)

La plupart des matchs des Globetrotters ne sont pas compétitifs. Habituellement, on affronte une équipe plus faible. De 1953 à 1995, par exemple, les Globetrotters ont battu les Generals de Washington plus de 13 000 fois contre seulement 6 défaites.

Pour ma première tournée, on affronte en Europe une équipe d’anciennes étoiles de la NBA menées par Kareem Abdul-Jabbar. Il est mon idole d’enfance. Il détient le record pour le plus de points marqués dans l’histoire de la NBA avec 38 387. Comme moi, il mesure 7 pi 2 po.

C’est un rêve de l’affronter et de pouvoir discuter avec lui dans l’autobus entre les matchs. Il n’est pas toujours de bonne humeur, mais parfois il nous raconte toutes sortes d’histoires comme les coulisses de son tournage du film Enter the Dragon avec Bruce Lee.

Après quelques matchs, notre joueur de centre se blesse et je dois le remplacer. Moi, le grand de 25 ans, contre Abdul-Jabbar…

Je pense que j’étais plus nerveux de l’affronter que la première fois que j’ai joué pour les Globetrotters.

Je gagne l’entre-deux et on marque les deux premiers points dès le début du match, mais Abdul-Jabbar réplique avec un panier de trois points. Ce soir-là, il est impossible à arrêter. Il marque 35 points. On perd.

Les Globetrotters n’avaient pas perdu une seule fois depuis 1971. Là, on perd mon premier match chez les pros.

Je me sens mal, mais le propriétaire ne semble pas trop préoccupé.

Le soir, à l’hôtel, je me fais réveiller par un vacarme infernal provenant de la chambre voisine. Je me rends compte que notre propriétaire fait la fête. Il repart le lendemain pour les États-Unis. Notre défaite lui a ouvert les portes de tous les grands talk-shows américains.

C’est une immense nouvelle, notre défaite. Le propriétaire en profite.

Cette année-là, les assistances à nos matchs grimpent.

Pascal Fleury
Pascal Fleury
(Photo : Radio-Canada/Alain Décarie)

Je n’avais rien en commun avec mes coéquipiers. Ils venaient presque tous des ghettos américains, moi d’une famille de la classe moyenne de Saint-Jean-sur-Richelieu. Quand nous sommes arrivés à Londres, la première chose que les gars ont demandé, c’est où était le McDo. Je n’en revenais pas.

Les gars ne souriaient jamais en public. C’est un peu la philosophie dans les quartiers durs : faut garder la poker face. Pourtant, les gars riaient tout le reste du temps.

Dans l’autobus, je lisais toujours mon atlas. J’aimais me renseigner sur les villes qu’on visitait. J’avais plus d’affinités avec mes entraîneurs qu’avec mes coéquipiers.

On n’avait pas de cellulaire à l’époque, donc il fallait s’occuper. Les gars jouaient aux dominos et se racontaient des histoires. Les gars étaient des maniaques de dominos. Parfois, à la mi-temps des matchs, ils couraient au vestiaire pour y jouer.

On dormait dans de beaux hôtels, toujours des quatre ou cinq étoiles. Nos adversaires, eux, dormaient dans des hôtels très modestes. On se mêlait peu à eux. Les vedettes, c'étaient nous, pas eux.

Nos journées étaient réglées au quart de tour. On arrivait à l’aréna vers 17 h 30 et on se réchauffait avant les matchs à 20 h. On finissait le match à 22 h avec mon dunk. Après, on signait toujours des autographes et c’est à ce moment que le reste de notre soirée se décidait.

On se faisait inviter partout et on était reçus comme des vedettes. Des gérants de bars ou de restaurants nous invitaient à leur établissement, des filles nous invitaient à sortir. Partout où on allait, on nous déroulait le tapis rouge.

J’en ai profité comme tous les gars. On sortait cinq ou six soirs par semaine. De 17 ans à 25 ans, j’avais mis tellement d’effort dans le basketball, j’avais refusé toutes les invitations de mes amis pour me concentrer sur mon sport.

J’ai vécu mon adolescence durant mon année avec les Globetrotters.

On est parti en tournée à la fin décembre pour 100 matchs en 99 jours. Premier arrêt : le Mellon Arena à Pittsburgh. J’étais allé au secondaire avec François Leroux, un défenseur des Penguins. Il m’a fait visiter le vestiaire des Penguins et j’ai vu Mario Lemieux.

On est sortis le soir avec Jaromir Jagr. Je me limiterai à dire que c’était tout un personnage…

Nos performances étaient parfois inégales parce que certains gars sortaient trop. On avait une allocation d’environ 200 $ par semaine et parfois, dès le mercredi, certains avaient tout dépensé en alcool et voulaient m’emprunter de l’argent. Je disais toujours non. Je cachais même mon argent parce que certains joueurs s’étaient fait voler dans leur chambre.

On a eu des soirées mémorables. Parfois, le public était en délire dès qu’on mettait un pied sur le terrain. D’autres soirs, c’était plus difficile. Je me souviens d’un soir en particulier à Gary, en Indiana, le lieu de naissance de Michael Jackson. Le public n’avait pas réagi du match.

Un soir à Philadelphie, en février 1996, notre gérant vient me voir et me demande d’aller faire de la promotion à Montréal. On joue au Forum en mars et les billets ne se vendent pas trop. J’accepte. Je suis censé partir dans une semaine.

Deux jours plus tard, il me propose plutôt d’aller à Chicago pour deux jours de tournage avec Oprah Winfrey. Je refuse. Je voulais tellement revenir à Montréal parce que je m’ennuyais de la nourriture maison. On mangeait tellement mal sur la route. Je n’étais plus capable.

Les gars m’ont traité de tous les noms. Je ne regardais pas beaucoup la télévision américaine. Pour moi, Oprah ne voulait pas dire grand-chose.

À Montréal, j’ai fait toutes les émissions possibles et imaginables : celles de Patrice L’Écuyer, de Normand Brathwaite et de Julie Snyder.

La première entrevue à Claire Lamarche était la plus importante à mes yeux. C’était la première entrevue que je faisais que ma mère pouvait comprendre, puisqu’elle ne parlait pas anglais.

Mais j’ai été très déçu. On m’a à peine donné la parole. On m’a plutôt fait tourner un ballon sur mon doigt.

Pascal Fleury
Pascal Fleury
(Photo : Radio-Canada/Alain Décarie)

Le match au Forum en mars a été le fait saillant de mon année. J’étais allé voir jouer les Globetrotters quand j’étais plus jeune. Là, c’était mon tour. J’ai encore des frissons à entendre l’annonceur me présenter à la foule. J’avais récupéré les billets de faveur de tous les autres joueurs pour pouvoir les donner à ma famille et à mes amis.

Il n’y a eu que 6000 amateurs. Il faut dire que le même jour, le Canadien organisait une journée portes ouvertes pour son tout nouveau Centre Molson. La file d’attente pour ça faisait quatre coins de rue.

Je pense être le dernier athlète québécois à avoir joué au Forum puisque le Canadien était déjà au Centre Molson.

Après le match, mon père avait insisté pour recevoir l’équipe à la maison à Saint-Jean-sur-Richelieu. On s’est donc réunis avec ma famille et tous les joueurs. Pendant le souper, on voyait des flashs de caméras : c’était les voisins qui prenaient des photos de l’autobus. C’était un peu surréaliste de le voir dans les rues de Saint-Jean.

Au printemps 1996, les Globetrotters avaient deux tournées au calendrier : une en Europe et une en Amérique du Sud. Puisque je n’avais jamais visité l’Amérique du Sud, c’est là que je voulais aller. On m’a rapidement fait comprendre que je serais plus utile en Europe.

Je me suis rendu compte que l’année précédente, il y avait une traductrice avec l’équipe, mais pas cette année. C’est moi qui devais traduire. Les économies étaient considérables. Les Globetrotters étaient un peu chiches. Par exemple, on devait laver notre uniforme nous-mêmes un soir sur deux. L’autre soir, c’est l’arbitre qui devait s’en occuper.

J’ai voulu obtenir une compensation pour mes services de traduction, alors j’ai appelé au bureau à Phoenix. On m’a répondu que 100 joueurs attendaient de prendre ma place si je n’étais pas content.

Je l’ai avalé de travers.

J’ai su à ce moment que c’était ma dernière grande tournée. Je voulais retourner au basketball compétitif. En un an avec les Globetrotters, j’ai fait trois entraînements d’équipe seulement. J’ai perdu 15 livres de masse musculaire. Je n’étais plus en forme. Je me suis tout de même amusé comme un fou.

Après la tournée européenne, on nous annonce qu’on va jouer en Afrique du Sud. Je pars à New York pour quelques jours de promotion. On est invité à plein d’émissions. Je participe même au Late Night avec Conan O’Brien.

Une fois en Afrique du Sud, chacune de nos apparitions publiques était marquante. Nous étions toujours escortés par la police dans nos déplacements.

Une surprise nous attendait à notre premier match à Johannesburg.

On entre sur le terrain et les lumières de l’aréna de 6000 places sont fermées. Quand elles s’ouvrent, on se rend compte que c’est plein à craquer, mais qu’il n’y a que trois Noirs dans tous les gradins. On était pourtant en Afrique!

On était sous le choc.

On a aussi joué des matchs-bénéfice à Soweto, un quartier très pauvre. On jouait devant des enfants malades. Certains étaient amputés, d’autres avaient le sida. L’ambiance était extraordinaire. À la fin du match, les enfants pleuraient de joie. On avait l’impression que c’était le plus beau moment de leur dure vie.

On a aussi visité des hôpitaux. Une fois, un directeur d’établissement nous sert une mise en garde : « Les enfants ont le sida, ils attendent la mort, vous n’arriverez pas à les faire rire. »

Je refusais de lui donner raison. On commence notre visite. Première chambre, ça ne rit pas du tout. Ça commence à la deuxième. Après, les jeunes ont tellement de plaisir qu’ils ne veulent plus nous laisser partir.

Une infirmière apprend que c’est l’anniversaire de mon coéquipier. À notre insu, elle rassemble tous les enfants dans l’agora et lorsqu’on arrive, ils lui chantent bonne fête. Il pleurait tellement il était ému.

On était fiers de notre coup cette journée-là. Je ne l’oublierai jamais.

Je suis un des rares joueurs qui ont décidé de leur plein gré de quitter les Globetrotters. J’ai laissé beaucoup d’argent sur la table, parce que j’aurais pu jouer pour eux pendant encore de nombreuses années.

Pascal Fleury
Pascal Fleury
(Photo : Radio-Canada/Alain Décarie)

Je garde d’excellents souvenirs de mon année autour du monde, mais très peu de souvenirs matériels. Je n’ai même pas pu garder mon uniforme. Il fallait le rendre sans quoi l’équipe retenait une paie. J’ai gardé un ballon et un bandeau.

J’ai quelques regrets, comme tout le monde. À certains moments, je me suis enflé la tête. Je me souviens d’un Noël, quand j’étais revenu à la maison. J’étais au centre commercial et il y avait plus de jeunes autour de moi qu’autour du père Noël.

À force d’être toujours adulé, on commence à se prendre au sérieux. Une fois, j’ai dit à ma mère qu’elle était ma secrétaire. Elle ne l’a pas pris et m’a remis à ma place assez vite.

Je suis aujourd’hui enseignant et je dis souvent aux jeunes que je suis millionnaire parce que j’ai fait sourire plus d’un million de personnes dans ma vie grâce aux Globetrotters. C’est l’une de mes plus grandes fiertés.

C’est un défi de faire sourire les gens. C’est aussi une richesse. Le rire m’aide dans mes enseignements en classe ou encore dans mes camps de basketball. J’aime tourner tout à la blague, ça rend l’apprentissage plus agréable.

Je me fâche rarement. La chose la plus importante que je retiens de mon année avec les Globetrotters, c’est qu’on peut toujours s’amuser, peu importe ce qu’on fait.

Pour moi ça vaut de l’or.

Pascal Fleury
Pascal Fleury
(Photo : Radio-Canada/Alain Décarie)

Propos recueillis par Antoine Deshaies

Photo en couverture : Radio-Canada/Alain Décarie