Jouer pour changer le destin

Salahou Abdoul-Wahab est assis dans son fauteuil roulant et dribble un ballon. Salahou Abdoul-Wahab est assis dans son fauteuil roulant et dribble un ballon. Salahou Abdoul-Wahab est assis dans son fauteuil roulant et dribble un ballon.

Naître dans une petite ville d’Afrique. Grandir dans une famille à très faible revenu. Souffrir d’un handicap. Vos chances d’atteindre les hauts sommets du sport vous semblent alors bien minces. Plutôt que de s’abattre sur son sort, Salahou Abdoul-Wahab a choisi de foncer et de persévérer.

Un texte de Justine Roberge

À Cotonou, capitale économique du Bénin, en Afrique de l’Ouest, tout bouge constamment. Les 2,4 millions d’habitants de cette grande aire urbaine vivent au rythme de la musique de rue et des klaxons des voitures et des motos-taxis.

De petites bâtisses en béton, grises ou colorées, munies de toits de tôle, s’enchaînent les unes après les autres. Devant, des commerçants s’y installent pour y vendre toutes sortes de choses. Des mangues, des pneus, du pain, de vieilles bouteilles remplies d’essence. Des femmes vêtues de robes traditionnelles de toutes les couleurs marchent avec de grands bols de farine ou d’eau sur la tête.

L’odeur des fruits frais épluchés se mélange drôlement à celle de l’essence et des tas d’ordures déversés au hasard sur le bord des rues, dans lesquels s’amusent des enfants.

Personne ne semble être affecté par l’humidité étouffante et le soleil chaud de midi.

En plein cœur de la ville, derrière des murs beiges, le bruit de ballons qui rebondissent résonne. Une petite porte abîmée s’ouvre sur un terrain de basketball extérieur.

Du sable s’est accumulé un peu partout sur le sol et quelques jeunes sont assis dans les gradins défraîchis. Une dizaine de joueurs en fauteuil roulant se renvoient le ballon, devenu gris avec l’usure. On peut voir par les traces de rouille que les fauteuils ont quelques années.

Un entraîneur se déplace le long du terrain et crie des directives aux joueurs. Ensemble, ils forment l’équipe de basketball en fauteuil roulant de Cotonou et, de ce fait, l’équipe nationale du Bénin.

Pendant qu’ils rêvent aux Jeux paralympiques, le Canada songe déjà à récolter une quatrième médaille d’or dans cette discipline à Tokyo en 2020.

Dans toute son histoire, le Bénin n’a été représenté que par quatre athlètes aux Jeux d’été, en athlétisme et en haltérophilie, la dernière fois en 2012.

Parmi les membres de l’équipe béninoise se trouve Salahou Abdoul-Wahab. Il est né en 1988 dans la commune de Djougou, dans le nord-ouest du pays, à plus de 500 km de Cotonou.

De nature sereine et posée, il a les yeux qui brillent quand il parle de basketball. C’est parce que ce sport a changé sa vie. Complètement.

À l’âge de 3 ans, Salahou a perdu la mobilité de ses deux jambes. Il souffrait d’une poliomyélite, comme une grande partie des enfants africains à l’époque.

Apprendre à vivre avec son handicap n’a pas été de tout repos. Ici, rien n’est adapté pour les personnes handicapées. Pire, elles sont exclues de la société et considérées comme inférieures et faibles. Elles sont mal vues. Parfois, au sein même de leur famille.

« Quand je voulais commencer l’école, j’avais environ 8 ans, mes frères y allaient déjà et, moi, mes parents ne voulaient pas m’envoyer, avoue Salahou. Ils pensaient que je n’étais pas capable. À 10 ans, je suis allé m’inscrire moi-même, parce qu’on me disait toujours qu’il n’y avait pas de place pour moi. On a fini par m’accepter. J’ai forcé le destin pour pouvoir aller à l’école. »

Puis, un autre choc. À seulement 12 ans, il a perdu ses parents en raison de maladies infectieuses. Par les moyens du bord, lui et ses grands frères ont appris à se débrouiller.

Très tôt, le sport a fait son entrée dans la vie de Salahou. Comme bien des jeunes, c’est au soccer qu’il a été initié.

« Au primaire, je jouais au foot comme gardien de but et je restais par terre. À un moment donné, je me suis dit que je ne pouvais pas continuer de jouer comme ça. J’ai décidé de prendre le club en charge en tant que président. »

N’ayant pas les moyens d’aller au privé, Salahou a fait son chemin jusqu’à l’Université publique d'Abomey-Calavi, où il a étudié l’anglais. S’il fait partie aujourd’hui des Lions de Cotonou, c’est parce qu’un ami l’a approché pour lui parler de l’équipe.

« J’étais à Cotonou depuis un bon moment, mais je ne savais pas que ça existait. Je me suis présenté, ils m’ont donné un fauteuil. Je n’avais jamais roulé en fauteuil roulant, j’utilisais mes béquilles pour marcher. J’ai choisi le basket parce que c’est le sport que j’ai trouvé le plus adapté. C’était pas facile au début. Je tombais par moments en essayant de prendre la balle. Mais j’ai continué, j’ai persisté. »

« Quand j’ai commencé, j’ai compris que je pouvais exceller. »

Les joueurs des Lions de Cotonou s'entraînent sur un terrain extérieur.
(Photo : Radio-Canada/Justine Roberge)

Pour le joueur qui soulignera bientôt son 30e anniversaire, le basketball est devenu un mode de vie, une sorte d’échappatoire.

« Le sport, pour moi, ça représente l’inclusion. Ça représente la personnalité. À travers le sport, nous sommes beaucoup plus vus d’une autre manière. Les gens voient que nous pouvons faire quelque chose. »

Salahou s’entraînerait tous les jours s’il le pouvait, puisque le sport représente tout ce qu’il a. Récemment diplômé de l'université, il peine à trouver un emploi.

« L’insertion professionnelle des personnes handicapées est un problème qui ne trouve pas encore de solutions. Parce que les gens pensent que nous sommes des incapables. »

Pour faire partie de l’équipe des Lions, les joueurs doivent débourser 500 francs CFA par mois, soit 1,18 $ CA. Pour les déplacements, ils s’arrangent comme ils peuvent et certains ont de la difficulté à se débrouiller.

« Ça nous arrive parfois de ne pas pouvoir nous déplacer pour venir aux entraînements, parce que nous n’avons pas les moyens de payer. »

Le club ne s’entraîne que deux fois par semaine, ce qui semble très peu pour Salahou. Mais c’est hors de son contrôle.

« Pour quelqu’un qui veut atteindre le niveau maximum, ce n’est pas du tout suffisant. Ce qui bloque, c’est le manque de moyens financiers de l’équipe. Nous, les athlètes, essayons par nos petits moyens d’acheter de nouveaux pneus, par exemple, pour subvenir à nos besoins. »

« Par la télévision, par l’Internet, nous voyons des équipes d’Allemagne, de France, du Canada, des États-Unis jouer avec des fauteuils que nous ne voyons pas ici. Nos moyens sont rudimentaires. Je ne peux pas le cacher : nous essayons de nous adapter, mais le matériel n’est pas forcément ce qu’il faut pour le basket. »

Il observe tout de même un changement depuis que Rahman Ourou Barè a été élu président du Comité paralympique béninois en octobre dernier.

« Les membres de la fédération ne nous visitaient pas avant et disaient qu’ils n’avaient pas les moyens, mentionne Salahou. Aujourd’hui, ils nous écoutent et cherchent à savoir quel est le problème. »

L'équipe de basketball des Lions de Cotonou s'entraîne sur un terrain extérieur.
(Photo : Radio-Canada/Justine Roberge)

La raison de l’approche différente de M. Barè est qu’il est lui-même handicapé. Ce n’était pas le cas du président des huit dernières années.

« Je veux amener des réformes et aller chercher des commanditaires, soutient M. Barè. Le gouvernement commence à savoir qu’il y a une fédération handisport. C’est important de continuer le combat et la sensibilisation. »

Le Comité paralympique béninois reçoit l’équivalent de 35 000 $ CA par année, ce qui est très peu pour combler les besoins des différentes fédérations, selon le président. À titre comparatif, la Côte d’Ivoire, autre pays d’Afrique de l’Ouest, touche une somme deux fois plus grande.

Au Canada, selon le rapport annuel du Comité paralympique canadien, le CPC a reçu 6,3 millions de dollars du gouvernement fédéral pour l’année 2016 en prévision des Jeux de Rio. En 2015, année non paralympique, le CPC a obtenu 5,3 millions de dollars d’Ottawa.

« Quand on se compare avec d’autres pays, c’est le jour et la nuit, estime M. Barè. Il suffit qu’on nous donne un peu de chance et nous réussirons. Nous sommes dans une société qui nous discrimine, mais nous sommes prêts à revendiquer nos droits. »

Salahou est un grand optimiste. Il a participé à plusieurs championnats nationaux et interafricains depuis ses débuts et est motivé plus que jamais à se surpasser.

Il continue de foncer comme il l’a toujours fait et rêve de pouvoir prendre part un jour aux Jeux paralympiques.

« Notre objectif, c’est d’aller de l’avant et d’intégrer les compétitions internationales pour montrer de quoi nous sommes capables. C’est vrai que nous n’avons peut-être pas les moyens de nos ambitions, mais nous pensons qu’avec le travail, nos ambitions peuvent se réaliser. »

Salahou Abdoul-Wahab sourit et tient un ballon dans ses mains.
(Photo : Radio-Canada/Justine Roberge)

Photo en couverture : Radio-Canada/Justine Roberge