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La hockeyeuse Hilary Knight

Hilary Knight - Un jour, les joueuses seront traitées comme les gars

« Un jour, une jeune joueuse se fera repêcher et elle gagnera assez d'argent pour bien vivre et même en déposer dans un compte-épargne. Elle pourra poursuivre une carrière professionnelle en faisant ce qu'elle aime le plus au monde. »

Signé par Hilary Knight

Tous les matins, sans exception, quand on descendait déjeuner, la feuille nous attendait à notre place à la table. Ma mère nous avait préparé notre horaire de la journée. Elle mettait nos initiales, en gros, en haut de la feuille. HK, JK, RK, WK, pour moi et mes frères, James, Remington et William.

Tout était écrit. Tous nos déplacements de la journée. À quelle heure on devait partir, à quelle heure on devait arriver. Avec qui on se rendrait à l’école, à nos entraînements ou à nos matchs. Elle s’était entendue avec d’autres parents. Et si on n’avait personne avec qui voyager, elle nous indiquait nos itinéraires en détail. Elle était notre application Google Map avant Google Map! Elle n’a jamais raté un seul matin. Je n’ai jamais compris comment elle trouvait le temps de faire ça avec quatre enfants.

J’ai eu le privilège de grandir dans la même maison qu’une femme extraordinairement forte.


Si ma mère est la force, mon père est l’esprit. Il m’a fait comprendre la puissance de l’imagination. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un d’aussi créatif. Il m’a enseigné la visualisation quand j’étais encore toute petite. C’est à lui que je dois toutes mes habiletés mentales. Tout ce que j’ai appris d’eux, je l’ai traduit dans ces quatre mots-là.

#BeBoldForChange (Osez changer les choses)

En 2017, mes coéquipières de l’équipe nationale et moi, on a menacé notre fédération, USA Hockey, de boycotter le Championnat du monde qui avait lieu quelques semaines plus tard. On était prêtes à ne pas jouer pour arriver à réduire l’écart qui nous séparait de nos homologues masculins.

Notre prise de position a eu l’effet d’une bombe parce qu’en plus, le tournoi se passait aux États-Unis. Pour accepter de jouer, on exigeait une meilleure mise en marché du hockey féminin, plus de matchs au calendrier de la saison, des avantages sociaux et un meilleur salaire.

Les quatre mots #BeBoldForChange ont fait leur chemin. On a reçu un soutien inespéré. Des femmes de partout ont applaudi la cause. Les joueurs de la LNH ont emboîté le pas et ceux de la NFL et de la NBA aussi.

Il était moins une, mais on a obtenu ce qu’on demandait. Et on a remporté l'or.

De tout ce que j’ai accompli jusqu’à maintenant dans la vie, y compris la victoire aux Jeux olympiques de Pyeongchang et les sept titres de Championnat du monde, c’est cette bataille-là qui demeure la réalisation la plus significative à mes yeux.

Nous nous sommes tenues debout au nom des générations futures. J’ai découvert une force insoupçonnée en moi.


Hilary Knight montre fièrement sa médaille d'or après la victoire des États-Unis contre le Canada en finale aux Jeux olympiques de Pyeongchang.

Hilary Knight montre fièrement sa médaille d'or après la victoire des États-Unis contre le Canada en finale aux Jeux olympiques de Pyeongchang.

Photo : Getty Images / Bruce Bennett

D’aussi loin que je me souvienne, je ressens la responsabilité d’être une meneuse. Je ne sais pas si c’est inné ou si c’est parce que je suis l’aînée de la famille. J’ai toujours voulu ouvrir la voie pour mes frères. J’étais aussi très protectrice.

Mes frères et moi, nous passions des heures à la patinoire du quartier. Il y avait toujours beaucoup d’enfants. Une fois, un garçon s’en est pris à mon frère. Il l’insultait et il était vraiment sur son dos. Je me suis tout de suite interposée. C’était naturel pour moi de me porter à la défense de mon frère. Je n’ai même pas réfléchi.

Dans ma tête, je protégeais ma famille. Je me souviens qu’un de mes bons amis s’était senti très gêné que je frappe quelqu’un simplement parce que j’étais une fille. Les surveillants m’ont interdit l’accès à la patinoire pour le lendemain. Je l’ai très mal pris. La patinoire, c’était mon endroit préféré.

Le harcèlement, j’ai aussi connu ça personnellement. J’étais jeune, 8 ou 9 ans. Je participais à des sélections de hockey. Tous les autres joueurs étaient des garçons. Dans ce temps-là, si je voulais jouer, c’était avec les gars.

J’entendais les parents autour de la patinoire qui blasphémaient et qui se demandaient ce que je faisais là. Ils craignaient que je prenne la place d’un de leurs fils. Ils ont fini par en revenir. Les gars m’ont acceptée dans l’équipe et j’ai commencé à me sentir à ma place.

Après, ç’a été autre chose. Les parents des équipes adverses ont commencé à m’engueuler. Ils m’insultaient. Et les joueurs adverses me pourchassaient sur la patinoire comme si je n’avais pas d’affaire sur la même glace qu’eux. J’ai déjà reçu un double échec derrière la tête. Je ne me souviens plus si le gars a été expulsé, mais disons que j’ai appris à me défendre. Mes coéquipiers ont commencé à me protéger. Mais ça allait dans les deux sens.

Une fois, le plus petit de l’équipe s’est fait frapper. Pour moi, il n’était pas question que ça se passe comme ça. En guise de réponse, j’ai cogné l’adversaire. L’autre a frappé à son tour, mais l’arbitre avait bien vu mon geste. Il m’a attrapée par la manche. Il m’a dit : « T’es chanceuse d’être une fille parce que sinon, je t’expulsais du match. » Et il m’a indiqué le banc des punitions.


Le hockey m’a offert une vitrine extraordinaire. Je sais qu’à travers mon sport, j’ai l’immense privilège de pouvoir toucher les gens et d’avoir un impact positif sur leur vie. C’est un peu ça l’idée derrière mes vidéos.

Je filme des petits bouts de ma vie et je les publie sur ma chaîne YouTube. Certaines vidéos ont dépassé les 20 000 vues. J’ai appelé la série Knight Vision! J’aime le jeu de mots. Ça me ressemble. C’est sans prétention, mais cocasse.

Quand j’étais plus jeune, je voyais des gens à la télé ou dans les magazines et je me demandais toujours comment ils avaient fait pour se rendre là. Qu’est-ce que c’était leur parcours? Et maintenant, ça me fascine parce que je suis dans ce rôle où je peux partager avec les gens ce qui se passe dans ma vie, en coulisses, sans filtre, sans scénario.

C’est le rêve de tout athlète de transcender son sport. Mais en ce qui me concerne, ça n’a rien à voir avec la célébrité. Cela tout à voir avec la capacité de faire une différence. Peu importe qui je croise, je vois d’abord et avant tout une personne, pas son statut. On se lève tous le matin. On met tous nos chaussettes de la même façon. Remarquez, ça arrive souvent que je n’en mette pas. Mais je pense vraiment qu’il faut respecter chaque humain pour ce qu’il est.

J’étais en Nouvelle-Zélande il y a un an et demi. C’est l’endroit le plus merveilleux et paisible du monde. J’étais horrifiée quand j’ai appris qu’un tireur leur avait volé des vies. Ces atrocités ont changé ma vision des armes à feu.

Pour nous, les Américains, posséder une arme fait partie de nos droits. Moi-même, j’ai fréquenté un club de tir. J’ai essayé plein de types d’armes. Mais je n’y vais plus. Il n’y a aucune bonne raison de tenir une arme automatique ou semi-automatique entre ses mains. Je ne suis ni militaire ni un agent des services frontaliers. Je ne vois pas pourquoi quelqu’un voudrait ou devrait posséder une arme. Et puis, on ne sait jamais ce qui peut provoquer une personne instable. La ligne est parfois très mince.

J’essaie d’ajouter mon grain de sel pour faire obstacle à la haine. Dans mes publications sur les réseaux sociaux, je veux répandre des messages d’amour et de paix. Peut-être qu’un seul de mes messages ira toucher quelqu’un à un moment où il en aura besoin. Ça aura valu la peine.


Dans la vie, je vois toujours le ciel bleu. Je suis optimiste et je ne limite jamais mes pensées. J’ai une foule de projets qui bouillonnent dans ma tête. J’aimerais retourner à l’école pour faire mon droit, comme ma mère. Mais je commence aussi à me trouver un peu vieille pour les bancs d’école. Je pense que je peux aussi aider les gens avec le bagage que j’ai déjà acquis par le sport. Je me vois bien dans le monde du marketing parce que j’ai un talent pour ça. Ou conseillère en entreprise pour aider les gens à être efficaces en équipe. Ou être conférencière pour inspirer les futurs leaders.

Si j’en avais l’occasion, j’adorerais faire du cinéma. J’ai déjà fait de l’improvisation et du théâtre. C’est une autre forme de divertissement, comme le hockey. Je me fais d’ailleurs souvent dire que je ressemble à l’actrice Gal Gadot qui incarne Wonder Woman. C’est un rôle qui me conviendrait assez bien!


Hilary Knight

Hilary Knight

Photo : Canadiennes de Montréal / Matt Garies

Mais dans l’immédiat, il me reste du travail à faire au hockey. Le hockey, c’est un sport très spécial. En fait, j’aurais très bien pu être une skieuse. Ma famille a vraiment le ski dans le sang. Mais à notre arrivée en Illinois quand j’étais enfant, il a bien fallu trouver un sport de remplacement parce que les montagnes sont plutôt rares dans cet État! J’étais douée en soccer aussi. Mais c’était un cauchemar pour moi de mettre ces grands bas-là. Ça prenait trop de temps. Et les protège-tibias, je détestais.

Alors pour moi, c’est vraiment le hockey. C’est un sport d’humilité parce que tu ne réussis jamais à le perfectionner complètement. Il y a quelque chose de spécial à enfiler l’équipement et à se sentir une espèce de guerrier. Il faut apprendre à bien patiner et quand c’est fait, il faut apprendre à bien manier la rondelle. Quand c’est fait, il faut développer la vision du jeu. Quand c’est fait, il faut s’attarder aux habiletés mentales. Après ça, il faut tout mettre ensemble. Et quand tu te débrouilles enfin à bien faire tout en même temps, il faut que tu améliores encore chacun des aspects en coordonnant ton jeu avec celui de tes coéquipières. Ensuite, pendant que tu fais tout ça, tu affrontes quelqu’un d’autre qui essaie, comme toi, de tout maîtriser en même temps.

Cette saison, j’ai eu aussi à composer avec la réprobation de mes compatriotes. Les partisans américains ne comprenaient pas pourquoi je partais jouer avec Les Canadiennes, à Montréal. Certains m’ont écrit qu’ils arrêteraient de m’encourager. Même mon frère me le reproche encore. Ils ne voient que la rivalité entre les deux pays.

Pendant la saison professionnelle, c’est complètement autre chose. Comme dans la Ligue nationale. Combien de joueurs se retrouvent dans la même équipe en saison? Des Suédois avec des Russes. Et ce n’est pas grave.

Je suis profondément convaincue du bien-fondé de ma décision. C’est important pour moi que les partisans américains comprennent qu’en venant à Montréal, je poursuis en fait ma quête d’équité. C’est plus grand que moi, c’est plus grand que les allégeances. Mes coéquipières et moi, nous tentons d’amener le hockey féminin à un niveau de professionnalisme encore plus élevé. C’est ma mission. C’est notre mission. Je sais que je suis dans la bonne organisation pour la réaliser. Nous partageons la même vision.

Un jour, les joueuses de hockey seront traitées de la même façon que leurs homologues masculins. Un jour, il y aura un repêchage professionnel après l’université. Un jour, une jeune joueuse se fera repêcher et elle gagnera assez d’argent pour bien vivre et même en déposer dans un compte-épargne. Un jour, elle pourra poursuivre une carrière professionnelle en faisant ce qu’elle aime le plus au monde.

J’ai toujours dit que c’est de ma mère que je tiens mes aptitudes athlétiques. Elle était une excellente joueuse de tennis et de hockey sur gazon. Mais à son époque à elle, c’était marginal pour une femme d’avoir des aspirations sportives. Les perspectives étaient loin d’être celles dont moi, j’ai profité. Le hockey a ouvert tellement de portes pour moi. Ma mère, elle, on les lui a fermé au nez, les portes.

Plus jamais. #BeBoldForChange

Propos recueillis par Marie Malchelosse