
Régis Lévesque - Un dernier combat
« Quand je serai parti, je voudrais que le monde se souvienne de moi comme d’un homme qui a tout donné pour le sport qu’il aimait. Pis j’ai commencé tout ça avec 20 piasses dans mes poches. »

Signé par Régis Lévesque
Ce texte a été l'un des plus consultés de l'année 2020 à Podium.
L’auteur a été promoteur de boxe au Québec pendant plus de 50 ans. Ce texte a été rédigé quatre mois avant son décès, le 27 octobre 2020.
J’aimerais tellement ça, avant de mourir, promoter un dernier combat.
J’te remplirais la place, j’te le jure. En dedans de six mois, j’te monterais ce gars-là. J’ai l’impression que juste avec ça, je retrouverais mon énergie d’un coup.
Aujourd’hui, je suis en phase terminale d’un cancer de la langue. Je suis à la maison avec ma fille Annie, qui est infirmière. Elle a pris une pause de la job pour assurer mes soins palliatifs. Je sors de temps en temps. Des amis viennent me voir.
J’ai de bonnes et de moins bonnes journées, mais je trouve le temps long en maudit.
Je ne pense franchement plus à revenir. Mais si je pouvais…
J’ai fait ça toute ma vie, ça fait que la boxe, c’est incrusté en dedans de moi, cancer ou pas.
Un dernier combat, juste un dernier.
Pour moi, ça serait pas plus compliqué que ça. Tout mon scénario et tous mes textes sont déjà dans ma tête. J’aurais pas de compétition, parce que les promoteurs d'aujourd'hui font rien.
Si j’avais un prospect de 165 ou 170 lb, un batailleur de rues qui voudrait se lancer dans la boxe, je lui dirais de venir me voir au lieu d’aller vers les deux ou trois organisations qui font de la promotion en ce moment et qui laissent mourir leurs boxeurs sur une tablette.
Quand mon boxeur aurait fait 8 ou 10 combats, il serait prêt à affronter les meilleurs au Québec.
Je pense que le monde aimerait ça voir ça.
La promotion de la boxe, ç’a été toute ma vie.
J’ai grandi à Sainte-Angèle-de-Laval, en face de Trois-Rivières. J’avais 24 ans en 1959. Dans ce temps-là, je travaillais comme barman et waiter dans un club de Trois-Rivières. Je lisais des articles dans le Montréal-Matin qui parlaient des soirées de boxe à Montréal.
Je trouvais ça intéressant de lire qu’un soir donné, un gala avait attiré, mettons, 700 personnes. Puis qu’une autre journée, plus de 1000 personnes avaient acheté des tickets pour voir un combat.
En lisant ça, je vous jure que, dans ma tête, ça trottait. Je me disais que si j’étais promoteur, je pourrais essayer de suivre les traces des autres. Je voyais déjà comment je pourrais créer des annonces de 100 lignes sur 2 colonnes pour annoncer mes événements dans les journaux. Tout ça marchait déjà dans ma tête.
C’est au mois de mars de 1962 que j’ai mis sur pied ma première carte, au Colisée de Trois-Rivières, avec en finale Robert Cléroux et James Wiley, un gars de New York.
J’avais réussi à attirer 5000 spectateurs payants. Pas 5000 avec les passes ou tous les billets donnés. Un vrai 5000. Ç’a été mon premier gros succès.
Quelques semaines plus tard, au mois de juillet, à la même place, j’ai organisé un combat entre Joey Durelle et Peter Schmidt pour le championnat canadien des mi-moyens.
Le combat avait été tellement bon que dans les journaux, le lendemain, dans La Presse, dans le Montréal-Matin, ils écrivaient que le combat entre Durelle et Schmidt s’était déroulé pendant 12 rounds dans le sang.
Durelle avait reçu un coup de tête au premier round en dessous d’un œil. Il a commencé à saigner tout de suite, mais le combat n’a jamais été arrêté. Le sang a coulé pendant toute l’heure qu’a duré le combat. Ça s’était fini par une nulle.
Certains des reporters avaient trouvé ça épouvantable, mais j’ai tout de suite sauté sur l’occasion pour emmener le combat revanche à Montréal.
Cette revanche-là a eu lieu au mois de décembre au Centre Paul-Sauvé. Durelle avait perdu par décision partagée devant une autre bonne foule.
C’est comme ça que, petit à petit, je suis venu à bout de faire ma place.
Pas longtemps après, Robert Cléroux est revenu me voir à Trois-Rivières avec sa femme. Il est venu me rencontrer au bar où je travaillais. Il était venu me dire qu’il voulait faire un retour à la boxe parce que la shop où il travaillait venait de fermer. Il m’a dit qu’il voulait que je promote ses combats.
J’ai dit oui à 100 milles à l’heure. J’ai lâché mon cabaret avec les verres vides drette-là. J’ai été m’asseoir avec eux et j’ai tout de suite lâché ma job de waiter.
Ç’a été fini, pis je suis parti à Montréal.
Le pire dans tout ça, le monde me croira peut-être pas, mais j’avais 20 piasses dans mes poches. C’est tout ce que j’avais. J’avais même pas de compte de banque. Rien.
La shop où je travaillais fermait pendant quatre mois l’hiver. J’avais aucun salaire pendant ce temps-là.
Si au moins j’avais eu 500 piasses pour partir quelque chose. C’était même pas pensable de demander 100 piasses par-ci par-là aux membres de ma famille parce qu’ils avaient tous peur de perdre l’argent.
Arrivé en ville comme un écarté, je connaissais rien. Je connaissais personne. Il a fallu des miracles pour que les choses avancent.
Alors j’ai fait du porte-à-porte pour rencontrer des journalistes et des médias locaux. Jacques Beauchamp, qui était au Montréal-Matin, m’avait beaucoup aidé.
Je faisais le gros de la job moi-même. Je préparais la promotion à la maison, sur ma table de cuisine. Toutes les histoires que le monde lisait dans le journal et qui étaient signées R.L., eh bien R.L., c’était moi, Régis Lévesque.
Je m’occupais même du montage des publicités. Je passais des heures avec une paire de ciseaux pis un pot de colle pour monter pis concevoir la publicité. Ç’a été comme ça jusqu’à temps que je lâche le monde de la boxe en 1995.
J’ai toujours voulu faire mes histoires moi-même parce que si j’avais attendu après les journalistes pour annoncer une nouvelle, il ne se serait rien passé. Mon histoire serait restée sur une tablette et serait morte au bout de cinq ou six jours sans que personne n’en parle.
Je sais que des fois, mes conférences de presse avait l’air brouillonnes ou désorganisées. Mais, même avec mes notes à l’endos de mon paquet de cigarettes, je savais ce que je voulais dire aux journalistes.
J’avais pas besoin de grandes pages de papier. Mon histoire, je l’avais dans la tête. Quelques mots sur mon paquet de cigarettes, c’était assez pour me rappeler que je voulais parler de ci ou de ça.
En tout cas, il y avait toujours beaucoup de journalistes à mes conférences de presse. Ça venait en masse. Au lieu d’avoir 30 personnes, des fois il y en avait 150. Je pense qu’il y en avait beaucoup qui venaient juste voir si j’allais me mêler dans mes histoires pendant que j’étais au micro en avant!
Avec le temps, j’ai réussi à me bâtir une réputation. Je roulais avec un gala par mois, des fois même un aux trois semaines. Vu que je m’occupais de Cléroux, c’était le succès partout et chaque fois qu’il était sur la carte.
Quand j’y repense, je me demande encore des fois comment j’ai fait pour commencer tout ça avec 20 piasses dans mes poches.
Dans mes 50 ans comme promoteur, j’ai probablement dû m’occuper de plus que 500 boxeurs. Ça commence à faire du monde.
Même s’il y en a là-dedans qui avaient pas mal de talent, j’ai jamais vraiment pensé à les amener à l’international. J’ai toujours fait du local et je travaillais pour Montréal et pour le Québec.
Je pensais pas en termes de championnat du monde parce que, d’après moi, mes gars n'étaient pas assez forts.
Je vois pas ce que ça m’aurait donné d’aller m’éparpiller ailleurs. Pour faire ça, il faut que t’aies confiance que ton gars a des chances de gagner. À part Fernand Marcotte et Eddie Melo, j’avais pas beaucoup de boxeurs de cette trempe-là.
Je me suis aussi occupé de la carrière de mon gars, Daniel. J’ai bien aimé ça. Ça m’a donné un bon thrill.
Il était presque rendu champion du Canada quand il a lâché. Il avait même déjà battu Gaétan Hart et Jean-Claude Leclair. Il était invaincu en 33 combats quand il s’est fait voler à Miami, contre Sammy Masias. Ils ont fait ça pour l’enlever du chemin de Sugar Ray Leonard. C’est ça qui lui a fait arrêter la boxe.
Il s’est fait voler tout rond. C’était tout croche. Tout le monde disait que c’était impossible, tab… Il avait eu un gros avantage pendant tout le combat.
Ça l’a complètement découragé. Tellement qu’il est resté presque deux ans en dehors du ring.
Il est revenu, il a fait trois combats qu’il a gagnés, pis il a tout arrêté. Il avait juste 25 ans. Les frères Angelo et Chris Dundee en menaient large dans la boxe. Ils ne voulaient pas que Daniel, avec son style fonceur, puisse affronter Leonard, qui avait juste cinq ou six combats chez les professionnels.
Autrement, j’ai jamais pensé que Daniel pourrait prendre ma relève. Ça aurait été difficile pour lui, à 19 ou 20 ans, de passer 8 ou 10 heures par jour assis derrière un bureau.
J’oublierai jamais les moments où je suis entré dans le Forum de Montréal plein à craquer pour des combats de Marcotte ou de Jean-Claude Leclair. Ces images-là vont me rester dans la tête jusqu’à ma mort.
Parmi tous les combats que j’ai organisés, c’est les trois entre Marcotte et Melo qui me rendent le plus fier aujourd’hui.
Le premier n'a pas été facile. Il a fallu trouver un moyen de contourner les règlements de la Commission athlétique de Montréal. Ce monde-là ne voulait pas que Melo se batte comme professionnel parce qu’il avait juste 17 ans.
Quand j’ai vu qu’y avait pas moyen de faire ça à Montréal, parce qu’ils voulaient pas accepter Melo avant qu’il ait 18 ans, c’est pour ça qu’on avait loué l’Auditorium de Verdun, en octobre 1978. Verdun était une ville indépendante dans ce temps-là, comme Saint-Léonard, comme Pointe-aux-Trembles.
On avait vendu à peu près 4000 billets et Melo avait gagné contre Marcotte, qui avait 12 ans de plus que lui.
Melo, c’était une machine. Il avait gagné ses 10 premiers combats avant de rencontrer Marcotte. Souvent, ça durait pas un round! C’est pour ça qu’on l’avait surnommé l’Ouragan. Il frappait vite et fort.
Ça avait été aussi un gros succès pour la télévision. Dans ce temps-là, c’était les premières fois qu’on vendait les galas sur la TV par câble.
On m’avait dit que, dans la semaine avant le combat, la demande avait été tellement forte à Montréal que les techniciens fournissaient pas à la demande. C’est incroyable quand je repense à ça.
Ça a continué dans le match revanche au mois de juin de l’année suivante. Pour le deuxième combat, que Marcotte a gagné, on a rempli le Forum. Il devait y avoir 18 000 ou 19 000 personnes.
Le troisième a été présenté devant 40 000 personnes au stade olympique. C’était en sous-carte de la finale entre Sugar Ray Leonard et Roberto Duran.
On n’avait jamais vu autant de monde pour de la boxe à Montréal. Pis on reverra jamais ça.
J’ai tout appris par moi-même. Pas pire pour un gars qui a une quatrième année à l’école primaire. Avec ce que je sais aujourd’hui, je pourrais prendre n’importe qui avec un peu de talent et en faire une vedette.
Aujourd’hui, c’est sûr que si ce jeune-là entre dans le mauvais bureau, il va mourir sur une tablette. Être promoteur de boxe, c’est plus qu’un métier, tab…
J’ai fait ça pendant 50 ans. Mes journées ont souvent commencé à 9 h le matin pour finir vers minuit. C’était comme ça cinq ou six jours par semaine. J’étais motivé parce que j’aimais ce que je faisais.
Je planifiais mon calendrier de couverture, de la conférence de presse jusqu’au soir du combat. Je fournissais mes histoires aux journalistes pour qu’ils en parlent presque tous les jours. C’est comme ça que j’obtenais une bonne place dans le journal au lieu d’un espace de la grandeur d’un carton d’allumettes.
Je me souviens quand Henri Spitzer, lui aussi promoteur à l’époque, arrivait dans mon bureau et que je lui montrais mon plan… lundi, mercredi, vendredi, samedi. Tout était prévu. C’était comme ça pendant les deux ou trois semaines entre la conférence de presse et le gala de boxe.
Toutes les histoires que j’ai présentées pour promoter mes combats, elles étaient comme enregistrées à l’avance dans ma tête. Quand j’en sortais une, il y en avait trois autres qui s’en venaient. C’est pour ça que mes galas étaient partout dans les journaux, à la TV et à la radio.
Dans mes dernières années avec Melo, je pouvais dépenser jusqu’à 45 000 piasses en publicité dans le Journal de Montréal et le Montréal-Matin.
Aujourd’hui, les promoteurs s’inquiètent en organisant leurs soirées. Ils ont peur qu’il n’y ait pas un chat dans la place parce qu’ils attendent que les journalistes parlent de leur patente.
L’autre problème, c’est la manière qu’on traite la boxe locale. Ç’a pas de bon sens. Au moment où je vous parle, ça doit faire au moins trois semaines qu’on n’a pas vu le nom des boxeurs qui existent dans les médias.
Je sais qu’on est en pleine pandémie. Mais quand t’as une vedette, il faut quand même que tu trouves le moyen d’en parler, sans ça tu feras jamais une montagne avec ce gars-là. Virus ou pas, il n’y a plus de vrai promoteur. Si je pouvais rentrer dans le tas et me placer en avant de tout ça, ils diraient que les choses changent avec Lévesque.
Je continue de croire qu’y a pas un style qui peut arriver en avant du mien.
Mon état de santé fait que je ne suis plus la boxe autant qu’avant. Mais je sais une chose : même quand tu mets un gars comme Simon Kean ou Jean Pascal contre un Américain, il y aura pas un chat à ta soirée. Le monde viendra pas et prendra pas la peine de se déranger. La publicité pour un combat entre deux gars de la place, ça a toujours marché fort.
Je me cacherai pas pour dire que j’ai le sentiment d’avoir été tassé par les gars en place aujourd’hui. Ils ont tout fait pour qu’on m’oublie et pour qu’ils puissent continuer à mener la boxe à leur manière.
J’ai travaillé pendant quelques mois pour InterBox. Ç’a pas marché parce qu’ils voulaient faire à leur tête et je leur disais que c’était bon à rien et qu’ils dépensaient de l’argent pour rien pour la publicité. Ça a fini de même avec eux autres.
Je vais être intronisé au Temple de la renommée de la boxe internationale. Ça devait se passer cet été, mais vu que la cérémonie de 2020 a été remise à l’an prochain à cause du virus, je suis bien conscient que je pourrai peut-être pas être là en personne.
Mais si quelqu’un m’avait dit, v’là 60 ans, que j’arriverais un jour à côté des plus grands noms de la boxe, je l’aurais jamais cru. J’ai été chanceux d’avoir eu la force d’accomplir tout ce que j’ai fait.
Beaucoup m’ont aidé, comme l’ancien chroniqueur radio Gilles Proulx et même Michel Beaudry, avec les imitations qu’il a faites de moi.
Je voudrais quand même remercier Camille Estephan, qui a fait les démarches pour obtenir mon intronisation. C’est entendu que ça me fait bien plaisir. C’est un honneur pour moi et pour ma famille. Mes longues heures de travail sont récompensées.
Quand je serai parti, je voudrais que le monde se souvienne de moi comme d’un homme qui a tout donné pour le sport qu’il aimait. Pis j’ai commencé tout ça avec 20 piasses dans mes poches.
Promoter la boxe, c’est ce que j’ai fait de mieux. J’ai eu un steakhouse et j’ai perdu plus que 300 000 piasses là-dedans. J’ai été propriétaire d’un ranch avec 25 chevaux et je ne l’ai plus.
En 50 ans, j’ai dû voir passer au moins 54 autres promoteurs. Mais personne était meilleur que moi. Pour la boxe, j’ai toujours eu des idées plein la tête. J’en ai encore des bonnes...
Parlant de tête, après trois mois d’hôpital et de pandémie, j’avais l’air du yable. J’avais hâte en cr… de me faire couper les cheveux pis de reparler de boxe, de sport, pis du bon vieux temps avec mon chum Ménick...
Propos recueillis par Jean-François Chabot
Photo d'entête par Myriam Lafrenière