•  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
Sébastien Roulier pousse le fauteuil roulant de Samuel Camirand en courant.

Dr Sébastien Roulier - Je devais être à Boston

« En 2013, j’étais à Boston lorsque la bombe a éclaté durant le marathon [...] Notre bombe, c’est maintenant la COVID-19. Elle ébranle notre quotidien et nos habitudes. Restons forts. »

Signé par Dr Sébastien Roulier

L'auteur est ultramarathonien et chef du Service des soins intensifs pédiatriques du CIUSSS-Estrie-CHUS.

Vous pouvez lire son texte précédent ici, et son texte initial ici.

Je devais être à Boston. Heureux de pousser le fauteuil de mon ami Samuel, entourés de quelque 33 000 coureurs enthousiastes et de centaines de milliers de spectateurs entassés au bord du parcours. Cette foule qui nous transporte pendant 42,2 km.

Lundi, nous devions courir le marathon de Boston, vous vous souvenez? Cette course mythique a elle aussi été fauchée par la COVID-19 et reportée au mois de septembre, si le coronavirus nous laisse la voie libre et respirer un peu jusque-là...

À mes yeux, c'est un passage obligé. Nous, les coureurs, devons prendre notre mal en patience. Comme on dit, le temps arrange les choses. Mais que l'avenir nous réserve-t-il lors de grands rassemblements sportifs? Le mystère plane à Boston, comme ailleurs.

Aujourd'hui, à mon bureau, comme à l'habitude, mes espadrilles sont dans mon sac et j'assume avec plaisir mon rôle de médecin auprès de la population, chez moi, à Sherbrooke.

Heureusement, malgré le confinement, je peux encore profiter du plaisir de courir en attendant le début de la saison des courses.

La compétition ne me manque pas. Avec le temps, outre mes défis en ultramarathons, ma priorité est maintenant de faire vivre à des personnes à mobilité réduite l'exaltation d'un demi-marathon ou d'un marathon. On appelle ça les courses partagées ou les courses en duo. Je pousse quelqu'un qui est atteint d'un handicap et qui n'aurait jamais pu vivre une telle expérience sans mon aide.

J'en retire un grand bonheur aussi. Si vous êtes un coureur et que vous avez un peu de vigueur, vous devriez essayer. La poussée d'adrénaline et la joie que ce travail d'équipe procure sont formidables.

Sébastien Roulier pousse Marie-Michelle Fortin, qui est dans son fauteuil roulant, sur le parcours du marathon.

Sébastien Roulier et Marie-Michelle Fortin au marathon de Boston, en 2019.

Photo : Courtoisie Sébastien Roulier

Je vous ai promis de vous tenir informé de l'état de la situation aux unités des soins intensifs de mon centre hospitalier du CIUSSS-Estrie pendant la crise. Eh bien! les nouvelles sont bonnes. Les patients de la COVID-19 n'envahissent pas nos lits. Je dirais même qu'à Sherbrooke, cette pandémie, nous la vivons de manière plus tranquille qu'anticipée. Et c'est tant mieux comme ça.

Cela signifie que les mesures de confinement et de distanciation sociale ont porté leurs fruits, bien que je constate que la situation est malgré tout alarmante dans les CHSLD, où nos personnes âgées ont besoin d'aide.

Je suis fier de la réponse positive de mes collègues médecins spécialistes à l’aide demandée par le gouvernement. Il suffisait de bien formuler le besoin, et voilà, 2000 médecins engagés ont répondu à l’appel. Il reste cependant à faire un gros travail de coordination pour orchestrer toute cette offre de service, et aussi pour bien nous guider et nous former pour offrir les soins appropriés.

À l'hôpital, notre taux d'occupation demeure bas dans toutes les unités. Ça ne pourra pas rester ainsi. Il faudra reprendre une certaine activité à l’hôpital. On n'est pas à l'abri d'une éclosion lorsque les mesures de déconfinement seront entamées. Il faudra alors bien respecter les règles émises par le gouvernement et par la santé publique. On n’insistera jamais assez là-dessus.

Le Dr Sébastien Roulier (au fond) supervise une simulation d'intervention auprès d'un jeune enfant, personnifié par un mannequin.

Le Dr Sébastien Roulier (au fond) supervise une simulation d'intervention auprès d'un jeune enfant, personnifié par un mannequin.

Photo : Courtoisie Sébastien Roulier

Que nous réserve l’avenir? Notre avenir professionnel à chacun? Nos enfants dans les écoles? Nos vacances? Nos loisirs?

Et le marathon de Boston?

Une si belle rencontre que les organisateurs n'ont eu d'autre choix que de mettre en veilleuse, comme la totalité des autres grands rendez-vous sportifs. Et même si le marathon a été déplacé à une date ultérieure, la menace que la COVID-19 vienne encore une fois contrecarrer nos plans est bien présente. On dirait que seul un vaccin nous permettrait de retrouver un rythme de vie plus « normal ».

Personnellement, je n'ai pas de craintes. Je ne vis pas de remise en question quant à ma participation à des courses lors de grands rassemblements. En suivant bien sûr les consignes des responsables de la santé publique. Les événements sportifs vont survivre, ils ne seront pas exterminés. Il faut continuer à vivre.

Je me revois l’an dernier à la ligne de départ. J'étais en compagnie de Marie-Michelle Fortin, à qui je faisais vivre son premier marathon de Boston.

Souriant, Sébastien Roulier lève un bras tout en poussant le fauteuil roulant de Marie-Michelle Fortin au marathon de Boston.

Sébastien Roulier et Marie-Michelle Fortin au marathon de Boston, en 2019

Photo : Courtoisie Sébastien Roulier

L'excitation du moment. L'orage qui éclate avant que le ciel ne se dégage juste à temps pour le départ. Les coureurs qui s'élancent. J'entends les cris de la foule. Je devine que, devant moi, Marie-Michelle sourit. Et nous ne sommes que quelques dizaines de participants en fauteuil roulant en solitaire ou en duo. Derrière nous, il y a des milliers de coureurs qui attendent leur tour sans se soucier d'être infectés par un quelconque virus mortel. La vie est belle.

Nous avons parcouru les 42,2 kilomètres. Puisque nous partions une trentaine de minutes avant les principaux groupes, Marie-Michelle et moi avons souvent été seuls sur le parcours. Peut-être une trentaine de kilomètres où la route qui mène à Boston semblait nous appartenir. Et toute cette foule, que pour nous! Des applaudissements et des encouragements qui nous ont transportés jusqu’au fil d’arrivée. Oubliez la distanciation sociale. Derrière nous, les coureurs suaient à grosses gouttes, la plupart à moins de deux mètres les uns des autres.

Comment va-t-on faire pour courir le marathon de Boston dans cinq mois? Peut-on encore imaginer un départ de masse? Peut-on tenir la course autrement? Limiter le nombre de participants? Interdire aux spectateurs de s'approcher du parcours? Priver les coureurs de cette frénésie? Priver Samuel de son moment de gloire?

Samuel Camirand devait courir le marathon de Boston avec moi. Il a 26 ans. Il est atteint d’une maladie neurodégénérative : l’ataxie de Friedreich. Depuis plusieurs années, il a perdu l’usage de ses jambes. Sa force musculaire diminue, mais son énergie est sans cesse grandissante.

Notre première rencontre, c’était au demi-marathon de Sherbrooke, en 2018. On battait le record Guinness sur la distance en duo. Lorsque je pense à lui, j’ai toujours en tête cette immense photo affichée dans son salon, où il fait du crowd surfing avec son fauteuil roulant. Ou encore ce moment privilégié de courir ensemble, lui dans son fauteuil motorisé et moi à pied, pour aller chercher notre dossard la veille du marathon de Montréal, l’année passée.

Samuel Camirand, toujours assis dans son fauteuil roulant, est physiquement porté par une foule.

Samuel Camirand

Photo : Tirée du compte Facebook de Samuel Camirand

Je vivrais une grande déception si Samuel devait reporter à nouveau son voyage à Boston en septembre. Ce n’est pas une course comme les autres. Je l’ai déjà courue à 13 occasions. C’est enivrant. Une célébration de la course à pied et du sport que tout coureur veut vivre au moins une fois. Et j’ai la chance de pouvoir offrir l’expérience de ce marathon à Samuel. Mais j’ai confiance en notre communauté de coureurs pour maintenir cet espoir de relance.

Récemment, un coéquipier de l’équipe canadienne, l’ultramarathonien Dave Proctor, a mis sur pied une course virtuelle et la réponse a été fantastique. Plus de 2000 personnes dans 60 pays ont couru sur un tapis roulant ou dans leur quartier sur une distance de 6,7 km, à répéter chaque heure jusqu’à épuisement. Il a appelé l’événement Quarantine Backyard Ultra. Le gagnant, le dernier coureur en lice, a été en mesure de maintenir la cadence pendant 63 heures, pour un total de 422 km.

C’est le genre d’initiative qui nourrit notre imaginaire dans l’attente d’un retour à nos calendriers.


La course est un si beau sport. Moi, je ne le pratique pas pour oublier le travail. Je ne rumine pas dans ma tête mes problèmes de médecin pendant mes entraînements. Au contraire, ça m’inspire des idées. Des fragments de pensées qui viennent et qui partent au gré des kilomètres. Un moment privilégié de réflexion et de partage. C’est un équilibre.

En 2013, j’étais à Boston lorsque la bombe a éclaté durant le marathon. Heureusement, je n’étais pas à proximité du lieu de l’explosion. J’étais déjà sur mon retour, avec trois enfants turbulents au repos dans la voiture, heureux de ma performance, ma meilleure à Boston. On se rappelle les images par contre, la panique : 3 morts et 264 blessés parmi les quelque 26 000 coureurs et les milliers de spectateurs à proximité.

La communauté de coureurs dans le monde a été ébranlée. On se demandait comment le marathon de Boston, comme tous les autres événements de masse, allait se remettre de cet incident. Le mouvement « Boston Strong » est né. La course a repris sa place dans notre quotidien. Le marathon de Boston a repris la sienne dans le calendrier. Aujourd’hui, le nombre de participants est même à la hausse. Les organisateurs ont d’ailleurs limité le nombre d’inscriptions en raison du manque d’espace au départ de la course. Les gens doivent même réaliser un chrono de 2 à 3 minutes inférieur au temps de qualification requis pour être admis et éviter un refus.

Notre bombe, c’est maintenant la COVID-19. Elle ébranle notre quotidien et nos habitudes. Restons forts devant la COVID-19. N’attendons pas un vaccin pour commencer à courir. À bouger. À vivre.

Mais j’ai vraiment hâte de retrouver l’effervescence du marathon de Boston pour y pousser Samuel vers sa médaille.

Sébastien Roulier est intensiviste-pédiatre au CIUSSS-Estrie-CHUS de Sherbrooke, chef du service des soins intensifs pédiatriques du département de pédiatrie et professeur adjoint à la Faculté de Médecine et des Sciences de la Santé de l’Université de Sherbrooke.

Il est aussi un ultramarathonien de calibre international qui a exploré la course sous plusieurs facettes au cours des 20dernières années: sur routes ou en sentiers, souvent dans les montagnes ou en poussant des adultes, sur des distances pouvant aller du marathon à des parcours de près de 250km.

Il est engagé dans sa communauté pour promouvoir les saines habitudes de vie, promouvoir la santé, inciter les gens à bouger et à relever des défis.

Il est père de trois enfants.