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Dr Sébastien Roulier porte un masque, dans une salle d'hôpital.

Dr Sébastien Roulier - Notre ultramarathon à tous, chapitre 2

« J’ai l’impression que nous sommes sur la sellette comme des athlètes aux Jeux olympiques. Que tous nos efforts doivent porter leurs fruits maintenant. Notre médaille, c'est aujourd'hui qu'il faut la gagner, pas demain. Comme on dit dans le jargon sportif, il faut atteindre notre peak, le sommet de notre performance, au moment opportun. »

Signé par Dr Sébastien Roulier

L'auteur est ultramarathonien et chef du Service des soins intensifs pédiatriques du CIUSSS-Estrie-CHUS.

Vous pouvez lire son texte précédent ici.

M. Gagnon ne respire pas très bien. Il a le souffle court.

Dans sa chambre, à l’unité d’hospitalisation, l’homme de 76 ans tousse aussi beaucoup. Ses besoins en oxygène ne cessent d’augmenter. Chaque mot qu’il prononce est entrecoupé pour reprendre sa respiration. Ses poumons sont très malades. Oui, nous sommes inquiets.

Ce jour-là, au cœur de la crise du coronavirus, il ressent en lui les effets du passage de notre pire ennemi actuel, la COVID-19. On dirait que la maladie lui est passée dessus comme un rouleau compresseur. Mais M. Gagnon est combatif, il veut vivre…

La COVID-19 a changé nos habitudes dans les centres hospitaliers. Comme tous les jours, le personnel est sur un pied d'alerte, car le coronavirus est extrêmement contagieux. Toutes les mesures de précautions sont prises pour M. Gagnon afin de nous protéger. Je dis « nous » parce qu'on n'a jamais été aussi méfiant dans notre propre environnement. Les médecins, les infirmières, les inhalothérapeutes, les préposés aux bénéficiaires, les réceptionnistes, les préposés à l'entretien ménager, les gardiens de sécurité. Nous sommes tous sur nos gardes. Parce que ce terrible virus rôde, invisible, dans les parages.

La place de M. Gagnon est maintenant à l’unité des soins intensifs. À son âge, il est parmi les gens les plus vulnérables à la maladie. Il peut être gravement affecté par celle-ci. C’est aussi chez les gens de son groupe d’âge qu’on observe le plus de décès.

Je lui annonce qu’on doit procéder à une intubation, c’est-à-dire l’endormir et prendre le contrôle de sa respiration avec un ventilateur mécanique, un appareil qui pousse de l’air dans ses poumons par un tube qui passe dans sa bouche vers sa trachée. Avec un regard fatigué et une énergie qui semble l’abandonner, il acquiesce en levant le pouce.

Ce signal, je l’ai vu à maintes occasions durant mes nombreux ultramarathons. Des spectateurs qui sont au bord du parcours pour nous, qui veulent nous donner cette poussée nécessaire pour nous rendre jusqu’au bout. Le geste de M. Gagnon me procure cet élan. Il me fait confiance. On avance...

Une infirmière qui porte des gants de caoutchouc joint se mains derrière son dos.

Les mains gantées d'une infirmière.

Photo : Associated Press / Tim Tai

M. Gagnon est installé dans une chambre munie d’un échangeur d’air, qui empêche l’air environnant de sortir de la pièce. On veut tous se protéger du virus qui pourrait envahir notre environnement de travail.

Le personnel médical ne doit surtout pas attendre une détérioration majeure pour intervenir. À l’ère de la COVID-19, on procède de manière précoce pour ne pas devoir agir en catastrophe et perdre un temps précieux à s’habiller adéquatement. Masque, lunettes, blouse et gants. C’est long à revêtir, tout cet équipement de protection, pour affronter la menace. Mais il vaut mieux réaliser nos interventions dans des conditions optimales.

Et c'est comme ça pour tous les patients, les plus jeunes aussi.


C’est maintenant le moment de la procédure. Chaque étape du processus est révisée avant d’entrer dans la chambre. On limite le nombre d’intervenants pour diminuer les risques de contamination. Un médecin, un inhalothérapeute et une infirmière se rendront auprès de M. Gagnon. D’autres personnes resteront à l’extérieur pour aider le trio dans la chambre. Et le matériel qui entre dans la pièce est restreint aussi. Que le strict nécessaire pour faire la procédure.

M. Gagnon est prêt.

Les médicaments pour l’endormir et le paralyser sont administrés. M. Gagnon réagit bien à la séquence qui mène à son intubation. Son taux d’oxygène n’a descendu que de quelques points et sa pression artérielle est restée à des niveaux acceptables.

Il est maintenant intubé. Le tube qui descend dans sa trachée est bien fixé et est connecté au respirateur. Le patient reçoit d’autres médicaments, en perfusion continue cette fois, pour le garder endormi afin de mieux tolérer le respirateur artificiel.

Combien de temps devra-t-il vivre ainsi?

On ne le sait pas, mais ça pourrait durer plusieurs semaines. Nous allons l’aider à traverser cette épreuve pour qu’il retrouve sa femme. M. Gagnon est entre bonnes mains, les nôtres…

Une infirmière portant une visière de protection marche dans une clinique de dépistage temporaire.

Une infirmière patiente entre deux tests de COVID-19.

Photo : Associated Press / Ted S. Warren

Au nom de tous mes collègues, je veux remercier la population pour les nombreux encouragements que nous recevons chaque jour. On est conscient de notre rôle plus que jamais. Votre message est entendu et ressenti.

Tous les professionnels de la santé sont soudainement unis pour un même combat. On n’a jamais vécu ça. Les médecins sont fiers de ce mouvement de reconnaissance envers eux et leurs nombreux alliés dans cette crise. Les critiques, c’est du passé. On embarque tous dans le même bateau, et cette vague d'amour nous motive.

J’ai l’impression que nous sommes sur la sellette comme des athlètes aux Jeux olympiques. Que tous nos efforts doivent porter leurs fruits maintenant. Notre médaille, c'est aujourd'hui qu'il faut la gagner, pas demain. Comme on dit dans le jargon sportif, il faut atteindre notre peak, le sommet de notre performance, au moment opportun. Si l’on se fie aux experts, le sommet de la courbe de la COVID-19 au Québec, c’est pour le 18 avril. Croyez-nous, on va tenir le coup. Et si le pic survient plus tard, nous serons toujours là.

Marie Michelle Fortin et Sébastien Roulier au Marathon de Boston

Marie Michelle Fortin et Sébastien Roulier au Marathon de Boston

Photo : Radio-Canada

Quand l’équipe Podium m’a demandé de collaborer pour rédiger des textes hebdomadaires pendant la crise, je n’ai pas hésité une seconde.

Depuis plusieurs années, je partage mes expériences à la course grâce à des articles de blogue, des publications Facebook ou des conférences. J’ai maintenant l’occasion de partager mes expériences d’une autre de mes passions, celle du médecin.

Aussi, je crois que c'est la moindre des choses d'informer le public de ce qui se passe entre les murs de nos hôpitaux. C'est une force de compter sur l'appui des gens. Il faut leur donner l'occasion de comprendre la crise de l'intérieur. Le dévouement de l'ensemble du personnel de la santé mérite cette attention.

Je suis fier d'être leur porte-parole dans ce cadre-ci. Je ne m'attendais pas à jouer ce rôle, comme je ne pensais pas devenir un jour ni ultramarathonien ni médecin spécialisé en soins intensifs pédiatriques. Mon intuition et le désir d'explorer des territoires inconnus m'ont amené sur ces chemins.

Une citation de l'acteur Tom Hanks dans son rôle d'Isaac Sachs, dans le film Cloud Atlas, résume bien tout ça : « Chaque point de jonction, chaque rencontre est une fenêtre ouverte sur d'autres horizons. » Au bout du chemin, un autre chemin apparaît. Comme une suite de points qu’il faut relier sans destination connue. Explorer là où la vie nous mène.

C'est exactement ce que je vis, à la fois à la course et dans mon métier de médecin. Chaque défi est un passage vers un autre défi. Et la crise de la COVID-19 fait partie des défis à relever. Tout ceci rejoint la philosophie derrière la Prophétie des Andes : les événements ne se produisent pas sans raison. Il faut se laisser guider par nos intuitions… mais surtout, avancer. J'ai la conviction que cette tribune va toucher la population.

Deux personnes se croisent en marchant dans un couloir d'hôpital.

Un couloir d'hôpital

Photo : fairfax media via getty images / Fairfax Media

Qu'arrive-t-il à M. Gagnon? Je vous rassure, il va mieux.

Cette crise du coronavirus nous force à développer toutes sortes de stratégies pour préserver la santé des Québécois. Lorsqu'une situation d'urgence se produit, il faut agir en fonction d'un plan préétabli. Et notre équipe médicale a suivi le plan à la lettre.

Afin de développer de bons réflexes en situation d'urgence liée à la COVID-19 durant cette crise, le Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (CHUS) du CIUSSS-Estrie procède à des exercices de simulation dans un centre spécialisé en la matière annexé à l'hôpital : le LSC, soit le Laboratoire de simulation clinique de la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke.

Oui, M. Gagnon existe quelque part dans notre région. Un jour, peut-être demain, il se rendra d'urgence à notre hôpital dans l'espoir de recevoir les meilleurs soins. Et pour arriver à le soigner, et peut-être à lui sauver la vie, il faut que nous soyons prêts.

L’expérience, ça ne s'achète pas. Mais nous pouvons, comme professionnels de la santé, nous exercer à peaufiner notre technique avant que la situation réelle se produise sous nos yeux.

Dans ce texte, je vous ai raconté une situation que mes collègues ou moi vivons chaque semaine dans les hôpitaux québécois depuis l’éclatement de cette crise. Ce M. Gagnon, dont l’état de santé nous faisait craindre le pire, est en réalité un mannequin haute fidélité qui, en nous permettant de faire des simulations, nous aide à sauver des vies.

Un « patient » sur lequel nous testons nos réflexes pour combattre le coronavirus en situation d'urgence. Oui, un mannequin qui, le lendemain, dans la vraie vie, sera peut-être un grand-papa souffrant aux soins intensifs et qui s’appellera M. Gagnon. Votre frère, votre ami, le bon gars du voisinage, le copain de votre mère ou l’ex-champion du marathon.

Depuis trois semaines, des médecins, des infirmières, des inhalothérapeutes et des préposés aux bénéficiaires se sont succédé au LSC pour participer à des simulations d'intubation et de réanimation spécialement conçues pour les cas de COVID-19, autant pour la population adulte que la population pédiatrique.

Le Dr Sébastien Roulier (au fond) supervise une simulation d'intervention auprès d'un jeune enfant, personnifié par un mannequin.

Le Dr Sébastien Roulier (au fond) supervise une simulation d'intervention auprès d'un jeune enfant, personnifié par un mannequin.

Photo : Courtoisie Sébastien Roulier

Comment fait-on?

D’abord, moi, je suis l’instructeur. C’est ma responsabilité de définir le scénario qui sera dévoilé au groupe de 8 à 10 personnes qui se sont inscrites à l’exercice. Ces professionnels de la santé ne sont pas informés à l’avance de l’évolution du cas, mais ils connaissent la procédure à suivre dans les cas de COVID-19. Ils ont fait la lecture des documents.

Au LSC, ils doivent mettre en pratique ce qu’ils savent. Mais le feront-ils adéquatement une fois sous pression? Vous conviendrez que c'est bien mieux un oubli sur un mannequin que sur le véritable M. Gagnon, même s’il n’est pas votre préféré dans la vie!

Pendant une vingtaine de minutes, sous mes yeux, les participants devront donc faire les bons gestes pour traiter leur patient, dont la condition évolue selon les manoeuvres d’un technicien, posté derrière une vitre dans la chambre, qui applique les consignes du scénario ou celles que je lui transmets par un micro.

Le mannequin haute-fidélité émet des bruits, sa respiration s’accélère, ses pulsations sont perceptibles. Il est branché à un moniteur qui affiche les signes vitaux : sa fréquence respiratoire, sa fréquence cardiaque, sa pression artérielle, sa température et son taux d’oxygène dans le sang. Tous ces paramètres peuvent être modifiés. Les participants doivent réagir en conséquence. On peut également intuber le mannequin en utilisant la même technique que sur une vraie personne. Il se branche également sur un respirateur. On peut aussi lui administrer des médicaments qu’on aura préparés selon les ordonnances du médecin participant. On fait comme dans la vraie vie. Il y a des délais, il y a des oublis. On ne fait pas semblant.

Posté en retrait, je les observe. Comment réussiront-ils à bien communiquer entre eux dans une situation stressante? Et surtout, comment vont-ils appliquer les gestes d’une intubation ou d’une réanimation en respectant les mesures de précaution que nous exige la COVID-19? Il faut qu’ils respectent la procédure. C’est comme une chorégraphie. Chaque détail compte.

Ensuite, c’est le débreffage. Une étape très importante. On jase. Comme un entraîneur sportif, je décortique le match avec eux. Comment ont-ils vécu la simulation? Comment auraient-ils pu être plus efficaces? Quelles difficultés ont-ils notées? Que retiennent-ils de la simulation?

Certains peuvent vivre la simulation plus difficilement et avoir l’impression de ne pas avoir répondu aux attentes. Mais je le leur répète, rien n’est parfait. On peut tendre vers la perfection. Je ne suis pas là pour juger de leur performance, mais pour les amener à élever leur niveau de jeu que nous impose le coronavirus. Il n’y a rien comme l'entraînement pour devenir meilleur. Voilà.


Ces simulations sont ouvertes à tout le personnel du CIUSSS-Estrie. La réponse a été très bonne jusqu’ici. Nous étions quelques instructeurs et nous avons pu offrir quatre séances par jour aux employés des secteurs adulte et pédiatrique.

Et cette semaine, près d’une quarantaine d’infirmières de mon unité des soins intensifs pédiatriques ont participé à l’exercice. Des médecins, des médecins résidents, des inhalothérapeutes et des préposés aux bénéficiaires se sont aussi joints aux groupes.

Durant une demi-journée, tout ce beau monde a participé à deux simulations : l’intubation et la réanimation d’un jeune enfant de quelques mois. Les autres centres hospitaliers universitaires à Montréal et à Québec ont aussi leur laboratoire de simulation clinique pour préparer leur personnel.

Ce dévouement est un autre exemple de la volonté des professionnels de la santé de bien servir les Québécois qui, malheureusement, se retrouveront dans nos hôpitaux durant cet épisode de COVID-19, condamnés à surmonter cette épreuve.

Les athlètes sont qualifiés pour la finale. Nos entraînements ont créé une chimie entre nous. Réunis vers un but commun pour cette lutte sur le terrain, prêts à soigner tous les messieurs Gagnon...

À la semaine prochaine!

Sébastien Roulier est intensiviste-pédiatre au CIUSSS-Estrie-CHUS de Sherbrooke, chef du service des soins intensifs pédiatriques du département de pédiatrie et professeur adjoint à la Faculté de Médecine et des Sciences de la Santé de l’Université de Sherbrooke.

Il est aussi un ultramarathonien de calibre international qui a exploré la course sous plusieurs facettes au cours des 20 dernières années: sur routes ou en sentiers, souvent dans les montagnes ou en poussant des adultes, sur des distances pouvant aller du marathon à des parcours de près de 250 km.

Il est engagé dans sa communauté pour promouvoir les saines habitudes de vie, promouvoir la santé, inciter les gens à bouger et à relever des défis.

Il est père de trois enfants.