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Elle attaque un virage

Kelsey Mitchell – Mes hauts et mes bas

« Il y a deux ans, je suis devenue championne olympique, le rêve de tout athlète. Depuis, à chaque compétition, on s’attend à ce que je gagne. »

Signé par Kelsey Mitchell

L’autrice est championne olympique en titre du sprint en cyclisme sur piste.

Je m’attends aussi à gagner. J’en ai d’ailleurs fait mon objectif aux Championnats du monde à Glasgow. Je veux porter le légendaire maillot arc-en-ciel. De la pression? Absolument!

Gérer le succès et les attentes qui l’accompagnent, ça ne s'apprend pas en gymnase ni sur la piste. Il faut le vivre et éviter les pièges. Et ce n’est pas toujours facile. La dernière année a d’ailleurs été particulièrement éprouvante. J’ai frappé un mur.

Tout est arrivé si rapidement. Quatre ans seulement après avoir enfourché un vélo de piste pour la première fois, je battais les meilleures sprinteuses du monde aux Jeux de Tokyo. Ç’a complètement changé ma vie.

Comme d’autres médaillés olympiques, je dois rester à la hauteur de mon exploit. Ça amène son lot de défis. Laissez-moi vous raconter.


Après les Jeux de Tokyo, je suis retournée quelques semaines chez moi, en Alberta, et c’était complètement fou! Les restrictions sur les rassemblements commençaient à s’assouplir et je n'avais vu personne depuis plus d’un an en dehors de mon entourage sportif.

Pendant des jours, j’ai multiplié les apparitions dans les médias. Tout le monde veut te voir et s’intéresse à toi et à ton sport. Je voulais bien sûr en profiter. J’essayais d’en faire le plus possible parce que je savais très bien que la fenêtre allait se refermer assez vite et que j’allais bientôt retomber dans ma routine.

C’était important pour moi de partager mon histoire. L'expérience a été enrichissante, mais aussi exténuante. Sept ou huit entrevues par jour dans lesquelles je revivais la conquête de ma médaille d’or. Les gens me demandaient : Comment t’es-tu sentie lorsque tu as croisé la ligne d’arrivée? ou Est-ce que ta vie a changé?.

Je n’étais plus habituée aux foules et aux nombreuses rencontres sociales, c’était beaucoup à gérer. Je ne changerais rien, mais si ça devait arriver à nouveau, je ne ferais que la moitié des entrevues et apparitions publiques et je prendrais plus de temps pour moi.

J’étais très motivée de retourner à l’entraînement afin de me préparer pour les Championnats du monde à Roubaix quelques semaines plus tard. J’y ai remporté le bronze au sprint. J’étais heureuse d’être sur le podium, mais aussi un peu déçue parce que je venais de remporter l’or olympique.

C’est à ce moment que j’ai réalisé que chaque course à laquelle j’allais participer sans gagner l’or, ce ne serait pas suffisant.

Elle roule sur la piste.

Kelsey Mitchell

Photo : Radio-Canada / Stéphane Paquin

En compétition, j’entendais les annonceurs maison me présenter ainsi : La championne olympique en titre et détentrice du record mondial, du Canada, Kelsey Mitchell. Comme quoi on s’attendait à ce que je gagne tout le temps. C’est ce que j’ai fait aux Coupes des nations suivantes, au début de la saison 2022, soit à Glasgow au sprint et à Milton au keirin.

Puis, j’ai eu droit à une première pause d’entraînement en près de deux ans. Mon attention s’est détournée un peu du vélo, car je ne pensais plus qu'à ça. J’ai voyagé et participé à plusieurs activités avec des commanditaires et l’équipe nationale.

C’était rafraîchissant. Je pouvais avoir une vie sociale en dehors du vélo, chose impossible au début de la pandémie. Je voulais profiter un peu des avantages qui viennent avec le fait d’être championne olympique. J’y ai évidemment pris goût. J’ai adoré, par exemple, aller voir des enfants avec ma médaille pour leur raconter mon histoire.

Mais toutes ces activités étaient néfastes pour mon entraînement, même si elles faisaient du bien à mon moral. Elles me grugeaient du temps et de l’énergie. J’allais d’ailleurs en payer le prix quelques mois plus tard.


Il fallait bien retourner à l’entraînement sérieusement en vue des mondiaux de l’automne 2022, en France.

En préparation, mes résultats en compétition étaient bons, mais je me sentais sur une pente descendante. Nous avions beaucoup de courses et moins de temps pour nous entraîner. Je participais encore à des activités extérieures. J’ai négligé ma récupération et mon sommeil ici et là. Mes temps à l'entraînement ont commencé à se détériorer et j’ai même pris un peu de poids.

Ça m’a rattrapée aux Championnats du monde. Tout le monde s’attendait à ce que je remporte le titre, moi aussi. Mais je savais intérieurement que je n’avais pas les jambes. Mon équipe, elle, n’en savait rien. Je me souvenais de tout le travail que j’avais mis pour gagner aux Olympiques, de mon dévouement. Ça ne se comparait pas du tout.

Tout doit être mis au point avant une compétition de cette envergure. Ce n’était pas le cas. J’avais laissé tomber ma garde et je ne m’étais pas assez entraînée. J’ai été éliminée sèchement en huitièmes de finale du sprint, un résultat désastreux.

Ç’a été difficile à encaisser. De retour à la maison, je me suis questionnée sur chaque facette de ma préparation. J’ai d’abord réalisé que je devais concentrer toutes mes énergies sur mon sport, comme avant les Jeux.

Des cyclistes en ligne pendant un entraînement

Kelsey Mitchell et Lauriane Genest (au centre) à l'entraînement

Photo : Radio-Canada / Stéphane Paquin

D’autres athlètes gèrent mieux l’entraînement, les compétitions, la vie sociale et les distractions. Je ne suis pas très douée pour trouver un équilibre de vie à travers tout ça. J’ai besoin de m’investir dans une seule chose pour avoir du succès, sans me perdre ailleurs. C’est ce que je dois faire pour n’avoir aucun regret. Une carrière d’athlète d’élite, c’est trop court et je veux en profiter au maximum.

J’ai procédé à plusieurs changements dans ma routine et dans mes entraînements. Ça n’a pas fait l’affaire de tout le monde, avec raison d’ailleurs. Avec mon équipe, on a trouvé une recette qui a fonctionné pendant des années. Mais je suis ailleurs. Avant, j’étais une athlète qui tentait de devenir cycliste. Maintenant, je suis une cycliste qui tente de demeurer au sommet.

Je dois être une version améliorée de la championne olympique de 2021. Si je refais la même chose avant les prochains Jeux, à Paris, je ne serai pas sur le podium, c’est sûr.

Il faut juste faire des ajustements pour poursuivre le travail. Inquiète de mes problèmes de dos récurrents, j’ai changé ma position sur mon vélo. J’ai aussi modifié mon alimentation, ma façon de récupérer et mon sommeil. J’ai maintenant besoin de savoir pourquoi je fais quelque chose, et s’il est possible d’y parvenir avec une autre approche.

Une cycliste roule seule sur une piste

Kelsey Mitchell

Photo : Radio-Canada / Stéphane Paquin

Je suis aussi partie en Californie pendant quelques semaines l’hiver dernier, loin de l’équipe nationale. J’adore mes coéquipières, mais j’avais besoin d’un changement d’air. Je l’ai fait juste pour moi et ça m’a fait le plus grand bien. Ç’a été une expérience personnelle très enrichissante. Je suis partie seule, à un endroit où je n’étais jamais allée, et je me suis entraînée avec de nouveaux partenaires. Les gens à Cyclisme Canada ont été et sont toujours formidables, mais j’avais besoin de grandir intérieurement.

J’ai rencontré des gens formidables et pour tout dire, j’ai appris davantage sur moi-même en un mois là-bas qu’au cours des dernières années. J’ai compris un peu plus ce qu’il fallait pour connaître du succès dans mon sport, mais aussi dans toutes les sphères de ma vie personnelle.

Je suis revenue avec une nouvelle énergie et je me suis beaucoup entraînée sans arrêt. Je voulais racheter mes contre-performances aux Championnats du monde et prouver à tout le monde, y compris à moi-même, que ce n’était qu’une erreur de parcours.

Nous avions aussi besoin de points rapidement en vue de la qualification pour les Jeux de Paris. Je me suis donc présentée à la première Coupe des nations de la saison, à Jakarta, au mois de février dernier, gonflée d’ambitions.

À ma grande surprise, j’ai atteint le fond du baril. J’ai terminé 22e en qualifications avec un temps au-dessus des 11 secondes. Je suis pourtant détentrice du record mondial sur cette distance. J’ai été battue dès le premier tour, un des pires résultats de ma carrière. J’y avais mis tous les efforts inimaginables, mais ça n’a pas été suffisant. Mon corps ne voulait plus répondre. Il en avait assez.

J’avais le sentiment que j’avais tout fait pour réussir à nouveau, mais j’ai fini par réaliser que le changement prend du temps. J’avais bousculé un peu les choses dans ma façon de m’entraîner.


Nous avions rendez-vous au vélodrome de Milton, en avril dernier. Il s’en est fallu de peu pour que je manque cette importante compétition, parce que nous avions envisagé que je me concentre sur mon entraînement en vue des mondiaux et des Jeux panaméricains. Je tenais par contre à compétitionner à la maison. J’y suis allée, mais avec des attentes modérées parce que je n’étais pas encore au sommet de ma forme.

La fin de semaine a très bien commencé. Avec Lauriane Genest et Sarah Orban, j’ai remporté la médaille d’argent au sprint par équipe. Le lendemain matin, j’ai enregistré le 4e temps au 200 mètres des qualifications de l’épreuve du sprint. D’un tour à un autre, je prenais de la confiance. À ma grande surprise, je me suis faufilée jusqu’en grande finale devant un vélodrome bondé de partisans canadiens. Après trois manches de finale âprement disputées, j’ai battu ma rivale colombienne.

Elle sourit au moment de franchir la ligne d'arrivée devant son adversaire.

Kelsey Mitchell, tout sourire, traverse la ligne en première place lors de la troisième et ultime manche de la finale du sprint à Miton.

Photo : La Presse canadienne / Michel Guillemette

J’étais de retour sur le podium avec une médaille d’or autour du cou. Quelle sensation incroyable! J’étais délivrée et soulagée. Ce week-end était chargé en émotions. J’avais besoin de cette performance. Ça m’a confortée dans les choix que j’ai faits les mois précédents.

J’ai réussi à gagner même si, physiquement, je n’étais pas à mon mieux. C’était une nouvelle façon pour moi de connaître du succès. Avant, je comptais en très grande partie sur mes habiletés athlétiques et sur ma puissance pour prendre l’avance dans une course et la conserver. Maintenant, je comprends mieux comment profiter de l’aspiration et comment coincer mes adversaires stratégiquement sur la piste. Je suis une meilleure cycliste.


J’ai grandi énormément en tant que personne au cours de la dernière année. Je suis très enthousiaste de voir ce que je pourrai accomplir à mon plein potentiel physique.

Elle porte son vélo sur son épaule

Kelsey Mitchell à l'entraînement

Photo : Radio-Canada / Stéphane Paquin

Quand je me suis lancée dans ce sport, j’ai eu du succès rapidement et fréquemment. Je dépassais toujours les attentes. J’étais moi-même surprise parce que je ne savais pas trop dans quoi je m’embarquais et je ne voulais que faire de mon mieux à mes premières années avec l’équipe nationale.

Puis, je suis devenue championne olympique et j’ai dû accepter que la vie d’athlète d’élite soit parsemée de hauts et de bas. On peut être malade ou se blesser, ou devoir gérer les problèmes personnels qui nuisent à nos entraînements et à nos compétitions.

Les gens me demandent souvent quels sont mes objectifs et mes sources de motivation après avoir gagné aux Jeux. C’est assez simple : être la meilleure, encore, aux JO comme aux mondiaux. Je suis en train de trouver la meilleure façon d’y arriver. Et je le fais avec le sourire, parce que j’apprécie chaque instant de ma vie d’athlète d’élite.

Il n’y a aucun doute dans ma tête, je serai plus forte que jamais sur la ligne de départ aux Jeux olympiques de Paris l’été prochain. Je suis d’autant plus motivée qu’il y a des gens qui doutent encore de moi. Ça ne fait qu’allumer encore plus la flamme en moi.