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La nouvelle famille de Prinzy Dessources

Quand une coach adopte son joueur

« Je savais que Prinzy n'était pas un délinquant ou un garçon à problèmes. Simplement un jeune qui avait besoin qu'on lui tende la main. »

Un texte de Antoine Deshaies, Journaliste sportif

Jade Pelletier, enceinte de trois mois, était déjà couchée quand son conjoint, Benoît Groulx, est venu la rejoindre dans la chambre du couple. Quand il s’est assis sur le bord du lit, Jade a prononcé des mots qui allaient changer leur vie.

« Je veux qu’on le garde. »

« Le » ne faisait pas référence au bébé qui se développait dans son ventre, mais plutôt à Prinzy Dessources, le gardien de but de l’équipe de futsal qu’elle entraîne à l’école Curé-Antoine-Labelle de Laval.

C’est aussi, et surtout, un adolescent d’origine haïtienne sorti d’urgence de sa famille d’accueil deux semaines plus tôt et presque aussitôt accueilli dans l’appartement du couple à Laval. La décision quant à son avenir devait être prise rapidement pour limiter l’incertitude.

Groulx a enlevé sa casquette et s’est passé la main dans ses cheveux ras. Il a réfléchi pendant la discussion qui a suivi, puis il a accepté. Après tout, sa conjointe avait déjà accepté la fille de Groulx, née d’une première union, à coeur ouvert. C’était le juste retour du balancier.

D’un couple, Jade et Benoît allaient donc devenir une famille de quatre et même de cinq à temps partiel. Tout ça, en quelques mois à peine.


Jade Pelletier se souvient du fil des événements comme si c’était hier.

Le mercredi 11 octobre 2017, elle a reçu un message de Prinzy qui lui annonçait qu’il ne pourrait pas jouer le prochain match prévu deux jours plus tard.

L’enseignante en adaptation scolaire n’a jamais entretenu de correspondance avec ses élèves, par nécessité de garder une saine distance. Mais pour les joueurs de son équipe de futsal, c’est différent.

« Prinzy m’a écrit qu’il venait de se faire mettre dehors de chez lui, explique Pelletier. Il était physiquement à l’extérieur de sa maison, collé sur le mur pour capter le signal du wi-fi. Je l’ai convaincu de trouver refuge chez sa gardienne pour la nuit. On a fait un signalement au directeur de la protection de la jeunesse dans les heures suivantes. »

Le vendredi, Prinzy a dû faire un choix. Choisir entre la famille d’accueil d’urgence que la DPJ lui avait trouvée ou faire confiance à Jade et Benoît qui étaient prêts à l’accueillir, au moins pour la fin de semaine. C’est le choix qu’il a fait.

La directrice de l’école n’était pas chaude à l’idée que Prinzy se retrouve chez sa coach. Jade Pelletier, elle, était décidée et convaincue du bien-fondé et de l’authenticité de sa démarche.

« Si je ne le prenais pas, où allait-il se retrouver, se questionne-t-elle. Je ne l’aurais pas fait pour tous mes joueurs ou mes élèves, mais Prinzy, je savais qu’il n’était pas un délinquant ou un garçon à problèmes. Il est simplement un jeune qui a besoin qu’on lui tende la main. »

Ainsi, avec comme seules possessions les vêtements qu’il portait ce vendredi 13 octobre, Prinzy est entré chez la famille Groulx-Pelletier pour ne plus jamais en sortir.


Prinzy Dessources ne connaît pas son père et à peu près pas sa mère. Il a été placé dans une première famille d’accueil à 6 ans, puis dans une deuxième, à 11 ans.

L’adolescent, aujourd’hui âgé de 17 ans, a eu un début de vie « compliqué », selon ses propres mots. Mais pour la première fois de sa vie, il a la certitude qu’il a enfin trouvé sa famille.

En février 2018, Jade Pelletier et Benoît Groulx sont devenus ses tuteurs légaux. Ils lui ont annoncé la nouvelle en lui offrant, au restaurant, un cadre sur lequel il était inscrit : « Bienvenue dans notre famille. »

«  »

— Une citation de  Jade Pelletier

« Je suis tellement reconnaissant surtout que Jade était enceinte quand ils ont pris leur décision, explique Prinzy. C’est compliqué d'être enceinte et de devenir maman d’un garçon de 16 ans en même temps. »

Un an après son arrivée dans la famille, Prinzy est méconnaissable. Très maigre à son arrivée, il a pris du coffre et surtout de la confiance en lui. Il améliore petit à petit son dossier scolaire et espère obtenir son diplôme d’études secondaires en juin 2020.

Prinzy Dessources tient le petit Madden, 7 mois, dans ses bras.

Prinzy Dessources et son nouveau petit frère, Madden.

Photo : Radio-Canada / Alain Decarie

En plus d’être gardien au futsal, il joue dans l’équipe de basketball de son école. Il fait du sport tous les jours.

Il a même cessé la consommation de médicaments qu’il prenait pour ses problèmes de concentration en classe. Il n’est toujours pas le plus volubile, mais il prend sa place en groupe.

« Il gagne en confiance, il a changé sa coupe de cheveux et son style vestimentaire, explique Benoît Groulx. Je trouve qu’il s'est vraiment épanoui dans la dernière année. Il a une belle personnalité. Il est drôle. On taquine beaucoup Jade ensemble. On fait du sport ensemble, c’est comme un ami. »

«  »

— Une citation de  Prinzy Dessources

La communication est limpide entre Prinzy et ses nouveaux parents. Papa et maman sont tous les deux dans la jeune trentaine et travaillent en milieu scolaire. Benoît Groulx, ancien quart vedette du Rouge et Or de l’Université Laval, est entraîneur de football au Collège Charles-Lemoyne à Longueuil.

« Je trouve que c'est encore plus le fun parce qu’ils sont encore dans mon monde à moi, dit le longiligne et athlétique jeune homme. Je peux parler comme s'ils étaient mes amis et tout. Mon père comprend tout. »

Le père, en plus d’avoir de la facilité à tisser des liens avec des adolescents, connaît aussi son lot d’expressions créoles.

« J’ai joué au football toute ma vie avec des gars d’origine haïtienne, explique Benoît Groulx. Je sais comment aller les chercher les jeunes et leur parler. Créer des relations avec les gars c’est l’une de mes forces comme entraîneur. Ça me sert avec Prinzy et ça va super bien. »


Jade Pelletier avait toujours rêvé d’adopter un enfant.

« Je me suis toujours dit qu’il y a tellement d’enfants qui n’ont pas de parents et qui en ont besoin, explique-t-elle. Ce n’était pas prévu qu’on le fasse comme ça et si rapidement, mais la situation s’est présentée et on a pris notre décision. »

Et elle insiste. À ses yeux, Prinzy et son fils biologique de 7 mois, Madden, représentent la même chose.

«  »

— Une citation de  Jade Pelletier

Bien sûr, la différence physique ne s’effacera jamais. Prinzy est le seul membre des familles Groulx et Pelletier à avoir la peau noire. Une différence qui n’en fait pas.

« C’était un peu bizarre la première fois que je suis arrivé dans une fête de famille parce que j’étais le seul Noir, explique Prinzy. Je me demandais si j’allais être bien intégré et tout s’est bien passé. Ça ne dérange pas. Ils m’aiment comme je suis. »

Prinzy Dessources, qui tient dans ses bras le petit Madden, est assis sur un divan près de son père et de sa mère.

Prinzy Dessources avec les membres de sa nouvelle famille : son père Benoît Groulx, sa mère Jade Pelletier et son nouveau petit frère, Madden

Photo : Radio-Canada / Alain Decarie

La routine s’est déjà bien installée au domicile des Groulx-Pelletier. On se prépare à célébrer Noël en famille.

L’an dernier, à son premier Noël avec Jade et Benoît, Prinzy a reçu un voyage en Floride en cadeau. Il n’avait jamais voyagé de sa vie.

La famille n’a rien prévu d’aussi extravagant cette année. Seulement un Noël à cinq, avec Emma, la fille de Benoît qui habite principalement à Québec.

« Ma fille a toujours voulu avoir un grand frère, explique Groulx. Les deux ensemble sont beaux à voir. Ils ont une très belle relation. »

Prinzy Dessources tient sa soeur Emma dans ses bras.

Prinzy Dessources et sa nouvelle soeur, Emma

Photo : Courtoisie famille Pelletier-Groulx

Prinzy dit aujourd’hui maman et papa quand il s’adresse à Jade et à Benoît. Les termes lui sont venus en bouche naturellement, mais progressivement. D’abord il a parlé de ses parents à des amis au téléphone, puis il s’est mis à utiliser « mamounèze » et « papounèze » en message texte.

Il admet aujourd’hui que c’est parfois étrange d’être entraîné par sa mère au futsal. Il ne sait pas trop comment l’exprimer, mais « c’est différent », selon lui.

À la maison, Prinzy est heureux, mais vit les frustrations habituelles des adolescents de son âge. Quand on lui demande la première chose qui lui vient en tête lorsqu’on mentionne le nom de sa mère, il offre une réponse originale.

« Je pense à corvées, lance Prinzy, pince sans rire. Des fois, je n’aime pas ça promener le chien ou ranger ma chambre, mais je n'ai pas le choix. Ma mère insiste pour que je le fasse. »

Des irritants qui sont bien secondaires après des années passées en famille d’accueil.

« On doit lui répéter de ranger sa chambre, de nous aider avec le ménage et le chien, explique Groulx. Mais si c’est juste ça le problème, bien il n’y en a pas de problème. »

Le plus important, selon les parents, c’est que Prinzy trouve une passion ou une voie à suivre qui l’intéresse. Groulx le verrait bien travailler avec les jeunes ou encore devenir mannequin. Les deux parents vont l’encadrer aussi longtemps qu’il en aura besoin. Mais rien ne presse.

Pour l’instant, la vie suit son cours. Jade et Benoît aiment Prinzy et savourent le bonheur qu’il apporte dans leur vie.

«  »

— Une citation de  Benoît Groulx

Prinzy songe maintenant à faire changer son nom de famille pour devenir Prinzy Groulx. Il pourrait amorcer les démarches dès l’atteinte de la maturité l’été prochain.

« Je suis fière qu’il envisage de prendre le nom de Benoît, confie Jade Pelletier. Ça me touche et ça nous touche beaucoup. »

Un signe de plus qui illustre la réussite de cette greffe, improbable au départ.

La confirmation que Prinzy a trouvé sa vraie famille.

Prinzy Dessources et sa nouvelle famille sont assis sur le plancher devant leur arbre de Noël.

Prinzy Dessources et sa nouvelle famille

Photo : Courtoisie famille Pelletier-Groulx