
Christine est le soccer canadien
« J’avais 17 ans quand j’ai rencontré Christine Sinclair pour la première fois. Je n’ai pas eu droit à une poignée de main, mais plutôt à son coude dans mon visage. »

Signé par Diana Matheson
L’autrice est une ancienne joueuse professionnelle de soccer. Elle a enfilé plus de 200 fois le maillot de l’équipe canadienne, avec laquelle elle a remporté deux médailles de bronze aux Jeux olympiques. Elle rend ici hommage à Christine Sinclair, qu’elle a côtoyée tout au long de sa carrière.
J’étais dans l'équipe de l'Ontario et on affrontait la Colombie-Britannique. Je ne l’avais jamais croisée sur un terrain avant. Elle était incroyable. C'est de loin le meilleur coup de coude que j'ai jamais reçu.
Je racontais aux gens par après que Christine Sinclair m'avait donné un coup de coude au visage. Je suis certaine que je le lui ai dit quelques années plus tard aussi.
Je savais parfaitement qui elle était. Quand je me suis jointe à l'équipe nationale en 2003, elle était là depuis trois ans. Elle était une joueuse incroyable en pleine ascension qui marquait déjà des buts pour le Canada à 16 ans. On faisait partie d’un groupe très prometteur de joueuses du même âge, d’une nouvelle génération.
On a toujours eu des points communs, à commencer par le fait qu’on est toutes deux introverties. J'étais très timide à mes débuts avec l'équipe nationale et je n’ai pas parlé à beaucoup de gens pendant environ deux ans. Comme Christine est également très discrète, il nous a fallu du temps pour nous connaître plus.
Ce que je trouve dommage, c’est que c’est seulement dans les 10 dernières années, après 2012, que le Canada a vraiment pu voir Sinc
jouer, comme nos matchs étaient de plus en plus télévisés et diffusés en continu. Avant ça, il y a eu une décennie pendant laquelle Christine était la meilleure joueuse du monde et les Canadiens n'ont jamais pu en être témoins.
Sinc a toujours été de classe mondiale. Au début de ma carrière, Mia Hamm jouait toujours, Abby Wambach commençait également. Christine Sinclair a toujours été avec elles au sommet.
C'est une buteuse. Quand elle a une occasion de marquer, son rythme cardiaque n'augmente pas, le temps ralentit pour elle et elle met très simplement le ballon au fond du filet là où la gardienne n'est pas. C'est un talent unique.
Quand elle était plus jeune, elle faisait une tonne de courses à partir de l’arrière. Elle dépassait toutes les défenseuses. Le type de course qu'elle avait l'habitude de faire dans sa jeune vingtaine, c’était un vrai spectacle. Puis, en vieillissant, elle s'est adaptée à son rôle d'attaquante plus centrale ou de milieu de terrain.
Maintenant, elle est plus une fabricante de jeu. Évidemment, elle parvient encore à percer dans la surface. Mais peu importe son âge, elle a toujours été brillante.
Elle était assurément l’une des joueuses avec qui c’était le plus facile de jouer. Tu as le ballon et tu te dis : Christine devrait faire cette course-là.
Elle est déjà devant toi, en train de faire cette course-là.
C'était un honneur et un rêve en tant que milieu de terrain de lui donner un ballon en profondeur. J'ai été privilégiée d'être aussi près d'elle sur le terrain pendant toutes ces années.
J'ai participé à trois Jeux olympiques et à quatre Coupes du monde aux côtés de Christine. Elle a pris part à ses quatrièmes Jeux en 2021, où elle a remporté l'or, et disputera dans quelques jours sa sixième Coupe du monde. C'est incroyable. Jouer dans la quarantaine en tant qu’internationale de haut niveau est un exploit extrêmement rare. Seule Formiga a disputé sept Mondiaux.
En plus d’être la GOAT (greatest of all time/meilleure de tous les temps), Sinc est drôle, allumée, sarcastique et toujours partante pour un café. On a passé beaucoup de temps dans la vingtaine à faire des folies tout en nous entraînant très fort ensemble à Vancouver. On a passé des heures à jouer à Guitar Hero et à faire des courses matinales sur le bord du lac.
Je me souviens aussi de la fois où Christine a mis la main sur une bouteille de vin dans un restaurant chinois et a semé la frénésie parmi le personnel de l’hôtel. On ne savait plus où était passée cette fameuse bouteille. Ce sont des souvenirs qui nous ont façonnées en tant qu'adultes.
Gagner cette première médaille de bronze aux Jeux olympiques de Londres en 2012 est un souvenir avec Christine que je n'oublierai jamais.
C'est à ce moment-là qu'elle s'est vraiment imposée comme leader.
Après notre défaite contre les États-Unis en demi-finales, tout le monde dans le vestiaire était dévasté et pleurait. Sinc a choisi ce moment pour se lever. Elle a dit à quel point elle était fière de l’équipe et que c’était impossible que nous rentrions chez nous sans médaille.
C'est quelque chose qu’elle n'aurait jamais fait avant parce que ce n’est pas dans sa nature. Mais elle connaissait le pouvoir de sa voix.
On a fait un gros travail de leadership quand John Herdman est arrivé. On a toutes été mises au défi de se regarder et de trouver quel genre de leaders on était ou qu’on voulait être. Je pense que c'est à ce moment-là que Sinc a compris que tous les leaders ne sont pas des cheerleaders. Que ce n’est pas nécessaire d’être loquace et de faire des discours de motivation animés avant chaque match.
Elle a réalisé qu'elle est le type de leader qui mène par l'exemple et qui, bien qu'elle ne parle pas beaucoup, sait que sa voix est porteuse. Et elle sait quand parler.
J'ai vu Christine grandir et devenir une meneuse sur le terrain et à l’extérieur. Je l'ai vue faire des centaines, des milliers d'entrevues parce qu'elle était le visage de l'équipe. Elle les a toujours faites même si elle détestait ça.
Sinc est quelqu'un qui, par-dessus tout, aime jouer au soccer, est incroyablement talentueuse dans ce sport, à peu près meilleure que quiconque sur la planète, et y a consacré sa vie. C’est de cette manière qu’elle est devenue une leader et une coéquipière exceptionnelle pour tous ceux qui l'entourent.
J'ai encore des frissons rien qu'à penser à ce moment en 2012, avant notre match pour la médaille de bronze. Et je n'étais même pas dans le vestiaire parce que j'étais en train de passer un test antidopage. Imaginez si j’avais été là.
L'année 2012 a donné le ton. J'ai un souvenir très clair, après le match pour le bronze olympique à Londres, où Sinc laisse couler des larmes de joie sur le terrain. Un an plus tôt, elle était entrée dans ma chambre et celle de Rhian Wilkinson après qu’on eut été démolies par la France pendant la Coupe du monde. On avait fondu en larmes en se demandant : Est-ce qu’on va finir par percer un jour?
Tous ces souvenirs, c’est de la joie pure mélangée aux défis et aux échecs qu’on a dû traverser et qui ont rendu cette année 2012 si spéciale. En tant que groupe, on a grandi ensemble, façonné notre propre culture et on est passé de perdre des Coupes du monde à gagner des médailles olympiques.
Ça a tellement changé après ça. Quand je me suis jointe à l'équipe nationale, la majorité des joueuses n’étaient pas professionnelles. Le soccer féminin professionnel se développait dans quelques pays seulement. La majorité de l'investissement passait par les équipes nationales, donc on jouait où on pouvait pour faire partie de l’équipe canadienne.
Avec le temps, de plus en plus de joueuses sont devenues professionnelles, mais les Canadiennes n'étaient pas encore vraiment cool, donc c'était assez difficile de signer un contrat avec une équipe. Au moment où la NWSL a été lancée en 2012, beaucoup plus de Canadiennes ont commencé à jouer aux États-Unis.
On a ensuite vu une nouvelle génération de joueuses arriver après 2012. Kadeisha Buchanan, Ashley Lawrence, Jessie Fleming, Jordyn Huitema, Julia Grosso, des joueuses qui sortent de l'université et qui ont déjà de bons contrats avec de grands clubs.
C'est à ce moment que les choses ont pris une autre tournure. C'était le jour et la nuit. Quand je jouais, on pouvait se débrouiller et gagner notre vie. Maintenant, les joueuses ont l’occasion de bien gagner leur vie. On est passé de c’est impensable d'avoir une ligue au Canada
à c'est la norme d'avoir une ligue professionnelle ici
.
Quand j'ai su que j'avais trouvé un partenaire d'affaires avec qui bâtir une ligue professionnelle féminine au Canada, évidemment que l'un de mes premiers appels a été à Sinc. Je lui ai dit : On pense bâtir une ligue, ton aide nous serait vraiment utile.
Elle a répondu sans aucune hésitation : Tout ce dont vous avez besoin.
C'est Sinc. Elle n'aime pas faire d'entrevues, elle n'aime pas être le visage de quoi que ce soit, mais elle sait ce que représente son héritage au Canada et comment ça va au-delà de l'équipe nationale. Elle est investie depuis le début.
Son dévouement est ce qui m'inspire le plus chez elle. John Herdman a dit un jour que la seule façon de s’améliorer, c’est d'aider les autres autour de nous à s’améliorer. C'est ce que Sinc a fait. Elle a toujours été dévouée à aider ceux qui l'entouraient à s'améliorer. Elle est dévouée au soccer canadien, point final. Elle l'a porté sur son dos pendant deux décennies et elle continue de le faire aujourd’hui, notamment avec cette ligue.
Christine Sinclair a marqué 190 buts internationaux, un record, mais n'a jamais remporté le prix de joueuse de l’année de la FIFA. Elle aurait dû en recevoir au moins six. C’est à cause de la structure déplorable du vote pour les prix de la Fédération internationale et du fait que le soccer féminin n'a pas obtenu la visibilité et le respect qu'il méritait au cours des 20 dernières années.
J’ai bon espoir que ça n'arrivera pas à celle qui tentera de défier le record de Christine. Notre sport a changé et continue d’évoluer. J'espère que ça ne fera que s'améliorer.
Sinc n'a jamais été du genre à se soucier des prix individuels, bien qu’elle doit en avoir un sous-sol rempli. Maeve Glass, qui était notre responsable de l'équipement à l’époque, a probablement un tiroir débordant de trophées à son nom qu’elle n’a pas réclamés. Elle n'a jamais été trop intéressée par les succès individuels. L’important pour elle était les succès de l’équipe.
Elle a toujours été l'incarnation d'une capitaine canadienne. Une autre joueuse dans sa position aurait pu facilement être une prima donna, ramener tout à elle ou encore être frustrée d’être entourée de joueuses qui n’atteignaient pas ses standards. Mais ça n'a jamais été le cas.
Très discrètement pendant deux décennies, Christine a mené le soccer canadien là où il devait être. Je n’aime pas utiliser le mot humilité trop souvent en tant que Canadienne, mais c'est ce que c’est. Cette détermination à gagner, avec humilité, même si elle était la meilleure. Elle a toujours été la meilleure.
Christine est le soccer canadien. Les gens ont appris à connaître le soccer canadien grâce au programme féminin, et ça se résume à Sinc. Tout ce qui s'est passé depuis qu'elle a revêtu le maillot de l'équipe nationale, vous pouvez tracer une ligne droite jusqu’à elle. Le soccer au Canada ne serait pas ce qu'il est aujourd'hui sans elle.
Je ne sais pas si les gens réalisent vraiment ce qu'elle a fait. Presque tout le monde peut la reconnaître. J'ai vu des gens virer fous et se prendre la tête à deux mains en voyant Sinc. Mais c'est probablement quelque chose que les gens vont apprécier davantage au fil des années. Que le meilleur marqueur de l'histoire du sport le plus populaire du monde, tous sexes confondus, soit une Canadienne. C'est incroyable.
Elle a toujours été là, relevant le défi chaque fois, peu importe la pression qu’on lui mettait. Au match d'ouverture de la Coupe du monde en 2015 contre la Chine, on était à égalité 0-0 et il y a eu un tir de pénalité en fin de match. Devant 60 000 personnes, sous les yeux attentifs des Canadiens, elle l'a réussi sans peine.
Elle a toujours relevé le défi et a apporté au soccer féminin le respect et l'attention qu'il mérite.
Les gens ont besoin d'un nom qu'ils peuvent reconnaître. Ils ont besoin d'une vedette.
C’est Christine Sinclair.
Propos recueillis par Justine Roberge
Photo d'entête par Paul Ellis/AFP/Getty Images