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Elle sourit à la caméra, seule dans des gradins

Au service du sport adapté – Nathalie Séguin

« Si tu entres dans une pièce où t’attendent des athlètes aveugles et que tu ne leur parles pas, ils ne sauront même pas que tu es là. »

Signé par Nathalie Séguin

L’autrice est entraîneuse-chef de l’équipe canadienne masculine de goalball et dirige le volet paralympique du club d’athlétisme du Rouge et Or de l’Université Laval.

Le goalball ne m’a pas donné le choix. Il faut faire sentir sa présence, sinon il ne se passe rien. Je suis sortie de ma zone de confort, comme je suis timide et réservée de nature. Ça m’a transformée.

Vous ne connaissez pas le goalball?

C’est un sport qui n’a pas d’équivalent olympique parce qu’il a été inventé pour des personnes avec un handicap visuel. Sur le terrain, deux équipes de trois joueurs s’affrontent. Pour marquer, on doit lancer un ballon à la manière d’une boule de quilles dans le but adverse. En défense, on bloque le ballon avec son corps, au sol. On entend venir le ballon vers nous grâce au son de la clochette qu’il renferme.

Ce n’est pas si simple et ce n’est surtout pas pour tout le monde. C’est un sport de contact. Il faut avoir la mentalité d’un joueur de rugby pour se jeter devant un ballon qui peut arriver à 75 km/h. Pendant les matchs, les joueurs portent un bandeau sur leurs yeux et ne voient absolument rien. Il faut aimer l’adrénaline.

Un joueur au sol bloque avec ses bras un ballon qui arrive dans sa direction

L'équipe canadienne masculine de goalball en action aux Jeux de Rio en 2016

Photo : Comité paralympique canadien/Scott Grant

Je vais être très honnête, ça m’a pris au moins deux ans pour bien expliquer les consignes. Et même si j’ai été formée par Mario Caron, le Mario Lemieux du goalball qui connaissait tous les endroits d’où marquer, et que je suis une professionnelle du mouvement en tant que kinésiologue.

Au début, mes athlètes ne comprenaient pas tous parce que je n’étais pas assez claire, ou que je n’avais pas la bonne approche. Il y a des choses qui ne fonctionnaient pas, comme parler d’angles. C’est quelque chose de très visuel, il faut le voir pour comprendre.

Au goalball, il faut visualiser le jeu sans point de repère visuel. L’ouïe devient le sens le plus précieux. D’abord, pour que mes joueurs se représentent la taille du but adverse, je cogne le ballon sur un poteau, et je refais le même exercice sur le poteau opposé. Ils se laissent guider par le son de la clochette. Je fais d’autres exercices simples, comme secouer le ballon et leur demander s’il se trouve à leur gauche ou à leur droite, ou encore où je me trouve exactement par rapport au but adverse.

Tous les joueurs ne sont pas complètement aveugles. Certains ont 5 % ou 10 % de vision. À l’entraînement, il faut utiliser ce qu’il leur reste pour établir des repères. Mais encore faut-il que je sache exactement ce qu’ils voient. On n’a pas le choix de se parler et d’être honnêtes pour pouvoir s’aider les uns et les autres.

Le bandeau, pour ces joueurs, c’est plus qu’un simple équipement. C’est ce qui leur enlève le peu de vision qu’ils ont en situation de match. Il faut bien les accompagner mentalement pour qu’ils soient à l’aise avec ça. C’est particulièrement difficile pour les enfants. Pour ceux atteints d’une maladie dégénérative des yeux, ça leur fait réaliser qu’un jour, ils seront peut-être aveugles.

Avec un aveugle complet, j’aime bien y aller au toucher et le guider dans ses mouvements. Mais ça ne fonctionne pas pour tout le monde. Je me souviens encore de cette athlète qui détestait qu’on la touche. Pour elle, la seule façon d’expliquer, c’était avec des mots. Comme quoi il faut non seulement s’adapter au handicap, mais aussi à la personnalité.

On entend dire qu’entraîner des athlètes en sport adapté, c’est compliqué. C’est juste différent parce que tu ne peux pas appliquer la même recette à tout le monde. On ne peut faire autrement que mettre l’humain au cœur de son approche. Ça crée quelque chose de spécial. On se rapproche dans les défis que l’on surmonte ensemble.

Elle guide ses joueurs malvoyants sur un terrain de goalball avant un match

Nathalie Séguin donne des repères à ses joueurs sur le terrain aux Jeux paralympiques de Rio en 2016.

Photo : Comité paralympique canadien/Scott Grant

La vie de mes joueurs est plus complexe que la moyenne. Elle est remplie de péripéties et d’adversité. Je tiens à ce que le travail qu’on fait ensemble leur serve dans leur quotidien, pas juste dans le sport. Et cela porte ses fruits.

En goalball, on lance le ballon comme une boule de quilles. Pour qu’il aille en ligne droite, il faut que la pointe du pied avant soit droite au moment d’exécuter le lancer en fente, surtout pas ouverte en V. On met l’accent là-dessus, encore plus chez les enfants, qui ont plus tendance à ouvrir les pieds pour se sentir en équilibre en augmentant leur base d’appui.

Corriger la position des pieds de mes joueurs les aide non seulement sur le terrain, mais aussi dans leurs déplacements dans la vie de tous les jours. À une intersection, un malvoyant ou un aveugle avec sa canne blanche doit marcher en ligne droite pour bien traverser la rue et atteindre le trottoir opposé. Pour ce faire, il doit déposer les pieds droits devant, en évitant de faire un V, comme au goalball.

Il lance un ballon à la manière d'une boule de quilles pendant un match de goalball

Le joueur de goalball canadien Bruno Haché aux Jeux paralympiques de Rio en 2016

Photo : Comité paralympique canadien/Scott Grant

Mes joueurs aiguisent leur ouïe à l’entraînement. Ils peuvent évidemment transposer ces acquis dans leur quotidien en allant chercher des points de repère supplémentaires. Ils reconnaissent mieux les sons autour d’eux. Ils sont mieux outillés, par exemple, pour juger à quelle distance se trouve une voiture qu’ils entendent au loin au moment de traverser la rue.

Le son rebondit sur ce qu’il frappe. Le goalball le leur rappelle sans cesse. Ça les aide beaucoup à la maison. En prêtant attention au retour du son d’un claquement de doigts, certains savent par exemple où se trouvent les murs et les meubles et, surtout, les ouvertures comme les portes et les corridors. Cette habileté qu’ils ont développée dans le sport leur donne un gain d’autonomie.

Les premiers joueurs de goalball que j’ai vus, à Québec, faisaient tout le temps des blagues. Ils avaient tellement de fun entre eux, c’en était contagieux. J’ai été séduite. J'ai reproduit ce modèle : il faut avoir du plaisir à l’entraînement.

C’est d’autant plus important que pour plusieurs de mes joueurs, le goalball est le seul moment où ils se sentent normaux, pendant une heure ou deux, dans leur journée. Le sport, c’est une grande partie de leur bien-être. J’ai vu d’ailleurs à quel point ça leur a fait mal quand on le leur a enlevé pendant la pandémie. Mon rôle d’entraîneuse n’avait même plus rapport avec le sport, j’étais leur psychologue, leur confidente.


J’ai découvert le goalball pendant mes études en kinésiologie à l’Université Laval. On voulait être originaux dans un travail d’équipe sur la biomécanique d’un mouvement. Je me souvenais d’avoir vu ce sport à la télé, mais j’ignorais son nom.

Je ne connaissais rien des sports adaptés en général, et encore moins de la réalité sur le terrain. J’ai été étonnée du peu de variété dans l’offre sportive, même dans une grande ville comme Québec. Et cette variété n’était possible que parce que plusieurs athlètes pratiquaient plusieurs sports à la fois, pour qu’il y ait assez de participants. C’est encore le cas aujourd’hui. Les organisateurs s’impliquaient également souvent dans plusieurs sports. Ça aussi, ça n’a pas changé.

Je me suis donné comme mission d’élargir l’offre de sports adaptés parce qu’il y a là un réel besoin. Dix ans plus tard, je me retrouve avec plusieurs emplois, au-delà du goalball.

Les nouveaux adeptes doivent cogner aux bonnes portes. Je suis devenue une personne-ressource pour eux. À ce jour, c’est complexe de trouver de l’information pour pratiquer un sport adapté. Comme je connais bien le milieu, on me transfère des gens qui ont des questions, et je les dirige vers les bons organismes.

Saviez-vous par exemple que pour faire de l’athlétisme en fauteuil roulant, il faut se tourner vers Parasports Québec, pas vers la Fédération québécoise d’athlétisme? Mais qu’une personne aveugle ou atteinte de paralysie cérébrale qui veut faire du vélo doit passer par la Fédération québécoise des sports cyclistes? Parfois, le handicap est le critère de recherche. Parfois, c’est le sport que l’on veut pratiquer. Ça peut être mélangeant.

Elle se penche pour regarder un fauteuil roulant près d'une piste d'athlétisme.

Nathalie Séguin

Photo : Radio-Canada / Myriam Lafrenière

J’ai aussi lancé le volet paralympique au club d’athlétisme du Rouge et Or en 2014, après un changement d’entraîneur-chef. Celui qui était en poste en 2011, à ma première tentative, n’était pas du tout ouvert à l’idée. J’ai reçu de lui un non catégorique.

Mes athlètes s’entraînent autant que possible en même temps que ceux des groupes ordinaires du club. Il m’a fallu enlever l’inconfort à leur égard et faire comprendre qu’ils font les mêmes choses, mais différemment. En salle de musculation, par exemple, ils peuvent faire des exercices de développé couché, mais le plus souvent au sol, pas sur un banc.

Je m’assure aussi que mes athlètes ambulatoires et avec des handicaps légers sont intégrés aux groupes réguliers. Ça allège ma tâche en plus de leur donner accès à de meilleurs partenaires d’entraînement.

Elle sourit, seule au milieu d'une piste d'athlétisme

Nathalie Séguin

Photo : Radio-Canada / Myriam Lafrenière

Ça peut faire peur à un entraîneur. Il peut se dire : Oh, je vais devoir changer ma structure pour les intégrer. Il faut enlever cette peur, et ce n’est pas compliqué. Mon rôle est de faire comprendre que mon athlète est capable de s’adapter. Il suffit de connaître son handicap pour bien l’accompagner. Je suis là pour répondre aux questions au besoin.

Parfois, ça ne prend que de la prévention et de la sécurité. Je me souviens d’un coureur malvoyant du club qui a foncé dans une haie. Il ne savait pas qu’elle était là. Il suffisait, pour l’entraîneur, de le lui dire dans quels corridors se trouvaient les haies et de ne pas sortir du sien pour un dépassement à cet endroit.

Plus mes athlètes se font voir, plus ça fait tomber des barrières. L’intégration du para-athlétisme aux Jeux du Canada a beaucoup aidé en ce sens. Des athlètes du Rouge et Or se sont rendu compte à ce moment qu’il y avait un volet para dans le club. C’est une belle vitrine. Il en faut d’autres.


Il reste encore beaucoup à faire pour développer le sport adapté au Québec. Ça commence par les plus jeunes. Il n’y a pas de structures qui leur permettent d’entrer dans le sport par l’école ou par des activités parascolaires. Ça se voit dans notre club d’athlétisme : aucun de mes para-athlètes n’étudie à l’Université Laval, même si on est affiliés au Rouge et Or. On les recrute au civil.

Nos compétitions ont lieu l’été seulement et ne sont pas rattachées au RSEQ ou à l’USports. La raison est simple : ces circuits n’ont pas les ressources pour accueillir des athlètes en fauteuil roulant. Ils commencent à intégrer certains de nos athlètes ambulatoires, mais pas partout, et ils n’en font pas la promotion.

Elle donne des directives à son athlète assis qui s'apprête à lancer un javelot sur la pelouse

Nathalie Séguin accompagne en compétition un jeune lanceur de javelot

Photo : Radio-Canada / Myriam Lafrenière

Pour élargir la base du sport adapté, il faut le faire entrer dans le système scolaire. J’y travaille avec un projet de sports-études en para-athlétisme dans la région de Québec. Trois écoles qui offrent l’option athlétisme sont prêtes à inclure des enfants handicapés. On a même déjà trouvé une entraîneuse qui leur serait consacrée.

Le défi est maintenant de trouver des enfants pour ce programme. Il n’y a aucun candidat potentiel dans la clientèle actuelle des trois écoles. On espère recruter deux ou trois élèves pour un lancement à la rentrée de 2024.


J’ai mille et un projets et pas assez de temps pour être efficace comme je l’aimerais dans chacun d’eux. En goalball, je suis entraîneuse-chef de l’équipe nationale masculine et des équipes du Québec, j’accompagne les adultes qui veulent essayer le sport à Québec et je m’implique dans le programme de mini-goalball pour les 6 à 12 ans. Chaque nouvel enfant, pour nous, c’est l’équivalent de trois nouveaux clubs dans une association de soccer! On l’accueille à bras ouverts.

Mon club de para-athlétisme s’est développé au-delà de mes attentes. C’est rendu le plus gros au Québec. J’ai même un athlète en équipe nationale. Au début, le club m’occupait surtout l’été, alors que pour le goalball, c’était l’hiver. Ça se combinait très bien. Maintenant, les deux m’occupent à l’année.

Une femme en rouge dispute une course de fauteuil roulant à côté d'une jeune athlète dans le couloir voisin

Nathalie Séguin participe à une course de démonstration d'athlétisme en fauteuil roulant au centre Claude-Robillard

Photo : Radio-Canada / Myriam Lafrenière

Si je partais, il n’y aurait personne pour me remplacer comme entraîneuse-chef dans un sport ou l’autre. En goalball, ça fait même trois ans qu’on n’a pas d’entraîneur adjoint dans les équipes du Québec.

Ça nous ramène à la réalité des sports adaptés : tout repose sur peu d’épaules. Quand de nouvelles personnes arrivent, tu les impliques dans l’espoir qu’ils restent dans le milieu, comme cette stagiaire très motivée qui sera notre entraîneuse de sports-études de para-athlétisme.

Ces nouvelles personnes, ce sont souvent des étudiants qui ne veulent pas nécessairement faire carrière dans ce domaine. Et on n’a pas beaucoup d’heures à leur offrir. C’est difficile de les garder, mais on essaie quand même.

Je suis la preuve qu’on peut recruter des entraîneurs, que les sports adaptés n’attirent pas que des personnes qui en ont pratiqué elles-mêmes ou qui connaissent quelqu’un dans le milieu, comme on se l’imagine. Avant d’y entrer, je ne connaissais personne avec un handicap. J’ai développé une passion que je ne soupçonnais pas.

Et ma passion est toujours aussi forte. J’ai encore le goût de la partager en donnant bénévolement de mon temps. C’est ce qui fait tourner la roue du sport et qui permet d’accrocher des gens.

La passion, ça ne s’acquiert pas. Ça se développe et se transmet. C’est l’histoire de mon parcours.

Assise dans des escaliers, elle sourit à la caméra

Nathalie Séguin

Photo : Radio-Canada / Myriam Lafrenière