
Laurence St-Germain - J’avais hâte d’être fière de moi
« Nous sommes à Flachau, en Autriche, un mardi soir de janvier. »

Signé par Laurence St-Germain
L’autrice est membre de l’équipe canadienne de ski alpin. Elle a décroché à Méribel, en France, en février, le titre du slalom féminin aux Championnats du monde.
J’en suis à mon septième slalom de la saison. Une épreuve en soirée où j’ai l’habitude de performer. J’ai surtout espoir de faire virer le navire, car cette saison ne va nulle part pour moi. Je ne suis même pas qualifiée pour participer aux Championnats du monde.
Je skie bien en première manche de l’épreuve et je prends la 7e place. Je me croise les doigts et je me dis : OK, bon, je suis sortie du trou!
C’est aussi bien parti dans la deuxième manche. Je me retrouve même 5e à mi-parcours. Puis, une erreur! Je veux aller plus vite, trop vite. Je dois remonter une porte, en fait remonter la pente pour reprendre le piquet que je viens de rater. Je termine la course en 22e place. Une autre claque en pleine face.
Je suis tannée d’être déçue. À toutes les courses, ça ne fonctionne pas. Le doute s’est installé. Je ne sais plus comment réparer ma saison, me remettre en piste. Je l’avoue, je suis perdue.
Je n’ai jamais été quelqu’un qui skiait vite à l’entraînement. J’ai toujours eu besoin du stress de la course pour hausser mon niveau. Sauf que cette saison, c’est complètement le contraire. À l’entraînement, ça va super bien. Je fais de gros gains. Chaque jour, je peux vraiment cocher mes objectifs, mais j'arrive en course et je n’arrive pas à skier deux manches solides. Je pense que j'ai dû remonter une porte dans une course trois fois cette année.
Le slalom, c'est deux manches. Est-ce que je vais finir par être capable d'en faire deux bonnes de suite? À l’entraînement, je peux en faire quatre excellentes d’affilée.
C'est ça qui est vraiment frustrant. Et c'est surtout l'inconnu. Ça ne m'est jamais arrivé de performer autant à l'entraînement et d’être incapable de reproduire la même chose en course.
Je sais, le slalom, c’est une question de millimètres. On passe tellement près des piquets.
Mais je ne peux même pas dire que c'est une question de malchance dans mon cas. C'est vraiment moi qui ne skie pas à mon plein potentiel. Je sais que je suis capable.
En toute franchise, je suis tannée de ne pas être fière de moi.
Après Flachau, je suis rentrée chez moi à Sainte-Anne pour décanter tout ça. Ça m’a fait un grand bien. Mais de retour en Europe à la fin janvier, l’entraînement ne se passe pas super bien. Je me rends compte d’une chose : j’ai perdu de la vitesse. Ben voyons, je ne suis pas comme à l’entraînement en début de saison! Assez déstabilisant, merci!
Je commence un peu à me renfermer sur moi-même. J’ai atteint un point où ça ne me tente même plus d'en parler. Les gens sont bien intentionnés. Ils essaient de me remonter, mais je suis juste un peu fatiguée d'écouter les mêmes discours. Surtout quand j’ai de la misère à y croire moi-même.
C’est en Tchéquie que le vent tourne ou en fait, que je prends les choses en main. Là où on dispute deux courses en deux jours. Le premier slalom ressemble aux autres de ma saison, je termine 15e. Puis le lendemain, après une 9e place en première manche, je vais regarder les vidéos.
Et là, c’est très clair : je vois exactement ce qui me manque. Je décroche finalement la 7e place de la course, mon meilleur résultat de la saison. Un bon signe avant les Championnats du monde en France .
Après la Tchéquie, je décide de passer deux heures à regarder les vidéos des six filles qui m’ont battue. Et c’est à ce moment que ça clique. Vraiment. Je vois chaque petite section où elles gagnent du temps, chaque truc technique où elles sont meilleures que moi. C’est devenu limpide : OK! C’est ça qu'il faut que je fasse, c’est ça techniquement qu’il me manque. C'est comme ça que la grande Mikaela Shiffrin bouge sur le plat, c'est comme ça que Lena Dürr amène de la vitesse en bas du pitch.
Le déclic!
J’ai toujours été quelqu’un d’analytique, mais on dirait que c’est la première fois que j’utilisais cet aspect de moi de manière aussi efficace. C’est le bon moment, les Championnats du monde s’en viennent dans deux semaines.
Puis je suis allée faire du ski libre toute seule, je suis allée faire des exercices à basse vitesse toute seule. Sans entraîneur. Pour consolider tout ça.
Entretemps, un de mes commanditaires avait organisé une session de préparation mentale en Italie pendant cinq jours. Ça m’a rappelé mes forces. Je croyais, par exemple, que mon côté analytique était devenu une faiblesse, que je pensais trop, que j’analysais trop. Puis, au bout de la ligne, c’est ce qui m'a aidée. Même chose pour ma gestion de la pression. J’ai réalisé que, dans le fond, je pouvais avoir confiance en moi. Et si j'avais confiance en moi, j'allais devenir fière de moi.
Par un heureux hasard, mon grand frère William, qui fait un retour au ski de compétition, vient me rejoindre en Italie. Ça tombe bien, je skie vite depuis quelques jours. On a seulement un an et demi de différence, mais il a toujours été pour ainsi dire un mentor, un guide. Ça fait quatre ans qu’on n’a pas skié ensemble. On a vraiment pu discuter de ski et de ma vision des choses. Arrêter de penser que si je suis en contrôle sur la piste, c'est que je ne vais pas assez vite. Je veux attaquer, oui, mais sans rien précipiter.
Vous savez quoi? C'était vraiment la première fois que je sentais qu’il n’était plus mon grand frère. C'était vraiment un échange. Il était impressionné par mon travail en vue des mondiaux. On dirait que ça m'a donné confiance.
Mon frère, c'est la personne qui me connaît le mieux au monde. On a gardé contact tout l’hiver. Il m’a encouragée à mettre les deux mains sur le volant de ma saison et à me prendre en charge. Il me dit tout le temps : Le doute, c’est dans tes pensées. Il faut que tu arrêtes de les écouter. Fais-toi confiance.
C’est un peu ce qui est arrivé. J’ai eu une courbe d’amélioration exponentielle pendant ces deux semaines-là.
Je suis au portillon de départ en vue de la deuxième manche des Championnats du monde et j’ai mal au cœur. Vraiment mal au cœur. Je suis la troisième avant-dernière à partir, car –oh oui! – j’ai réussi le troisième temps dans la manche initiale. Du jamais vu pour moi.
Je la veux, cette course. C’est la première fois que je me laisse y croire, que c’est possible. La première fois que le doute ne s’installe pas. Mais dès que je pense aux résultats, le stress monte. Je reprends ma visualisation. J’ai mal au cœur jusqu’à ce que je pique mes bâtons pour la première fois dans la neige.

Laurence St-Germain
Photo : Getty Images / Christophe Pallot/Agence Zoom
J’attaque dès le départ. Puis dans la première section pentue, une erreur! Je suis légèrement poussée vers l’arrière : Non, non, non! Tu ne me fais pas ça là. Ce n’est pas le moment de gâcher ça.
Il faut donc que je rattrape le temps perdu. À chaque porte que je passe, je me dis : En bas! En bas! En bas!
À la ligne d'arrivée, je cherche le tableau indicateur. Je ne suis pas certaine si c’est 1 ou 11. Mais la foule est vraiment contente. Eh bien, oui, je suis première! Ça veut dire que je suis assurée d’être sur le podium avant même que les deux dernières skieuses s’élancent! Impossible! C’est ce qu’on peut entendre de ma bouche à la télé. Je suis juste vraiment fière de ma médaille. Puis honnêtement, ça me suffit.
Je suis tellement occupée à célébrer avec mon équipe que je ne regarde pas les deux dernières skieuses. Je ne vois même pas que Wendy Holdener sort de piste. Et je suis convaincue que Mikaela Shiffrin, qui a l'habitude de terminer en force, va me battre à plate couture. Je ne la regarde pas.
Je pense juste à m’installer du bon côté du podium pour la deuxième place. Je demande à Lena Dürr si je dois aller à gauche ou à droite. Et c’est elle qui me fait remarquer que Shiffrin perd du temps. Après elle se tourne et me dit : Il faut que tu ailles dans le milieu.
Je suis championne du monde! Je n’y comprends rien.
Honnêtement, à partir de ce moment et jusqu’à la cérémonie des médailles, c’est un épais brouillard. En fait, oui, je me souviens que Mikaela, en grande championne, est venue me dire qu’elle était fière de moi.
Puis je me souviens de la musique de Céline Dion. Mon physiothérapeute, Alexandre Gariépy, et moi, on chante souvent ses tounes dans la van. Il a demandé aux organisateurs qu’on fasse entendre Pour que tu m’aimes encore. Ça m'a tellement déconcentrée en entrevue avec une télé française que je n’écoutais même plus les questions!
Dire que je me suis retrouvée sur la plus haute marche du podium aux côtés de Shiffrin et de Dürr. Je partageais le même podium que deux des skieuses que j’avais tant étudiées sur les vidéos deux semaines auparavant. C’est fou!
Quand j’y pense, ma plus grande fierté, c’est mon parcours. Atypique.
Vous savez, il n’y a pas beaucoup de championnes du monde qui ont été mises en dehors de l’équipe nationale. Ça m’est arrivé après ma première année. Vrai que je n’avais pas de bons résultats, sauf qu’on m’avait dit que si je gagnais chaque jour du camp de sélection, j’aurais une chance de réintégrer l’équipe. Je n’ai jamais été invitée au camp de sélection. Dur à prendre.
Il n’y a pas beaucoup de championnes du monde qui sont passées par l’université et qui en sont à leur deuxième bacc. C’est ce que j’ai fait après avoir été expulsée de l’équipe canadienne. Je me suis dit : Regarde, c'est le fun à l'Université du Vermont. Tu aimes le ski, ça va te faire une belle fin de carrière.
Puis c'est là que j'ai un peu lâché prise sur mon rêve de retourner avec l'équipe nationale. J'ai réalisé que dans le fond, même si je ne skie pas, je vais accomplir plein d'autres belles affaires.
J’ai complété un bacc en informatique aux États-Unis et j’en fais un deuxième à Montréal, en génie biomédical. Mais j’ai pu réintégrer l’équipe canadienne entretemps.
J'ai eu presque plus de saisons décevantes que de bonnes saisons. Plutôt rare pour une championne du monde. Il y a eu beaucoup, beaucoup de gens qui n'ont pas cru en moi. La plupart des skieurs ont eu une progression linéaire et ont eu du soutien un peu toute leur carrière. Moi, il a fallu que je fasse un peu plus de zigzags. Mais j’ai réussi. Je n’avais peut-être pas de nombreux alliés, mais ces personnes-là m’ont aidée pour vrai et depuis le début. Ça, je trouve ça cool.
Mon parcours ressemble en fait à un slalom… Il n'y a pas vraiment eu de ligne droite, mais plusieurs portes à franchir, quelques sorties de piste aussi et beaucoup de virages. Ça tombe bien, j’ai toujours aimé les virages.
On m’avait dit que mon titre mondial changerait ma vie. J’ai vite compris à mon retour au Québec. Je n’ai pas vu le temps filer. Même pas eu le temps de manger le pâté chinois de ma mère à Sainte-Anne. Je m'étais pourtant promis ce festin après ma victoire.
Mon commanditaire Rossignol m’a aussi invitée à tester des skis à la fin de la saison pour avoir un ski plus personnalisé. C’est une première pour moi. Et je vais même faire ça avec la championne olympique Petra Vlhova. J’ai hâte d'échanger avec elle. On ne s’est jamais entraînées ensemble, en fait. C’est une grosse étape pour moi.
Ce qui a changé aussi, ce sont les attentes des autres envers moi. Les miennes sont restées les mêmes. Au slalom suivant les Championnats du monde, à Are, en Suède, tout ce que je voulais, c’était réussir une bonne deuxième course de suite, ce qui ne m'était pas arrivé cette saison. Je voulais confirmer mon résultat des mondiaux. J’ai réussi. J’ai terminé 5e, mon meilleur résultat à vie en Coupe du monde. La preuve que mon plan de match des Championnats du monde fonctionne.
Mais il y a des filles qui m’ont demandé si j'étais contente de cette 5e place. Bien sûr! Je suis très contente du deuxième résultat de ma carrière! Le monde s’attend clairement à ce que je fasse plus de podiums. C’est à ça que j’aspire aussi, mais je reste réaliste. Il ne faut pas penser que parce que j’ai gagné une course, je vais toutes les gagner. Surtout pas avec Mikaela Shiffrin dans les parages.
Les gens s'attendent surtout à ce que je sois plus contente de ma saison maintenant. Je n'ai toujours pas eu une bonne saison, selon moi. J'ai eu de bons résultats, mais ça n'efface pas le reste. Il y a des objectifs que je n’ai pas atteints.
On a appris récemment, mes coéquipières et moi, une mauvaise nouvelle. L’entraîneuse du programme féminin, Karin Harjo, nous quitte pour aller travailler avec Mikaela Shiffrin. C’est certain que c’est décevant. J’aimais beaucoup sa vision et elle croyait en moi. C'est elle qui m’a encouragée à écrire le mot podium parmi mes objectifs de la saison. Je pensais plus à top 5.
Mais ce que j'ai appris cette année, c'est que j'étais capable de skier par moi-même. J’ai fait plus de tracés de slalom que la plupart de mes entraîneurs. Je pense que je peux me faire confiance. Dans le fond, c’est comme à l'école : tu apprends toujours mieux quand c'est toi qui trouves la réponse.
Dans tout ça, je n’ai jamais perdu la passion du ski. J'ai la chance en ce moment que ma passion soit mon travail, mais je veux aussi qu'après le ski, mon travail soit ma passion. C'est pour ça que je continue à étudier. C’est vraiment ce recul-là qui me permet d'être sereine.
Quand ça ne va pas bien, je me dis souvent : Regarde, il y a des choses bien pires que ça. Tu as plein d'autres projets. Au pire, si ça tourne mal, tu iras faire ces projets-là, puis ça va être correct.
Une chose est sûre : vous allez encore me voir à 75 ans dévaler les pistes du Québec. Le ski, c'est pour la vie.
Propos recueillis par Diane Sauvé
Photo d'entête par Alessandro Trovati/AP Photo