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Elle sourit en tenant fièrement sa ceinture de championne sur son épaule

Marie-Eve Dicaire - Confessions d'une nouvelle retraitée

Photo : Radio-Canada / Arianne Bergeron

Marie-Eve Dicaire - Je me retire au bon moment

« Pour beaucoup d’athlètes, la retraite, c’est la fin d’une vie. Moi, je sens que c’est l’inverse. »

Signé par Marie-Eve Dicaire

La boxeuse prend sa retraite à l’âge de 36 ans avec une fiche de 18 victoires ( 1 K.-O.) et 2 défaites. Elle a été championne du monde IBF des super-mi-moyennes à deux reprises.

C’est le début de quelque chose de tellement beau parce que beaucoup d’options se sont ouvertes à moi au fil des années.

Tous ces combats reportés m’ont permis de commencer à travailler dans les communications et les médias, chose que je contemplais déjà en songeant à mon après-carrière.

Je vais maintenant pouvoir me gâter et répondre à ma curiosité de vouloir faire autre chose. Je me suis imposé tellement de sacrifices ces dernières années, à repousser les limites de mon corps et de mon esprit.

Le temps passé loin du ring cet été m’a permis d’avoir cette réflexion et de prendre ma décision. J’arrivais à la maison et j’avais une vie normale. Je n’avais pas à me casser la tête en me demandant ce que je pourrais manger pour souper ou à jongler avec mes horaires d’entraînement.

Avant la boxe, c’était le karaté. J’étais propriétaire de mon école. Souper à la maison et avoir du temps, je ne connaissais pas ça. La semaine, j’enseignais de 15 h à 22 h. La fin de semaine, j’étais en compétition. Par la force des choses, j’étais à l’extérieur la plupart du temps. J’ai fait le choix de m’investir pleinement dans mon sport, et je referais la même chose aujourd’hui si c’était à recommencer.

Ça a continué comme ça quand j’ai vendu mon école de karaté pour me consacrer à la boxe : des entraînements le matin et le soir, des camps d’entraînement à l’extérieur du Québec, des conférences de presse, etc.

J’ai décidé de prendre ma retraite quand j’ai réalisé que ça faisait 30 ans que je faisais des sacrifices parce que je baignais dans les sports de combat depuis l’âge de 6 ans. Mes proches m’ont toujours soutenue dans mes rêves, mais c’est souvent eux que j’ai dû mettre de côté pour les réaliser.

Et physiquement, j’ai étiré l’élastique au maximum. Mon corps ne récupère plus aussi bien qu’avant.


C’était important pour moi de livrer un dernier combat, d’aller boxer en Europe et de tenter d’unifier des ceintures. J’étais prête à mettre ma vie sur pause pour ce dernier défi contre Natasha Jonas, à Manchester, en novembre. Je ne voulais avoir aucun regret.

Ma décision était déjà prise avant de m’envoler pour l’Angleterre. Je savais que ce serait mon dernier combat, quoi qu’il arrive. Et je savais que c’était mon dernier camp avec mon équipe : mes entraîneurs Stéphane et Samuel et mon préparateur physique Marc-André. Que pour la dernière fois, ce serait nous contre le reste du monde.

J’étais dans la meilleure forme de ma carrière parce que j’avais passé ma préparation sans avoir à gérer une blessure susceptible de nuire à ma performance.

Le camp s’est vraiment bien passé, j’ai eu tant de plaisir avec mon équipe que j’ai même pensé rouvrir ma réflexion sur ma retraite. J’avais la possibilité, avec une victoire ou une défaite, de livrer un autre combat.

Je me souviens qu’avant le dernier round, j’entendais Marc-André, Stéphane et Samuel qui me criaient : Deux minutes Marie-Eve, ce sont nos deux dernières minutes! Après le combat, on a vécu des moments forts en émotions.

Nous avons toujours voulu, mon équipe et moi, finir sur une bonne note. Et je pense qu’il n’y a pas de meilleur moment pour terminer cette aventure.

Beaucoup de gens me croisent et me disent que je ne peux pas m’arrêter sur une défaite. Mais pour moi, le dernier combat n’est pas une défaite. C’est une victoire d’être en pleine santé aujourd’hui pour commencer ma nouvelle vie.

Elle sourit à la caméra

Marie-Eve Dicaire

Photo : Radio-Canada / Arianne Bergeron


J’ai toujours dit que j’allais me retirer au top et en pleine possession de mes moyens. C’est une grande réussite d’avoir fait 30 ans de combats sans avoir subi de séquelles majeures. En boxe, j’ai livré 50 combats amateurs et 20 chez les professionnels. En karaté, j’en ai fait plus de 500.

J’ai vu beaucoup de brillantes carrières de boxeurs et de boxeuses prendre fin de façon dramatique. Pour moi, c’était inconcevable.

J’en ai vu des histoires d’horreur. J’étais présente quand Adonis Stevenson a livré son dernier combat. J’étais aussi présente le soir du drame de Jeanette Zacarias Zapata. On connaît les risques du métier, mais quand ça arrive devant toi, ça te fait réfléchir. Je ne voulais pas terminer une carrière aussi belle que la mienne de cette façon-là.

Oui, j’ai de petites blessures et de petits problèmes de santé comme n’importe quel athlète de haut niveau. Mais cela ne m’empêchera pas d’amorcer mon prochain chapitre, qui s’annonce magnifique.

Si je peux dire mission accomplie, je dois avant tout donner du crédit à mon équipe. J’ai su m’entourer de gens qui ont toujours pris les bonnes décisions pour moi.

Ils n’ont jamais hésité à annuler un sparring ou une séance d’entraînement parce que je n’étais pas au mieux ce jour-là. Ni à mettre fin à un combat simulé parce que je recevais trop de coups.

Ils m’ont toujours protégée et ont toujours préféré adopter des stratégies défensives pour des combats difficiles au lieu de m’envoyer à la guerre. C’est grâce à eux si j’ai pu terminer ma carrière sur une note positive.

De profil, elle se tourne pour regarder la caméra

Marie-Eve Dicaire

Photo : Radio-Canada / Arianne Bergeron

Je n’ai jamais eu le sentiment d’être seule dans un ring. Je savais que mon équipe était là avec moi, tant dans la préparation que durant un combat, quand on avait des ajustements à faire.

C’était un élément de motivation parce que je ne pouvais pas décevoir Stéphane, Samuel, Marc-André, Jean-François, mon préparateur mental, et Jean-François, mon conseiller en nutrition. Je n’ai jamais failli à donner mon maximum. Parce qu’ils ont tout donné pour me permettre de réaliser mon rêve.

Il y a eu des matins où j’étais fatiguée et où j’avais mal partout. Mais je ne voulais pas les laisser tomber. Ça a été un peu ça aussi les derniers rounds de mon dernier combat.

Le nez en sang, peu importe ce qui arrivait, pour moi, c’était inconcevable de ne pas aller jusqu’au bout pour ces gars qui ont toujours été là pour moi. Et aussi pour tous les amateurs qui ont cru en moi. Sans leur appui et leur intérêt, je n’aurais jamais pu envisager une telle carrière.


Au fil de toutes ces années, on ne s’est jamais chicané, mon équipe et moi. Il y a eu des divergences d’opinions, des discussions, pour toujours en arriver à ce qui était le mieux pour moi.

C’est ce qui a rendu ma décision difficile. Je n’imaginais pas ma vie sans voir mes entraîneurs Stéphane et Samuel et mon préparateur physique Marc-André tous les jours. Ils m’ont aidée à bâtir ma vie d’athlète et à devenir une meilleure personne.

Notre dynamique quand on se préparait pour un combat, nous contre le reste du monde, je sais que ça ne reviendra plus jamais. Mais Samuel a dit quelque chose de tellement vrai : Ce n’est pas une paire de gants de cuir qui va faire la différence dans ce qui nous unit. C’est beaucoup plus que ça.

C’est ce qui m’a aidée à être en paix avec mon choix. Et Stéphane avait le même discours. On est une famille et ce n’est pas parce qu’on ne se voit pas au gymnase que l’on ne sera plus près les uns des autres, a-t-il dit.

Cette proximité va toujours rester.


Comme j’étais la première boxeuse professionnelle de mon époque au Québec, je suscitais beaucoup d’attention et de curiosité.

On était à l’ère de Ronda Rousey, étoile des arts martiaux mixtes. On voyait ce qui se faisait ailleurs dans d’autres sports, mais pas tellement en boxe. Comme j’étais la première, il n’y avait pas de comparables pour les bourses, la valeur des classements ou des combats.

Il y a eu beaucoup de critiques, pas toujours constructives, sur le manque d’adversaires de qualité en boxe féminine. Il faut se faire une carapace.

En robe de soirée, elle regarde devant elle, les mains sur les hanches

Marie-Eve Dicaire

Photo : Radio-Canada / Arianne Bergeron

Ça a été un avantage d’être une pionnière, mais ça n’a pas toujours été facile. Il y a eu des obstacles parce que la voie n’était pas tracée.

Je me suis fait un devoir de faire avancer la boxe féminine. Je voulais avoir un impact, que mon travail dans le ring serve à quelque chose. Aujourd’hui, je pense que c’est la plus belle réussite de ma carrière, bien avant les titres que j’ai gagnés.

Il y a une relève. Il y a des filles qui boxent professionnellement. On parle de boxe féminine. Il y a des têtes d’affiche qui sont des femmes.

Quand je dis que j’ai l’impression d’avoir fait le tour, c’est un peu ça aussi. J’ai boxé, j’ai fait des finales dans de grands amphithéâtres, j’ai fait des combats de championnat du monde et des combats d’unification. J’ai ouvert la voie à toutes ces filles qui peuvent maintenant pratiquer ce sport-là.

La petite Marie-Eve de Saint-Eustache qui est devenue championne du monde peut dire mission accomplie.

La relève est assurée. Il y a des boxeuses exceptionnelles qui font rayonner notre sport et qui continueront de le faire.

Elle prend la pose en robe de soirée devant des objets relatant sa carrière en boxe

Marie-Eve Dicaire

Photo : Radio-Canada / Arianne Bergeron


Quand on me demande quel a été l’événement marquant de ma carrière, c’est drôle parce que tout le monde s’attend à ce que je parle de mon championnat du monde.

C’est plutôt mon combat pour la ceinture de la NABF, en février 2018, face à l’Argentine Marisa Gabriela Nunez. Ç’a été la seule décision partagée de ma carrière. C’est aussi la fois où j’ai subi ma première coupure en combat, au front en plus.

Au même moment, ma mère combattait un cancer. Mon entraîneur Stéphane voulait annuler le combat. Mais je lui avais dit : Je ne peux pas faire ça à ma mère.

Parce que toute sa vie, elle s’est battue pour moi, pour que je puisse réaliser mes rêves. Elle a tout sacrifié. Je ne pouvais pas arriver si près de ce rêve pour lui dire que j’allais mettre ça de côté pour m’occuper d’elle. Ma mère ne me l’aurait jamais pardonné.

J’ai donc convaincu Stéphane de me laisser faire ce combat. Tout le temps où j’étais en camp d’entraînement, ma mère faisait des traitements de radiothérapie. Je faisais les suivis médicaux avec elle au CHUM.

Fiche de Marie-Eve Dicaire (18-2, 1 K.-O.)

  • 1er décembre 2018 : Victoire par décision unanime contre Chris Namus pour titre mondial IBF des super-mi-moyennes
  • 13 avril 2019 :  Défense de son titre contre Mikaela Lauren (victoire par décision unanime)
  • 28 juin 2019 :  Défense de son titre contre Maria Lindberg (victoire par décision unanime)
  • 23 novembre 2019 : Défense de son titre contre Ogleidis Suarez (victoire par décision unanime)
  • 5 mars 2021 : Défaite contre Claressa Shields et perte de son titre mondial
  • 17 décembre 2021 : Victoire par K.-O. technique contre Cynthia Lozano pour titre mondial IBF des super-mi-moyennes
  • 12 novembre 2022 : Défaite contre Natasha Jonas pour l’unification des titres IBF, WBC et WBO

Ç’a aussi été le seul combat présenté au Québec où ma mère n’était pas sur place. Je dis bien sur place et non dans les gradins parce qu’elle avait l’habitude d’aller se cacher aux toilettes pendant mes combats, pour lire les messages de mes amis et de mes cousines qui lui racontaient comment ça se passait pour moi dans le ring.

Pendant le combat, les émotions ont embarqué. J’étais arrivée en mode robot parce qu’il y avait eu un changement d’adversaire à quatre jours du combat.

Je m’étais préparée à affronter une fille de 1,88 m (6 pi 2 po) et je me retrouvais devant une boxeuse de 1,63 m (5 pi 4 po). Les distances sont faussées. Et je n’ai pas eu le recul émotionnel pour me dire que je devais m’ajuster. Je ne pensais qu’à gagner le combat pour ma mère.

Et le combat ne va pas bien. Je me souviens que je place un coup et je mange une droite. J’en lance un autre, puis un autre, mais chaque fois, sa droite m’atteint solidement. Stéphane et Samuel étaient hors d’eux.

À un moment donné, en revenant dans le coin entre deux rounds, ils m’ont simplement lancé : C’est ça, Marie. Let’s go! C’est un peu comme s’ils venaient de me dire : On est là, on sait que c’est une mauvaise soirée, mais on ne te laissera pas tomber. Vas-y. On va y aller, et c’est tout.

À la fin du combat, j’avais le visage en sang. On est allés chercher une décision partagée. Et j’ai surtout montré à ma mère que j’avais pu gagner.

Peu après, ma mère était en rémission de son cancer. Et quelques mois plus tard, elle était là pour me voir devenir la première championne du monde du Québec. Ça a été un combat clé dans ma carrière.

C’est aussi après ce combat que j’ai commencé à travailler avec mon préparateur mental Jean-François Ménard. J’ai alors compris qu’il y avait des émotions, des trucs à gérer qui me permettraient d’être une meilleure athlète.

Elle tient sa ceinture de championne dans sa main droite

Marie-Eve Dicaire a été deux fois championne du monde

Photo : Radio-Canada / Arianne Bergeron


Est-ce que ma retraite est définitive? J’ai toujours été catégorique sur ce point, à savoir qu’au moment où j’allais l’annoncer, l’affaire serait classée.

Je n’ai aucune amertume. Un autre combat et une autre victoire à ma fiche ne changeraient rien à mon sentiment d’accomplissement.

Toutefois, de dire que je ne suis plus une athlète professionnelle est pour moi le plus grand deuil que j’ai à faire.

Jamais je ne me suis sentie autant en maîtrise que dans un ring ou aux abords d’un ring. C’est peut-être un peu pour ça que ç’a été difficile de décider de tourner la page sur ma carrière sportive.

D’aller vers des domaines où j’ai un peu moins de confiance ou de contrôle, c’est là où ça redevient difficile.

J’ai encore besoin de me pousser, de me challenger. Et en ce moment, il est là mon défi. Je veux arriver à me sentir aussi à l’aise dans ma nouvelle vie dans le monde des communications qu’au moment de monter dans l’arène pour me battre. Et je pourrai me servir de tout ce que la boxe m’a donné pour y arriver.

Elle tient dans ses mains ses gants de boxe

Marie-Eve Dicaire raccroche ses gants

Photo : Radio-Canada / Arianne Bergeron

Propos recueillis par Jean-François Chabot

Photo d'entête par Arianne Bergeron/Radio-Canada