
Charles Jourdain - Je sais ce que je fais
Photo : Radio-Canada / Jérôme Voyer-Poirier
Charles Jourdain - La violence, c’est juste mon métier
« J’adore la violence, mais je n’ai pas une once de méchanceté dans le corps. »

Signé par Charles Jourdain
L’auteur est un combattant de l’Ultimate Fighting Championship (UFC). Il montre une fiche de 13 victoires, 6 défaites et 1 combat nul depuis ses débuts professionnels.
Si je me bats dans une cage, ce n’est pas pour expulser un excès de colère ou de haine. Je mets ma vie en danger parce qu’il y a un feu qui brûle en moi que je ne peux éteindre. Je suis comme un athlète olympique guidé par sa passion, prêt à tout pour la médaille d’or. Je suis prêt à tuer ou à mourir dans l’octogone. Je ne peux penser autrement, sinon je suis cuit. Laissez-moi vous expliquer pourquoi je suis si fier de ce que je suis devenu.
Je suis tombé en amour avec les arts martiaux mixtes à l’adolescence. Mes parents ont vite compris que mon frère Louis et moi devions apprendre à gérer notre intensité. Au lieu de prendre rendez-vous avec le médecin qui m’aurait sûrement prescrit une médication, ils ont préféré m’offrir l’occasion de canaliser mon énergie. Je vous remercie maman et papa. Quelle idée géniale!
J’ai trouvé ça cool d’apprendre à me battre dans un gymnase. J’avais déjà tellement vu d’actes violents, des jeunes qui se faisaient démolir dans la rue. Il fallait que je sache comment me défendre au cas où une brute voudrait me régler mon cas. Autrement dit, je n’allais pas reculer si la violence me cherchait. Dans ce petit gymnase de Beloeil, je me sentais à ma place devant n’importe quel rival. J’avais si souvent regardé à la télé les duels des Tortues Ninja. Chaque épisode faisait jaillir en moi cette envie de combattre. Je pouvais maintenant livrer mes propres combats avec un sourire accroché au visage.
Une douzaine d’années plus tard, à 27 ans, je suis en train de m’imposer parmi les meilleurs combattants de l'UFC (Ultimate Fighting Championship), la plus prestigieuse organisation d’arts martiaux mixtes du monde. Je sais, beaucoup de gens dénoncent la brutalité de mon sport et nourrissent des préjugés envers nous. Entre vous et moi, je m’en fous. Leur jugement ne m’affecte plus. Mais je mentirais si je disais que je ne me suis jamais senti blessé par ces critiques injustes et gratuites à la portée dévastatrice. J’ai appris à la dure.
Après ma première défaite, beaucoup de gens ont quitté mon bateau qui, selon eux, prenait l’eau. Je n’étais soudainement plus le combattant promis à un brillant avenir. Je n’avais pourtant pas tout perdu. J’ai compris avec le temps que je devrais me construire une carapace.
Je me suis notamment inspiré du rappeur français Booba, un rebelle dans l’âme. Ses textes et sa musique me font du bien. J’aime sa philosophie, sa piraterie qui signifie que nous n’appartenons à personne. Je monte dans mon navire et je navigue à ma façon. Je ne pratique pas ce métier pour représenter le Québec ou le Canada, mais pour représenter les gens qui ont envie d’être représentés par mon histoire. Ce petit connard de Beloeil, parti de rien, est rendu au milieu de cette mer agitée remplie de requins. Et je suis heureux.
Si vous pensez qu’un combat d’arts martiaux mixtes se résume à mettre deux tatas dans une cage et que ces fous furieux vont se taper dessus jusqu’à ce que l’un d’eux tombe au plancher, vous faites fausse route. Même si j’avoue qu’une partie de cette affirmation est vraie : quelqu’un va flancher. Mais cessez de croire que nous sommes tous des abrutis!
C’est un art de savoir se battre enfermé dans un octogone devant des milliers de spectateurs qui hurlent et réclament un K-.O. sans retenue. Pour nous, c'est plutôt une guerre de styles pour déterminer lequel de ces deux gladiateurs de l’ère moderne maîtrisera le mieux les techniques de jiu-jitsu, de lutte, de lutte gréco-romaine, de boxe ou de kick-boxing afin de sauver sa peau.
J’ai fait mes classes et j’ai souffert. Mais j’ai plus souvent fait souffrir mes adversaires et j’en suis fier. Ma fiche de 13 victoires, 6 défaites et un combat nul en est la preuve. Jusqu’à présent, je suis content d’avoir fait mentir mes détracteurs. Mes efforts et mes sacrifices m’ont permis de mener une belle carrière à l’UFC. Les gens paient pour me voir me battre et je gagne très bien ma vie grâce à mon talent et à mon courage, même si je peux paraître fou aux yeux d’une partie de la population.
Au fond, j'aime les altercations où il y a des chocs. Elles nous en disent beaucoup sur le comportement humain. Dans la vie, on ne peut pas toujours s’enfuir. Il faut affronter la réalité. On dira ce qu’on voudra, nous avons tous un combattant en nous.
Si tu arrives au coin de la rue et que deux personnes se battent, tu les regardes de manière instinctive. Ce n’est pas pour rien que les galas de l’UFC jouissent d’une très grande popularité. Le public se laisse attirer par la violence. Mais je vous le concède : il faut être un peu déconnecté pour accepter de s’exposer ainsi aux coups d’un adversaire sans pitié.
Et si je vous proposais aujourd’hui de m’accompagner dans l’octogone? Ça vous tente? Probablement pas. Mais si je vous laissais entrer dans ma tête durant quelques-unes de mes plus farouches batailles? Je trouve qu’il s’agit d’un bon compromis. Je vous jure que ça fera moins mal! Mais attention, ça ne vous empêchera pas d'être abasourdi à la sortie.
D’abord, oui, j’ai peur. Ceux qui disent le contraire sont des menteurs. Après tout, mon travail consiste à faire tout ce que je peux pour qu’un arbitre vienne sauver la vie de mon rival. Mais il pourrait aussi sauver la mienne. C’est suffisant pour ébranler la paix d’esprit du plus zen d’entre vous. Mais je suis en parfaite maîtrise lorsque je mets les pieds dans l’octogone. Je suis un professionnel.
Un arbitre ne m’a sauvé la vie qu'une seule fois. Ce soir-là, le 4 septembre 2021, j’ai vu les lumières s’éteindre avant que Jason Herzog ordonne à Julian Erosa d’arrêter de m'étrangler. Je sais que ça sonne cru, mais j’essaie d’être le plus transparent possible pour que vous compreniez ce que je vis dans une cage sans issue.
Je me rappelle aussi de la fois en Corée où j’ai reçu un terrible coup à la tempe. Je n’avais jamais été frappé si puissamment. J’avais soudainement l’impression d’être au milieu d’une plateforme tournante, que mon univers n’avait plus rien de stable. Mais en réalité, c’était bien moi qui n'arrivais plus à garder mon équilibre. J’étais à la merci de mon adversaire.
Dans ma tête, tout se déroulait au ralenti. Comme dans un film de Rocky où le héros ébranlé, entre les cris des spectateurs enthousiastes, essaie tant bien que mal de reprendre ses esprits. Le Coréen en rajoutait, il tentait de me frapper à nouveau pour m’achever. J’étais en mode survie. Je vivais ce moment dans l'incohérence. Toutes sortes d’images défilaient dans ma tête si lentement. Moi sur le divan auprès de ma copine, mon chien étendu pas loin. Mon imagination m’amenait ailleurs. Et pourtant, j’étais là, chambranlant devant mon assaillant. Je ne voyais plus le feu dans ses yeux, mon regard était vide, mais je n’avais qu’une seule idée en tête : survivre.
Pendant que cette menace d’un coup fatal me pendait au bout du nez, je me souvenais des paroles de mon père qui me disait de me donner à 100 %, avec honneur. Il ne tolérait pas les demi-mesures. Sinon, il aurait préféré que je ne fasse rien du tout. Je me suis donc répété que si je devais manger une volée à l’autre bout du monde, j’allais en manger une comme il faut.
C’est fou tout ce qui te passe par la tête dans un état de détresse. Et les secondes s’écoulaient pendant que mon cerveau me bombardait de raisons pour que j’abandonne, tandis que mon âme, elle, cherchait la raison pour laquelle je devais rester debout jusqu’au bout.
Je me suis accroché et, croyez-le ou non, j’ai fini par lui passer le K.-O.. Oui, un K.-O. percutant! On m’a même décerné la bourse de 50 000 $ pour la victoire la plus spectaculaire. Le Korean Superboy, Dooho Choi, se souviendra de Charles Jourdain à tout jamais. Il m’avait dans les câbles, mais mon instinct de survie m’a permis d’avoir le dernier mot. Je ne vais jamais oublier ce combat du 21 décembre 2019. Ce n’est jamais fini
est ma devise. Il s’agit du meilleur exemple dont je peux m’inspirer pour la suite de ma carrière.
Récemment, le 3 septembre, je me suis battu à Paris. J’ai insisté pour prendre part à ce gala, car il s’agissait du premier événement de l’UFC en France. Je n'avais jamais visité ce pays et je tenais à inscrire mon nom dans l’histoire en participant à cette carte. J’ai d’ailleurs pu constater que je jouissais d’une bonne notoriété auprès des Français, plus grande qu’au Québec où mes admirateurs sont surtout de jeunes hommes. La quantité d’amateurs d’arts martiaux mixtes en France est énorme. Les gens faisaient la file pour se faire prendre en photo avec moi et avoir mon autographe.
Je pense que le public en général apprécie mon style flamboyant. Si on me surnomme Air Jourdain, c’est parce que je suis explosif et que j’aime me projeter dans les airs pour porter des coups spectaculaires. Mais cette fois-ci, je n’ai pas réussi.
J’ai perdu ce combat par décision unanime face à Nathaniel Wood, à qui je lève mon chapeau. Et j’ai réalisé lors de mon séjour en France que j’avais poussé mon corps à la limite.
Ce 10e combat en moins de trois ans m’a causé de sérieux ennuis sur le plan physique. Je vous raconte. Après la pesée, mon corps a refusé de se réhydrater. Normalement, je passe de 145 à 160 livres en l’espace de 24 heures et je suis dans de bonnes dispositions pour offrir un bon spectacle. Mais cette fois-ci, je n’ai pris que deux livres!
Après cinq pertes de poids en un an, je pense que mon corps m’a envoyé un message tranchant. Imaginez, à quelques heures d’un gala historique à Paris auquel j’ai tant désiré participer et durant lequel tu sais que les gens vont scander ton nom et t’acclamer, tu réalises que ta forme n’est pas optimale. J’ai tout donné pour vaincre ce redoutable Britannique, en vain. Ce n’est pas une sensation que je souhaite revivre un jour.
La défaite a été dure à accepter. Mais ce qui fait le plus mal dans la vie, que tu sois un combattant ou n'importe qui, c’est de savoir que tu as fait de ton mieux, mais que le mieux, ce n’était pas assez. Quand je suis sorti de l’octogone, ça m’a frappé droit au cœur. Je n’avais pas été à la hauteur. C’est l’une des rares fois où j’ai ressenti une telle souffrance.
Mon adversaire m’a félicité parce que le combat a été serré. J’ai apprécié cette marque de reconnaissance de sa part. Oui, je lui ai donné du fil à retordre, mais il m’a frappé plus fort. Je l’admets.
Et les journalistes, ce soir-là, ont eu raison de souligner qu’ils n'avaient pas vu le même Charles Jourdain. Ils ont vu juste.
Dans la vie, nous ne sommes pas jugés pour ce qui nous arrive, mais sur la façon dont nous réagissons. J’ai donc choisi à mon retour au Québec de m’accorder une pause jusqu’en 2023 afin de permettre à mon corps de se rétablir et d’être en harmonie avec mon esprit. Ce n’est pas facile de s’imposer un congé de combat. Je le réalise. Je m’entraîne et je dois résister à la tentation de retourner dans l’octogone trop tôt. Je sais qu’une fois reposé, je pourrai donner un autre élan à ma jeune carrière. Il ne faut pas oublier que je n’ai que 27 ans…
Je vais maintenant vous raconter un précieux moment que j’ai eu le privilège de vivre à Paris.
Le genre de rencontre qui ne se produit pas souvent. Après ma défaite, j’étais assis sur un banc à l’aéroport Charles-de-Gaulle. Avec ma cagoule sur la tête, je ruminais de mauvaises pensées. J’étais amoché. J’avais mal au corps et à l’esprit. Puis, j’ai senti une main se déposer sur mon épaule. Je me suis retourné et j'ai aperçu Georges St-Pierre, le combattant par excellence, le plus grand champion de l’UFC.
Il m’a alors demandé comment j’allais, et il s'est assis à mes côtés.
Curieusement, je n'avais jamais discuté avec lui avant mon arrivée à Paris. Au Québec, je n'ai pas cherché à le rencontrer, simplement par respect. Ce gars-là a tellement fait grandir notre sport. Il est le plus grand de tous les temps. Après son dernier combat à l’UFC en 2017, Georges St-Pierre a choisi de s’éloigner de ce monde où il est devenu célèbre. Il avait fait ce qu’il avait à faire. Il méritait qu’on le laisse tranquille.
Je n’allais pas essayer de le côtoyer, même si j’aurais pu en tirer un immense avantage. Son ex-entraîneur est déjà à mes côtés. Et évidemment, parce que je suis Québécois, les gens sont portés à me comparer à lui. Mais St-Pierre est incomparable. Il est une icône. Je préférais rester à distance et le laisser jouir de sa retraite.
Je n’irai pas dans les détails de ce qu’il m’a dit. Je peux seulement vous assurer que ses mots m’ont fait du bien. J’avais l’oreille fine. J’ai plus écouté que je ne lui ai parlé. Je n’avais pas besoin d’essayer de l’impressionner. Lorsque le meilleur combattant du monde décide de s’entretenir avec toi après une défaite, tu l’écoutes. Il n’y a pas eu d’éloges. Je suis sorti de cet échange très motivé. Georges St-Pierre est un personnage incroyable. Je le remercie pour cette délicatesse à ce moment précis où je pansais mes plaies.
Aujourd’hui, je vis à Chambly. Je m’entraîne souvent avec mon petit frère. Louis est le cadet de notre famille de quatre garçons. Je n’ai qu’un an de plus que lui et il désire intégrer l’UFC prochainement. Des blessures l’ont ralenti, mais il est sur la bonne voie.
C'est une version améliorée de moi. Je ne suis que le brouillon de mes parents! On aime se taquiner et se pousser à la limite. Nous rêvons de pouvoir nous raconter nos aventures partout dans le monde et d’en rire quand nous serons vieux. Nos histoires, c’est tout ce qui nous appartient.
Nous partageons une autre passion : les jeux vidéo. Je suis un gamer. Ça me fait du bien après mes entraînements de m’asseoir sur le divan et de livrer d’autres combats virtuels. Je décompresse. J’aime ces personnages qui, à coups d’épée, essaient d’éliminer tous leurs ennemis monstrueux dans un jeu animé. C’est fascinant à quel point les jeux vidéo sont bien conçus. Il faut juste savoir doser la fréquence. Si tu fais joues pour oublier toutes les choses que tu dois accomplir, ce n’est pas correct. Si tu joues parce que tu as besoin d’une pause, c’est un bon divertissement.
La lecture m’apaise. La mythologie grecque me fascine, les mangas japonais aussi. J’en ai une belle collection à la maison. Je m’inspire beaucoup de philosophes pour devenir une meilleure personne. Je suis un grand partisan du stoïcisme, c’est-à-dire de l’absence d’émotion jumelée à une présence de conscience. Quand on est calme et réfléchi, on ne fait pas des choses que nous pouvons ensuite regretter. Les émotions mal gérées peuvent nuire à un individu dans plusieurs contextes de la vie.
Toutes ces lectures m'aident à avoir un meilleur contrôle de moi-même. En vérité, je m'inspire de nombreuses personnes, mais je ne cherche qu’à être moi-même. Vouloir être quelqu’un d’autre attire la malédiction.
Je sais que je peux paraître étrange lorsque j’affirme aimer la violence. Ce n’est pas coutumier. Je ne suis toutefois pas le genre de gars que vous rencontrerez dans les bars à défier les gens. Au contraire, je me considère comme un homme qui mène une vie tranquille, voire un peu ennuyeuse.
Je me bats dans une cage, c’est mon boulot. Et après, je rentre à la maison pour être entouré des miens et me préparer à mon prochain défi. Ma copine et les membres de ma famille m'appuient et je ne leur dirai jamais assez comment je les aime. Je sais ce que je fais. Je connais les risques de mon métier.
Les agressions physiques n’ont pas leur place dans la société. Il s’agit d’actes horribles.
C’est fou comment nous sommes capables aussi de nous torturer psychologiquement. Je constate dans mes rapports avec les jeunes dans les écoles que les mots font plus mal que les coups. Ils me disent que c’est le genre de violence à laquelle ils sont confrontés le plus souvent, humiliés et coincés dans cette immense cage dont ils ne peuvent s’échapper qui s’appelle les réseaux sociaux.
L’intimidation et l’isolement font des ravages. Un nez cassé a besoin de deux mois pour guérir, mais une confiance brisée peut le rester pendant une vie entière.
Les arts martiaux mixtes m’ont été d’un grand secours. Je crois que beaucoup de jeunes peuvent s’inspirer de mon parcours. Être un combattant de l’UFC, ce n’est pas si mal.
Propos recueillis par Jean-François Poirier
Photo d'entête par Jérôme Voyer-Poirier/Radio-Canada