
Jonathan Goulet - Marcher contre le mal de vivre
« Fuir la vie, m’étourdir pour oublier que ça ne va pas bien, je connais. C’est pratiquement ce que j’ai fait la majorité de ma vie : durant ma carrière en combat ultime, au travail, en me plongeant dans les jeux vidéo dès que je rentrais à la maison. Cette spirale était toxique. »

Signé par Jonathan Goulet
L'auteur a été combattant en arts martiaux mixtes.
Un jour, j’ai atteint le fond. Mon mal de vivre avait pris une telle ampleur que j’ai grimpé au sommet d’une grue, au centre-ville de Montréal, avec l’intention de mettre fin à mes jours.
J’étais assis là et ma décision était prise. Je ne voulais plus vivre.
J’ai levé les yeux vers le ciel et, soudainement, ça m’a frappé. J’ai vu cet immeuble, celui qui est en forme de pyramide au sommet. Je l’ai toujours remarqué parce qu’il est illuminé de différentes couleurs.
Ce soir-là, ma vie était en noir et blanc, mais le triangle au sommet de l’immeuble était rose. Ça m’a fait penser à ma fille. Son visage est apparu à travers cette lumière rose et je me suis dit : Voyons donc Jo. Qu’est-ce que tu fais là?
J’étais assez jeune quand j’ai perdu mon père et je pleure toujours sa mort. Je ne pouvais pas faire ça à ma fille.
Ça m’a ramené à la raison.
J'avais besoin d'aide et je le savais. Mais quand je suis descendu de cette grue, ce soir-là, je me suis rendu compte que mes proches essayaient de m’aider depuis longtemps, mais que je ne les écoutais pas.
Je suis un ancien athlète professionnel de MMA (arts martiaux mixtes). Durant ma carrière qui s’est terminée en 2010, je me suis battu dans plusieurs circuits, dont celui de l’UFC.
Ma vie n’a pas été de tout repos. Depuis que je suis tout jeune, je compose avec un problème de santé mentale, un mal de vivre sur lequel je n’arrivais pas à mettre de mots avant d’aller chercher de l’aide, en 2015.
Oui, vous avez bien lu. J’ai attendu toutes ces années pour enfin me décider à consulter un psychologue. Pourquoi? J’avais cette vieille mentalité, ces préjugés qui perdurent dans certains milieux et qui n’ont pas lieu d’être. Je me disais : Mais comment est-ce que ces gens-là peuvent m’aider? Qu’est-ce qu’ils ont vécu, eux, pour me donner des conseils?
Puis, en 2018, j'ai perdu un ami qui, comme moi, luttait contre la dépression depuis plusieurs années. Je me suis dit qu’il fallait absolument éviter que des situations semblables se reproduisent. J’ai commencé à penser à un projet qui pourrait sensibiliser les gens aux problèmes de santé mentale et à l’importance d’aller chercher de l’aide.
Ma bouée de sauvetage quand je ne vais pas bien, c’est la marche en forêt. C’est pourquoi j’ai décidé de me lancer un défi : parcourir ce que j’appelle la route des guerriers
.
En février 2020, j’ai entamé ma longue randonnée. Le plan était de marcher de ville en ville, sur le grand sentier qui relie Québec à Ottawa, en m’arrêtant dans les clubs d’arts martiaux que je croisais sur mon passage pour sensibiliser les jeunes à ma cause. Je voulais leur passer le message qu’il est important de faire attention autant à sa santé physique que mentale. Je voulais leur dire de prendre soin d’eux.
J’ai malheureusement dû arrêter rapidement, parce que le gouvernement déclarait l’état d’urgence et parce que la situation était devenue incertaine avec la pandémie mondiale.
Je me suis rendu à l’évidence, j’allais devoir reporter mon projet. Ç’a été un coup dur. Je dois vous avouer que dans les jours qui ont suivi, je n’allais pas très bien. C’est finalement ma copine qui m’a remis sur le droit chemin en me forçant à sortir prendre l’air.
Depuis, la pandémie nous a laissé peu de répit. Je ne voulais cependant pas abandonner ce défi personnel qui me tenait tant à cœur. J’ai dû revoir mes plans.
Depuis le 21 janvier dernier, je sillonne donc, en autonomie complète, la section du grand sentier qui relie Québec à Ottawa. Chaque jour, je marche plusieurs kilomètres avec mon sac à dos. La nuit, je m’installe un petit abri quand c’est possible, ou bien je dors carrément dehors, enroulé dans mon sac de couchage.
Oui, certains diront que je me donne de la misère. C’est vrai. Je souffre de la même façon que les gens qui souffrent de dépression. Je veux faire réaliser à tout le monde à quel point c’est sérieux. Je veux qu’on en parle.
Je souhaite aussi encourager les gens à sortir au grand air pour marcher, parce que pour moi, c’est une thérapie quotidienne. Durant la pandémie, plusieurs activités sportives sont suspendues, mais la marche nous a toujours été permise.
Je pense que pour plusieurs, comme moi, le sport est une source de réconfort. Parfois, ça ne prend pas grand-chose pour chasser une période noire. Il suffit de mettre le nez dehors, dans la nature.
Mon mal de vivre date d’il y a bien longtemps. Déjà quand j’avais 10 ans, j’ai pensé à m’enlever la vie. Je subissais de l’intimidation à l’école. Ça va peut-être vous surprendre, mais quand j’avais cet âge, je détestais le sport. Je n’aimais pas suer, avoir chaud. J’ai enduré les commentaires méchants des enfants populaires.
J’ai commencé à pratiquer les arts martiaux mixtes à l’âge de 19 ans. Au début, je me suis inscrit dans un gym pour apprendre à me défendre. Je venais de manger une volée dans un bar. C’était toute une bagarre! Je m’en souviens encore.
Mon entraîneur, Steve Claveau, a rapidement trouvé que j’avais du talent et j’ai vite fait le saut chez les amateurs, puis les professionnels.
Quand j’étais un combattant de l’extrême, j’avais l’impression que les choses se plaçaient, que j’allais mieux. En fait, j’étais seulement dans une spirale qui me permettait d’ignorer mon mal de vivre, mais sans régler le problème. Je m’entraînais six jours sur sept et, quand je n’étais pas dans l’octogone ou au gymnase, je jouais compulsivement à des jeux vidéo. Ça m’empêchait de réfléchir. Je n’étais vraiment pas bien.
Si j’avais consulté un psychologue sportif durant ma carrière, j’aurais probablement pu gagner une ceinture. J’aurais été plus stable. Mais je ne l’ai pas fait.
Je me battais comme un chien dans une cage. J’avais vraiment besoin d’aide.
Juste de vous en parler aujourd’hui, ça me donne des frissons. Je ne veux jamais retourner dans ces émotions horribles.
L’UFC, dans mon temps, c’était un monde de fous. Aujourd’hui, j’ai l’impression que ça l’est un peu moins. Les athlètes sont bien entourés, ils agissent intelligemment.
À mes débuts, c’était plutôt des humains qui voulaient se défouler. Oui, on était des athlètes dans le sens ou l’on s’entraînait fort. Mais on n’était pas encadrés comme ils le sont aujourd’hui.
Ma carrière a toujours été un peu spéciale parce que je me battais avec beaucoup d’émotions. Je suis ne suis pas quelqu’un d’agressif dans la vie de tous les jours, loin de là, alors avant d’entrer dans une cage pour frapper quelqu’un, je devais changer ma mentalité.
J’utilisais donc la vieille méthode, celle où il fallait se mettre dans la tête que la personne en face de nous voulait nous tuer, saccager notre maison, attaquer notre famille. N’importe quoi pour provoquer la colère au fond de moi.
J’affichais des photos de mes adversaires un peu partout chez moi pour apprendre à les détester encore plus. Chaque fois que je passais devant l’image, je ressentais, l’espace d’un instant, de la haine.
Ce n’était sain ni pour moi ni pour mon entourage. J’étais toujours prompt, sur la défensive. Les semaines, les mois avant mes combats, j’étais sur le qui-vive matin, midi et soir. Même dans mon sommeil, je me battais. J’étais constamment crinqué émotivement.
Pour vrai, c’était horrible.
Les gens me demandent souvent si le combat ultime me manque. Ma réponse : ZÉRO. Ça ne me manque pas du tout.
La visibilité, la gloire, peut-être. Mais la situation de combat : jamais!
Ce n’était même pas du sport pour moi. C’était une guerre, un moment de conflit. À l’intérieur, ça me grugeait, comme quand vous êtes fâché après quelqu’un. Il n’y a rien d’agréable là-dedans.
Imaginez une situation comme ça, mais en plus, en sachant que vous allez vous faire taper dessus.
Non, vraiment, plus jamais.
Pourquoi ai-je continué aussi longtemps? J’avais du talent et je me voyais devenir riche, riche comme Georges St-Pierre. J’imaginais que gagner une ceinture m'amènerait la gloire et me permettrait d’ouvrir une école, d’avoir une autre carrière après celle de combattant professionnel. Je n’avais aucun diplôme, alors je voyais le combat ultime comme une solution.
Ça n’est pas arrivé.
Quand j’ai terminé ma carrière, c’était le début des réseaux sociaux, de l’intimidation sur Internet. Des gens écrivaient des bêtises sur moi et j’ai fini par les croire. Je n’étais pas outillé pour gérer ça.
J’étais loin de mon rêve. Je voyais les dettes s’accumuler. Émotionnellement, j’étais détruit.
C’est certain que mon passage dans le monde du combat ultime professionnel n’a pas aidé mes problèmes de santé mentale. Même quand j’étais au sommet de ma gloire, que j’avais des amis, que ma carrière se déroulait bien, je me sentais seul.
Quand j’ai pris ma retraite, ça a empiré. Non seulement je me sentais seul, mais en plus, je recevais moins d’attention que quand j’étais athlète. J’avais du temps, trop de temps.
Encore pour fuir, je me suis lancé à fond dans les études, puis dans le travail. Je faisais des heures supplémentaires, des formations, j’étudiais plus. Tout ça m’empêchait de réfléchir et d’affronter mes problèmes.
Mon mal de vivre, je ne le laissais pas paraître.
Même si je souffrais à l’intérieur, j’ai toujours été le comique. Je faisais des blagues, je souriais. Je cachais bien ma douleur.
Fuir la vie, m’étourdir pour oublier que ça ne va pas bien, je connais. C’est pratiquement ce que j’ai fait la majorité de ma vie : durant ma carrière en combat ultime, au travail, en me plongeant dans les jeux vidéo dès que je rentrais à la maison.
Cette spirale était toxique. Mais j’ai appris, en consultant, que je pouvais affronter le problème et reprendre le contrôle sur ma vie.
Les jeux vidéo sont maintenant un divertissement. Chaque jour, je me fais une liste de choses à faire et je n’ouvre pas ma console tant qu’il n’y a pas un crochet à côté de chacun des points de cette fameuse liste.
Je sors marcher en forêt le plus souvent possible pour m’aérer l’esprit. C’est ma thérapie quotidienne.
Je vais bien présentement, mais la ligne est mince et je ne veux pas retomber. Je devrai probablement affronter des épisodes de dépression toute ma vie, mais maintenant, je suis outillé pour le faire.
Depuis le 15 janvier, j’avance sur ce que j’appelle la route des guerriers
. C’est le nom que j’ai donné à mon projet parce que je trouve que ça représente un peu la vie de quelqu’un qui doit composer avec des problèmes de santé mentale, de dépression, comme moi.
Marcher 1000 kilomètres avec mon sac à dos, dormir dehors sous des froids extrêmes, affronter le vent, la glace, la neige, c’est le défi que je me suis donné. Non, ce n’est pas facile, mais ça me permet de repousser mes limites.
J’aborde mon périple un pas à la fois. Non, ce n’est pas facile. Oui, par moments, j’ai eu envie d’abandonner. Je repense entre autres à cette nuit durant laquelle il faisait -20 degrés Celsius. J’étais enroulé dans mon sac de couchage, sous un viaduc dans la région de Brompton. Je dois vous avouer que j’ai pensé à l’idée d’appeler ma copine pour qu’elle vienne me chercher.
Mais rapidement, je me suis dit que je ne pouvais pas faire ça, que je ne pouvais pas abandonner. La vie est un peu une lutte continuelle. Ce n’est pas toujours facile, mais il faut chaque jour essayer d’avancer, de faire un kilomètre de plus.
Quand je marche, je pense à tous ceux qui souffrent en silence. Ce sont eux, ma cause. Et par mon projet, je veux qu'on en parle.
Pendant la Semaine de la prévention du suicide, on entend souvent qu’en parler, ça sauve des vies. Et pour moi, c’est tellement important de le répéter, particulièrement en ces temps de pandémie qui ne sont faciles pour personne.
Il faut répéter le plus possible qu’il existe de l’aide, que ça se guérit, que c’est possible d’aller mieux. Qu’il y a des spécialistes qui sont là pour ça.
Ne faites pas comme moi. N’attendez pas de vous retrouver en haut d’une grue, au beau milieu du centre-ville, avant d’aller chercher de l’aide.
Propos recueillis par Alexandra Piché
Photo d'entête par Arianne Bergeron