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ChroniqueEt si Sportsnet sauvait TVA Sports du naufrage?

Les joueurs des Canadiens et des Maple Leafs sautent sur la patinoire en prévision de leur rencontre de samedi soir.

Les droits nationaux de télédiffusion du hockey de la LNH appartiendront à Sportsnet (en anglais) et à TVA Sports (en français) jusqu'en 2025-2026.

Photo : La Presse canadienne / Jon Blacker

Cette semaine, il a été difficile de ne pas avoir une bonne pensée pour l’ex-président de RDS, Gerry Frappier.

À l’automne 2014, Frappier rugissait dans son bureau du boulevard René-Lévesque, à Montréal. Le nouveau contrat de télévision canadien de la LNH entrait en vigueur (il arrivera à échéance au terme de la saison 2025-2026) et la chaîne sportive de Bell donnait l’impression de s’être fait assener un retentissant K.-O. par Québecor et par sa chaîne rivale, TVA Sports.

Pour briser le monopole de RDS en matière de hockey professionnel, TVA avait accepté de débourser plus de 700 millions sur 12 ans pour mettre la main sur les droits nationaux francophones de la LNH. Toutefois, en allongeant cette somme colossale, Québecor ne s’appropriait qu’une vingtaine de matchs du CH en saison régulière (essentiellement les matchs du samedi) et les matchs des séries éliminatoires.

En plus de briser le monopole de RDS, cette offensive de Québecor avait forcé Bell à puiser profondément dans ses coffres pour conserver une partie des droits de télédiffusion locaux du Canadien. Selon des sources de l’époque, Bell avait dû débourser quelque 800 millions (toujours sur 12 ans) pour obtenir le privilège de diffuser la soixantaine de matchs restants.

Il s’agissait d’une véritable catastrophe pour RDS puisque, au cours des années précédentes, la chaîne de Bell diffusait la totalité des matchs du CH pour la moitié de cette somme.

***

C’est dans ce sombre contexte qu’en octobre 2014, Gerry Frappier est devenu une sorte de Nostradamus de l’univers de la télé spécialisée.

Dans une entrevue spectaculaire accordée au confrère Gabriel Béland, de La Presse, le président de RDS avait révélé qu’il avait eu l’occasion d’égaler l’offre de Québecor pour maintenir le monopole de son organisation mais qu’il avait refusé de le faire. Il avait préféré rester assis sur ses mains, avait-il dit, parce que cette entente aurait signifié la destruction totale de la rentabilité de RDS et qu’il se serait agi d’un suicide financier.

Visionnaire, M. Frappier s’inquiétait par ailleurs du nouveau phénomène de débranchement du câble (cord-cutting). Cette désaffectation des abonnés du câble amincissait déjà les marges bénéficiaires des réseaux câblés américains et commençait à se faire sentir plus sérieusement au Canada.

« Ça ne prend pas une perte importante d'abonnements pour faire basculer la rentabilité. Pour chaque dollar que l'on récolte, il y a à peu près 70 cents qui viennent des abonnements et 30 cents de la publicité », expliquait le patron de RDS.

Pour toutes ces raisons, M. Frappier se disait incapable de voir comment Québecor allait pouvoir rentabiliser ce contrat de télé nationale francophone avec la LNH.

Et depuis ce temps, chaque fois que les résultats financiers de TVA Sports sont publiés, Gerry Frappier passe soit pour un devin, soit pour un génie.

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Plombée par ce lourd contrat de télédiffusion des matchs de la LNH, TVA saigne de l’argent depuis le début des années 2010. L’an dernier, les pertes cumulées surpassaient les 200 millions de dollars, chiffre qui a récemment été répété par le PDG de Québecor, Pierre Karl Péladeau, à l’émission matinale de Paul Arcand.

Or, ce monstrueux fardeau semble désormais plomber le Groupe TVA au grand complet. Le confrère Francis Vailles, de La Presse, révélait d’ailleurs cette semaine que TVA a récemment dû emprunter 91 millions à son actionnaire de contrôle, Québecor Média, afin de pouvoir boucler son budget courant.

On apprenait aussi que la marge de crédit bancaire qu’utilise TVA pour gérer ses activités courantes avait été réduite à 20 millions, comparativement à 75 ou 150 millions au cours des dix années précédentes.

Citant au passage les résultats financiers de 2022, Vailles soulignait que les pertes de TVA Sports (de l’ordre de 9,3 millions) constituaient l’ensemble du déficit du Groupe TVA (8,9 millions). Sans TVA Sports, le groupe serait rentable, essentiellement, constatait le journaliste.

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Bref, en raison du prix exorbitant payé par TVA Sports pour mettre la main sur les droits nationaux de la LNH et aussi parce que le phénomène du débranchement du câble (déjà observable au début des années 2010) s’est accentué, le réseau sportif de Québecor semble désormais branché sur le respirateur artificiel.

Et parce que RDS a dû jouer le jeu de la surenchère pour conserver une soixantaine de matchs du CH, la rentabilité de la chaîne spécialisée de Bell a aussi été fortement atteinte.

En 2014, TVA Sports avait quelque 1,8 million d’abonnés. En 2022, il n’en restait que 1,323 million, selon les plus récentes données du CRTC. Toujours en 2014, RDS disait avoir quelque 3,3 millions d’abonnés, mais ce chiffre a depuis lors diminué de près de moitié. Il n’en reste plus que 1,711 million, toujours selon les relevés financiers compilés par le CRTC.

TVA Sports accumule les déficits depuis sa création, en 2011. De son côté, RDS apparaît en bien meilleure posture. On note toutefois que la chaîne de Bell marche sur une corde assez raide.

RDS était autrefois une véritable machine à imprimer des billets verts. À titre d’exemple, elle avait engrangé des profits de 25 millions en 2012. Au cours des quatre dernières années, RDS a toutefois alterné entre l’encre noire et l’encre rouge pour rédiger ses bilans annuels. Des profits de 12,59 millions en 2018 ont fait place à des pertes de 10,77 millions en 2019. RDS a ensuite connu deux années profitables (8,07 millions en 2020 et 15,92 millions en 2021) avant de connaître un nouveau déficit de 2,05 millions en 2022.

Bref, RDS a cumulé moins de bénéfices au cours des cinq dernières années (23,76 millions) qu’elle n’en amassait auparavant au cours d’une seule année.

À la place de Geoff Molson, je serais très inquiet. Il n’est pas nécessaire de mener une longue enquête pour comprendre que les chaînes sportives québécoises ne lanceront pas leur argent à tout vent quand les présents contrats de télé du CH et de la LNH arriveront à échéance.

En fait, une des deux poules aux œufs d’or sera peut-être même morte à ce moment-là. Et les dirigeants du CH et de la LNH regretteront peut-être amèrement de l’avoir saignée lors des négociations de 2013.

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Le temps est maintenant venu de poser la question qui tue : y a-t-il moyen de sauver TVA Sports?

Quand on regarde le paysage médiatique canadien, on constate que le réseau TSN, le grand frère torontois de RDS, est encore extrêmement rentable. Malgré la perte de 1,8 million d’abonnés entre 2018 et 2022, The Sports Network a engrangé des profits combinés de 433,173 millions durant ces cinq années financières, et ce, même si les droits nationaux anglophones de la LNH lui avaient échappé au profit de Sportsnet (le réseau de Rogers) en 2013.

Si on se place dans les chaussures des dirigeants de Bell, la profitabilité de TSN rend probablement la situation de RDS beaucoup plus tolérable. De façon générale, leurs chaînes sportives restent largement rentables. L’exploitation des deux réseaux facilite par ailleurs la mise en commun de certaines ressources et favorise les économies d’échelle.

Du côté de Sportsnet, ça va aussi plutôt bien, et ce, en dépit des 5,2 milliards déboursés en 2013 pour mettre la main sur les droits nationaux de la LNH.

Entre 2018 et 2022, le réseau de Rogers a engrangé des profits combinés de 392 millions, et ce, même si le réseau a perdu 1,4 million d’abonnés durant cette période. On note toutefois que la rentabilité annuelle s’est étiolée au fil des ans. De 130,5 millions qu’elle était en 2018, elle ne s’élevait plus qu’à 50 millions l’an dernier.

De façon générale, tant chez TSN que chez Sportsnet, on constate cependant que la progression des ventes de publicités nationales est nettement plus vigoureuse au Canada anglais qu’au Québec. Cette force du marché publicitaire permet jusqu’à présent de compenser les pertes d’abonnés.

Cette situation porte à réfléchir. Au lieu de continuer à regarder TVA Sports saigner de l’argent, les dirigeants de Québecor feraient-ils mieux, par exemple, de céder leur chaîne sportive à Sportsnet?

Chose certaine, au train où vont les choses, ça semble être une des rares options valables pour éviter la destruction totale annoncée par Gerry Frappier en octobre 2014.

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