De chasseuse de balles à espoir du tennis en fauteuil roulant canadien

La recrue Frédérique Bérubé-Perron en action à Saint-Hyacinthe
Photo : Patrick Roger
Les performances de Félix Auger-Aliassime et de Leylah Annie Fernandez, la conquête de la Coupe Davis : le Canada brille sur la scène tennistique mondiale depuis quelques années déjà. La fédération nationale espère ajouter un autre rayon à son succès prochainement en misant sur les athlètes en fauteuil roulant.
En mai, Tennis Canada a lancé un programme national de développement pour mieux soutenir les athlètes en fauteuil roulant. Cela leur donne accès à des entraîneurs et à de l’aide financière.
À terme, l’objectif est de permettre à des Canadiennes et à des Canadiens d’accéder aux tournois de la Fédération internationale de tennis (ITF), et éventuellement aux Jeux paralympiques.
Frédérique Bérubé-Perron, de Saint-Bruno, a été sélectionnée pour faire partie de ce programme dans le volet junior. À 17 ans, elle commence à peine à rouler sa bosse sur les différents terrains provinciaux. Mais déjà, elle impressionne.
Elle participe en fin de semaine au tournoi de Saint-Hyacinthe, qui en est à sa deuxième année. Une compétition qui regroupe les meilleurs joueurs de tennis en fauteuil roulant du Canada, mais aussi quelques raquettes des États-Unis, de l’Australie, du Japon et du Costa Rica.
L'arrêt maskoutain fait partie des sept événements qui composent la série canadienne en 2023. Il s’agit d’une compétition de la catégorie Future de l’ITF. C'est un levier important, pour Tennis Canada, pour offrir à des joueurs d’ici l'occasion de jouer du gros calibre sans avoir à voyager. Et il s’agit aussi d’une vitrine importante pour faire connaître la discipline.
Frédérique Bérubé-Perron en est le meilleur exemple. Lors de la première édition, l’an dernier, elle y était comme bénévole pour ramasser les balles.
Celle qui est amputée, et qui jouait déjà au tennis debout avec une prothèse, a alors découvert une nouvelle façon de pratiquer son sport complètement par hasard.
J'avais comme objectif d'être chasseuse de balle au prochain Omnium Banque Nationale. Et à tout hasard, quelqu'un à mon club local a mentionné qu'il cherchait des gens pour un tournoi à Saint-Hyacinthe. Je me suis dit que ce serait un bon entraînement. Ma mère m'a dit : "Tu devrais y aller pour t'entraîner et éviter de manger une balle dans le front, à Montréal." Je l'ai écoutée!
La jeune sportive est alors arrivée au tournoi pour se rendre compte qu'il s'agissait, à sa grande surprise, d'un tournoi en fauteuil roulant. Un joueur canadien, Barry Henderson, a alors remarqué sa prothèse, et lui a fait remarquer qu'elle pourrait jouer, elle aussi.
Comme je marche, je ne pensais pas du tout que j'étais admissible. On m'a prêté un fauteuil roulant, et c'est comme ça que ç'a commencé!
Et un an plus tard, elle est de retour à Saint-Hyacinthe, mais cette fois-ci, son nom est inscrit au tableau principal.
Ce sont dans ces circonstances assez farfelues que Frédérique a commencé le sport. Une histoire qui s'amorce à peine, mais qui pourrait la mener loin.
Jean-Paul Melo participe aussi à la compétition. À 49 ans, il est un vétéran du tennis en fauteuil roulant au pays. Septuple champion québécois, il assiste à l’arrivée d’une nouvelle génération de joueurs qui regorge de potentiel.

Le tournoi a lieu cette année du 8 au 11 juin à la Polyvalente Hyacinthe-Delorme.
Photo : Patrick Roger
Il a par exemple mordu la poussière d'entrée face à Thomas Venos, 4e tête de série, qui est âgé de 24 ans seulement. Il fait partie des joueurs qui pourraient bien représenter le Canada sur la scène mondiale, tout comme Frédérique Bérubé-Perron.
Son enthousiasme et sa détermination sont ses plus grandes forces. Elle est très motivée, elle fait beaucoup d’heures d'entraînement. C'est du travail acharné. Et elle avait déjà la base, puisqu’elle était habituée à jouer debout. Ça l'aide.
Frédérique Bérubé-Perron, qui continue de jouer à la verticale
parfois, explique que les techniques de jeu diffèrent beaucoup. En fauteuil roulant, le revers est inversé, par exemple. Mes années d'expérience m'aident pour la technique de base, le coup droit. Mais la mobilité et le timing sont tellement différents. Au service aussi, on est plus bas. C'est complètement différent.
Jean-Paul Melo constate de son côté que le calibre a beaucoup évolué. Je dirais que le niveau de jeu a doublé depuis 15 ans sur le plan des performances, sur le plan tactique. Le sport est plus exigeant, on a plus de ressources aussi. On a plus de soutien qu'avant, avec les préparateurs mentaux, les physiothérapeutes, les entraîneurs, les terrains.
Frédérique Bérubé-Perron ne s'en cache pas, elle rêve aux échelons supérieurs.
Depuis que je suis enfant, j'ai le rêve de jouer aux Jeux paralympiques. Mais je n'avais jamais pensé que le tennis serait peut-être la voie pour y arriver.

Frédérique Bérubé-Perron termine cette année son cinquième secondaire. Elle caresse le rêve d'obtenir une bourse pour aller jouer dans une université américaine.
Photo : Patrick Roger
À Saint-Hyacinthe, Frédérique Bérubé-Perron s'est inclinée devant la 55e joueuse mondiale, Valeria Valverde, venue du Costa Rica. Une belle occasion d'apprentissage qu'elle souhaite répéter le plus vite possible. L'objectif est de disputer d'autres tournois de la catégorie Future afin d'obtenir un classement mondial.
Je termine mon secondaire cet été, ce sera plus facile après de concilier mon horaire avec les compétitions. Cet été, je vais partir en Colombie-Britannique pour deux autres tournois.
Il s'agira de ses premiers tournois à l'extérieur de la province, mais certainement pas de ses derniers.
Se battre à armes égales
L’enjeu qui se dresse possiblement devant le développement du tennis en fauteuil roulant, au pays et ailleurs, est l’écart du degré de handicap des concurrents. Le sport oppose souvent des athlètes aux diagnostics très différents, puisque la seule règle à respecter est de toujours maintenir un contact entre le siège du fauteuil et le fessier, et entre les appuie-pieds et les pieds.
On voit alors parfois des athlètes avec des handicaps moindres, qui utilisent un fauteuil roulant seulement sur le court, affronter des athlètes paraplégiques.
Dans le milieu du tennis en fauteuil roulant, on décrit mon amputation comme le handicap parfait, car j'ai toute la force dans mes abdominaux. Et ça aide beaucoup.
Il s’agit là d’un enjeu, puisque les prouesses des meilleurs joueurs du monde peuvent avoir comme effet de dissuader des personnes handicapées de se mettre au sport, sachant qu’elles auront peu de chances de se battre à armes égales sur le terrain, selon Jean-Paul Melo. Il remarque d'ailleurs que le nombre de joueurs paraplégiques, comme lui, est en chute libre depuis quelques années. Il y en a trois ou quatre fois moins qu'avant, facilement. Je le comprends. Leurs chances de gagner un match contre un amputé sont minces.

Jean-Paul Melo a remporté sept fois les Championnats québécois de tennis en fauteuil roulant.
Photo : Patrick Roger
L’idéal serait à son avis la création de classes qui regroupent les athlètes par handicap, mais ce faisant, on réduit le bassin de compétiteurs. Mais on va aussi attirer de nouveaux candidats potentiels, si on leur donne l'occasion de jouer entre eux. L'ITF est en train d'étudier à voir ce qu'elle peut faire à ce sujet.
Le tournoi international de Saint-Hyacinthe se poursuit toute la fin de semaine. La série canadienne de tennis en fauteuil roulant se transportera ensuite à Grimsby, en Ontario, du 13 au 16 juin, pour son deuxième arrêt. La saison se conclura en octobre avec les Championnats canadiens à Bedford, en Nouvelle-Écosse.