La prudence de Kent Hughes

Kent Hughes aura le 5e choix au premier tour du repêchage, dans trois semaines.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Kent Hughes a passé une bonne partie de sa vie à négocier. Il en est visiblement, sinon un maître, un fin renard, comme l’a prouvé le récent contrat de Cole Caufield. Il ne fallait pas s’attendre à ce qu’il dévoile son jeu à moins de trois semaines du repêchage.
Le directeur général du Canadien a rencontré les médias présents à Buffalo – Radio-Canada n’y était pas – dans le cadre du camp d’évaluation annuel des meilleurs espoirs de la LNH.
Pas de secret d’État, rien de franchement croustillant, mais quelques bribes d’informations à décoder qui peuvent fournir des pistes sur la stratégie du CH au cours des prochaines semaines plutôt cruciales pour l’organisation.

D’abord concernant le dossier Matvei Michkov. Il appert que le Tricolore se retrouvera avec un joyeux dilemme sur les bras lorsque viendra le temps de prendre la parole au repêchage à Nashville avec le cinquième choix. Plusieurs recruteurs cultivent de plus en plus l’impression que Connor Bedard, Adam Fantilli, Leo Carlsson et Will Smith auront tous trouvé preneur parmi les quatre premiers.
Le Canadien sera donc le premier à porter l’opprobre de cette décision. Michkov est un jeune joueur russe extrêmement talentueux, mais voilà, il est Russe, ce qui complique la vie de quiconque veut l’évaluer.
Hughes lui-même l’a vu pour la dernière fois au Championnat du monde des moins de 18 ans à Dallas il y a deux ans. Personne de l’équipe ne l’a vu en personne cette saison, pas même le codirecteur du recrutement et Russe d’origine, Nick Bobrov.
Avec chaque joueur, mais surtout avec les joueurs russes, il faut prendre en considération l’aspect géopolitique et le contrat. Il faut faire nos devoirs. On doit l’évaluer premièrement comme joueur de hockey et le comparer aux autres disponibles. Tout ça rentre dans l’équation pour déterminer qui on va repêcher.
Les rapports de dépistage sont donc incomplets. Michkov est lié au SKA de Saint-Pétersbourg dans la KHL pour les trois prochaines saisons. Cela empêche ainsi les hommes de Hughes de superviser son développement si jamais ils le choisissaient, une valeur cardinale de cet état-major.
Bien plus inquiétant encore, son père a été retrouvé mort dans un ruisseau à Sotchi dans des circonstances nébuleuses et extrêmement préoccupantes. Voilà un événement qui peut anéantir un jeune homme de 18 ans. Mais comment le savoir puisque personne ne peut lui parler face à face?
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Matvei Michkov (à droite) avait inscrit deux buts face au Canada, lors d'un match préparatoire au Championnat du monde de hockey junior, le 23 décembre.
Photo : The Canadian Press / JASON FRANSON
En réponse à une question d’un collègue sur Will Smith, Hughes a noté à quel point deux ans peuvent faire toute une différence dans la vie à cet âge.
Le DG a même texté les parents de Smith pour leur dire que leur fils est tellement plus mature, tellement plus un jeune homme que lorsqu'il l'a dirigé.
Deux années peuvent vous changer pour le mieux, mais pour le pire également. Et voilà maintenant près de deux ans que Michkov est tenu un peu à l’écart.
Il y a quelques semaines, un recruteur nous a confié qu’il avait entendu que le Canadien ne veut rien savoir de ça
. Ça
ne référant pas ici au jeune homme directement plutôt qu’à la complexité de la situation et au risque qu’il représente.
Partie de poker
Outre le dilemme Michkov, vous n’en apprendrez pas beaucoup plus sur les intentions du CH. D’abord, a rappelé Kent Hughes, l’équipe de recruteurs n’a pas tenu ses dernières réunions d’évaluation des espoirs, contrairement à bien des équipes qui profitent du camp d’évaluation à Buffalo pour le faire.
Ça ira à la semaine prochaine pour Montréal. Et quant à savoir quel aspect du jeu ou de la personnalité d’un athlète il privilégie…
Tout, a répondu le patron. Tous les aspects sont importants : le caractère, le patin, le sens du jeu, le niveau de compétitivité, les habiletés. On évalue tout. Les joueurs n’ont pas besoin d’être 9 sur 10 sur tout. On met tout ça dans la balance.
On connaît tout de même les besoins du Canadien. Que ce soit la relève flétrie devant le filet ou la rareté de défenseurs droitiers principalement. Un autre joueur de centre? De l’aide sur les ailes pour marquer quelques buts? Peut-être le manque de talent de pointe aussi, mais ça, qui en a suffisamment?
Il est notoire que Hughes connaît bien le bassin de joueurs du nord-est des États-Unis. Cette cohorte, particulièrement, lui est très familière. Il a dirigé Will Smith et connaît aussi personnellement Ryan Leonard, deux joueurs du programme de développement américain qui regorge d’espoirs de premier plan cette année, un peu à l’image du repêchage de 2019, soit l’année de Jack Hughes, Trevor Zegras et Cole Caufield, entre autres.

Will Smith
Photo : USA Hockey's NTDP / Rena Laverty
Un collègue bien avisé lui a demandé quel était le défi d’évaluer tous ses joueurs d’une même équipe. Autrement dit, y a-t-il des pièges à éviter?
La réponse a fusé, presque aussi bonne que la question.
Quand tu évalues les joueurs du programme, ce sont les meilleurs au pays qui ont été choisis. Certains jouent sur le troisième ou le quatrième trio. Certains jouent comme cinquième ou sixième défenseur. Ce n’est pas le contexte qu’ils ont connu [durant leur parcours]. Il faut faire attention parce que parfois les joueurs ont plus de potentiel que ce qu’on a vu, simplement parce qu’il n’a pas été placé dans une situation [pour le démontrer]
, a fait valoir le directeur général.
Était-ce un prêche pour Oliver Moore, qui est évalué au 8e rang des patineurs nord-américains par la centrale de recrutement de la LNH? Un joueur de centre moins productif que l’électrisant trio composé de Smith, Leonard et Gabriel Perrault, mais dont on dit énormément de bien?
Probablement pas pour le sélectionner au cinquième rang au total, mais la nuance apportée par Hughes mérite réflexion. Elle vaut d’ailleurs pour tous les joueurs dans toutes les équipes. Du contexte naît l’occasion et parfois la production, mais ce n’est nécessairement pas une panacée.
Ah, cette satanée science bien inexacte qu’est le repêchage…
En rafale
Kent Hughes est revenu sur le nouveau contrat de son as marqueur Cole Caufield. Le DG du Tricolore a confirmé qu’il était important à ses yeux que la nouvelle entente respecte la hiérarchie salariale de son club. Autrement dit, que le montant annuel ne dépasse pas celui du capitaine, Nick Suzuki.
C’était un facteur dans les négociations […] Cole est un gars d’équipe. C’est un contrat équivalent à la valeur du marché actuellement. Il voulait être à Montréal pour longtemps.
J’entends souvent dire que les joueurs ne veulent pas jouer à Montréal. Je ne suis pas d’accord avec ça. Quand les joueurs sont dans un bon contexte, ils sont contents. Il voulait être ici et c’est un message aux autres que les bons joueurs veulent jouer à Montréal
, a-t-il ajouté.
Comme Pierre-Luc Dubois?
Fieffé coquin, s’est-il retenu de lancer à l’auteur de la question. Hughes n’a pas voulu parler, comme on pouvait s’y attendre, de Dubois, pas plus que de Carter Hart ou de n’importe quel autre jeune talent qui meuble peut-être vos fantasmes.
Cela dit, le marché des échanges se trémousse assez, a-t-il admis. Le bal a été lancé par Daniel Brière et l’échange d’Ivan Provorov, mais ça discute fort en coulisses, paraît-il. C’est le temps de l’année.
En terminant, Hughes s’est dit fier de deux joueurs de son organisation.
D’abord Samuel Montembeault, lauréat de la médaille d’or au Championnat du monde, à qui le DG avait conseillé d’y aller.
Ensuite, fier de Logan Mailloux pour tous les progrès fait depuis deux ans pour s’améliorer comme personne
.
Il est plus conscient
, a expliqué Hughes.
Mailloux rencontrera éventuellement le commissaire Gary Bettman afin d’obtenir la permission de se joindre à l’organisation qui l’a choisi au 31e rang en 2021.