La grande séduction de l’Arabie saoudite
Quand le sport sert de nouvelle vitrine au régime.

Cristiano Ronaldo
Photo : Getty Images / Yasser Bakhsh
Rien ne semble arrêter le royaume saoudien. Le prince héritier Mohammed Ben Salmane veut attraper dans les mailles de son filet tout ce qu’il se fait de mieux dans le monde du ballon rond.
Après le contrat pharaonique offert au Portugais Cristiano Ronaldo, on parle de plusieurs centaines de millions de dollars, voilà que Karim Benzema a signé une entente à son tour.
Le Ballon d'or de 2022, qui vient de quitter le Real Madrid après 14 saisons, a convenu d'un contrat de trois ans avec le club saoudien Al-Ittihad. Dans la presse espagnole, on parle de plusieurs centaines de millions de dollars.
Et les ambitions saoudiennes ne s’arrêtent pas là. Selon plusieurs médias européens, d’autres vedettes feraient l’objet de tractations : Lionel Messi, qui a annoncé son départ du PSG, le Croate Luka Modric, les Français Hugo Lloris et N’Golo Kanté, l’Argentin Angel Di Maria, le Brésilien Firmino, sans oublier les Espagnols Sergio Busquets, Jordi Alba et Sergio Ramos.
On pourrait donc retrouver sur les pelouses saoudiennes tous les Ballons d'or depuis 2008.

Le circuit de Djeddah
Photo : Getty Images / Clive Mason
Cette offensive tous azimuts s’inscrit également dans ce que les spécialistes appellent le soft power sportif. Autrement dit, s’acheter les plus grandes vedettes sportives ou les grands événements internationaux pour se donner une légitimité internationale. Surtout pour des pays où les droits de la personne font pâle figure.
Depuis quelques années, les Saoudiens se sont offert un Grand Prix de formule 1, un circuit professionnel parallèle de golf, des grands prix cyclistes… La liste est longue!
Ils sont prêts, maintenant, à investir plusieurs centaines de milliards de dollars pour bâtir une mégalopole en plein désert pour accueillir les Jeux asiatiques d’hiver en 2029.
Le royaume est également pressenti pour être candidat à l’organisation de la Coupe du monde de soccer en 2030 ou en 2034.

Lionel Messi
Photo : Getty Images / Matthias Hangst
On l’aura compris, l’argent n’est pas un problème pour ce pays du Golfe. Pour mieux analyser cette offensive du premier producteur mondial de pétrole, Radio-Canada Sports s’est entretenu avec le chercheur et spécialiste français de l’économie du football, Luc Arrondel.
L’auteur de nombreux ouvrages sur l’argent du football nous parle des intentions saoudiennes.
L’offensive des Saoudiens est tout sauf une surprise. Dans un premier temps, ils veulent hausser le niveau de leur championnat, un peu comme l'avaient fait les États-Unis dans les années 1970. Il faut se rappeler que pour développer le football, les Américains avaient fait venir d'anciennes grandes vedettes comme Cruyff, Pelé, Beckenbauer ou Müller. Certes, ils ont échoué à l’époque, car à la différence de l’Arabie saoudite, ils n’avaient pas les fonds nécessaires.
Il est clair pour le spécialiste que la prochaine étape saoudienne sera l’obtention de la Coupe du monde de soccer. Mais derrière cet intérêt pour développer ce sport, il y a aussi le projet de se donner une certaine légitimité internationale.
Je suis un économiste, mais il est certain qu’on profite du sport le plus populaire de la planète pour redorer le blason d’une nation et la rendre plus accueillante et plus ouverte. On utilise donc les joueurs de football pour faire cette promotion au niveau de l’image. On l'a vu, par exemple, quand ils ont utilisé Lionel Messi pour une publicité vantant les attractions touristiques du pays.
Quand vous investissez dans le football, c’est rarement pour faire de l’argent. Trois cents millions pour un joueur, c’est une goutte de pétrole pour les Saoudiens.
Il est assuré que ce sont les fonds souverains PIF, le Fonds public d’investissement, qui vont servir à payer les joueurs. Avec une surface financière de 600 milliards d’euros (870 milliards de dollars canadiens), si vous donnez 100 millions à Benzema, c’est une goutte de pétrole. Et récemment, on a décidé de privatiser les quatre clubs de première division qui vont donc être sous la coupe des fonds souverains.

Karim Benzema
Photo : AFP / PIERRE-PHILIPPE MARCOU
Ce sont donc les fonds souverains saoudiens qui vont servir à financer les clubs. C’est pourquoi les grandes vedettes du ballon rond mondial seront réparties pour équilibrer le championnat.
La politique sportive saoudienne se différencie de ses voisins qataris et des Émirats arabes unis. Ces derniers ne cherchent pas à développer ce sport dans leur pays, mais utilisent le pouvoir sportif uniquement pour leur image, comme l’explique Luc Arrondel.
Les Émirats arabes unis préfèrent investir dans l'achat de clubs à l’étranger, comme le Qatar avec le Paris Saint-Germain et Lionel Messi. Les Saoudiens ont un championnat jeune, mais ont quand même bien fait lors de la dernière Coupe du monde. Pour le moment, ils achètent des joueurs en fin de carrière et cela n’inquiète personne, mais quand ils décideront d’acheter un Mbappé à 25 ans, alors là, cela deviendra problématique.
Selon le spécialiste, nous sommes à la croisée des chemins.
Si certains pays du Golfe, comme le Koweït, s'intéressaient à une époque au développement du soccer, l’arrivée des fonds souverains vient de bouleverser complètement la donne et commence à prendre des proportions intéressantes à souligner.
La grande séduction saoudienne est bel et bien en marche. Il reste à savoir maintenant si le mariage sera concluant.