ChroniqueAston Martin à Monaco, un goût amer en bord de mer

Fernando Alonso sous la pluie dans les rues de Monte-Carlo
Photo : Getty Images / ANDREJ ISAKOVIC
L’équipe canado-britannique avait une occasion unique d’offrir à Fernando Alonso sa première victoire de la saison, sa troisième à Monaco. Mais elle a fait le mauvais choix de pneus au moment critique, quand la pluie s’est mise à tomber.
En bord de mer, la météo change vite, au gré des vents venus du large ou des montagnes. La pluie qui devait tomber tout le week-end n’a finalement embêté les pilotes que dans les 26 derniers tours de la course, le temps pour Aston Martin de passer à côté d'une occasion (peut-être) unique.
Les stratégies de pneumatiques ont façonné la physionomie de la course. Au départ, Red Bull et Aston Martin avaient opté pour des stratégies différentes, ce qui nous a privés d’un duel d'entrée de jeu.
L’équipe autrichienne a clairement voulu s’assurer de prendre le commandement de l’épreuve. Le choix des pneus mi-durs (bande jaune) était de mise pour s’échapper et creuser l’écart, puis des pneus durs (bande blanche) pour finir l’épreuve. Rappelons qu’il faut obligatoirement utiliser deux trains différents en course.
De son côté, Aston Martin a choisi de faire partir Alonso en pneus durs pour allonger son premier relais et, si possible, lui donner l’avantage en fin d’épreuve. Depuis la saison 2022, le choix des pneus sur la grille de départ est libre pour l’ensemble des pilotes. Il n’est plus lié aux pneus utilisés dans la deuxième séance des qualifications (Q2) la veille.
Alonso n’a donc pas cherché à attaquer Max Verstappen à l’extinction des feux, sachant que la distance entre la pole et le point de freinage du virage no 1 est le plus court de la saison, soit 114 mètres. Cela ne laissait presque pas de marge de manœuvre au pilote d'Aston Martin.
L’Espagnol avait donc comme première mission de contrer l’Alpine-Renault d’Esteban Ocon, qui partait de la 3e place sur la grille, et comme lui en pneus durs. C’est ce qu’il a fait en ajustant sa trajectoire à l’approche du premier virage.

Fernando Alonso (monoplace verte) regarde sur sa droite alors qu'il se rabat pour couper la trajectoire d'Esteban Ocon.
Photo : TSN / Formula One
Une manœuvre décisive lorsqu'on sait qu’Ocon a fini le grand prix en 3e place, derrière Alonso.
Alonso n’a pas cherché à contester la 1re place de Verstappen et s’est installé dans son sillage devant Ocon. Dès le premier tour, on connaissait déjà le podium de cette édition 2023.
Ce n’est pas inhabituel de voir le top 3 au premier tour monter sur le podium. Mais pas forcément dans cet ordre. En effet, depuis 2015, le pilote 2e sur la grille de départ l’a emporté plus souvent que celui parti en pole.
Et encore dimanche, cela aurait pu se produire. Comme Alonso n’avait concédé que 84 millièmes de seconde à Verstappen, Aston Martin savait que son rythme en pneus durs serait quand même intéressant. Du moment que le Néerlandais, en 1re place, restait en deçà du temps nécessaire pour effectuer un changement de pneus, l'Espagnol pouvait rêver à la victoire, sans en faire un objectif.
En effet, après la séance de qualifications, il avait été clair : ce qu'il voulait, c'était de marquer le plus de points possible pour se rapprocher de Sergio Pérez et du 2e rang au classement. Il avait 30 points de retard sur le Mexicain au départ de la course. Aujourd’hui, il a réduit l’écart à 12 points. Mission accomplie.
La victoire se dessinait pourtant pour Aston Martin, car au 48e tour, Alonso n'avait que neuf secondes de retard sur Verstappen, et à l'arrêt du Néerlandais, il aurait pris les commandes.
La pluie s’est mise à tomber au 50e tour. Et là encore, Alonso aurait pu réussir un coup fumant, soit ravir la 1re position à Verstappen en réagissant plus vite que Red Bull lorsque la piste devenait glissante. En chaussant des pneus intermédiaires (bande verte) avant Verstappen, en profitant de sa position sur le circuit.
Aston Martin a tâté le terrain au 53e tour quand Lance Stroll est entré aux puits pour chausser des pneus intermédiaires. Le Québécois a joué les acteurs de soutien. Cela aurait dû inciter l’équipe à prendre la bonne décision, soit faire entrer Alonso pour lui donner des intermédiaires.
Alonso est entré au 55e tour pour se débarrasser de son premier train de pneus. L’équipe a choisi de lui donner des pneus lisses (à la surprise des commentateurs britanniques) même s’il pleuvait déjà dans trois virages. Une décision très risquée, car l’équipe voyait comme tout le monde que Verstappen perdait un temps fou dans les secteurs détrempés du circuit.
Aston Martin a mis sa 2e place à risque
Selon les commentateurs britanniques, c'est Alonso qui a demandé avant son premier arrêt si les pneus intermédiaires n’étaient pas la meilleure option. L’équipe a dit qu’elle préférait lui donner des pneus lisses, que les secteurs au sec allaient compenser au chrono pour les quelques secteurs mouillés plus piégeux.
Aston Martin doit donc porter la responsabilité de la décision et de l’issue de la course, car la pluie s'est intensifiée et est tombée pendant 23 minutes (si l'on se fie aux informations de Ferrari).
Avec les pneus intermédiaires, Alonso aurait eu l’occasion de passer devant Verstappen au moment de l’arrêt aux puits du pilote de Red Bull, 90 secondes plus tard (55e tour).
Aurait-il ensuite pu se maintenir en tête? Il est impossible de le dire. Red Bull a fait sortir Pérez au 59e tour en pneus pour forte pluie (bande bleue) et a choisi de laisser Verstappen en intermédiaires.
Au 56e tour, constatant que le risque était trop grand, Alonso est de nouveau retourné aux puits pour chausser des pneus intermédiaires, sans perdre sa 2e place.
Aston Martin a dû se mordre les doigts parce que l’occasion était là, inespérée. Au 58e tour, avec plus de 22 secondes de retard sur Verstappen, Alonso a été prévenu qu'Esteban Ocon, dans l’Alpine-Renault, n’était pas loin derrière, à moins de cinq secondes.
L'Espagnol a ajusté son rythme, non seulement pour assurer sa 2e place, mais aussi pour grignoter du temps sur le meneur. Au point où Verstappen a senti le besoin de piloter à la limite de l’adhérence de sa monoplace, comme le prouvent ses écarts de conduite au 62e tour dans plusieurs virages.
Toutefois, le Néerlandais n’a pas fait la faute qu’Aston Martin et Alonso espéraient. Et il a gagné.
Après être monté quatre fois sur la troisième marche du podium, Alonso a fait mieux à Monaco. Mais sa deuxième place a un goût amer, car la première était à prendre. Et il y aura peu d’occasions d’ici la fin de saison pour tenter de surprendre Verstappen. Peut-être à Singapour
, s’est risqué à dire Alonso. N’y comptez pas à Barcelone ce week-end.
On verra en Espagne si Aston Martin cède encore trois dixièmes de seconde à Red Bull en ligne droite, puisque celle du circuit de Catalunya fait 1,047 km. Si c'est le cas, l'équipe canado-britannique ne pourra se battre pour la victoire, au mieux pour une (autre) place sur le podium.
Lance Stroll, l'acteur de soutien
Un mot sur Lance Stroll. Son week-end a bien commencé, mais s’est très mal terminé.
Sur la piste détrempée, il a payé cher son impatience du premier tour. Parti de la 14e place, il a voulu surprendre Alexander Albon, parti devant lui, dans l’épingle. Les occasions de dépasser sont minces à Monaco, alors il a tenté de passer dans un trou de souris. Ce n'est pas la première fois que le Québécois tente des trajectoires audacieuses pour gagner du terrain.
Il s’est fait coincer par Albon deux fois plutôt qu’une, à l’entrée et à la sortie de l'épingle. Il a endommagé son fond plat et a cassé son aileron avant. Il a même pensé avoir une crevaison tant il s'est fait bousculer.

Lance Stroll tente de surprendre Alexander Albon dans l'épingle au premier tour du Grand Prix de Monaco.
Photo : TSN / Formula One
De sa tentative, il a dit à la radio : C'est un désastre.
Dans une monoplace meurtrie par les chocs, quand la pluie a mouillé la piste, Stroll a manqué de l’adhérence nécessaire pour rester en piste et finir la course. Il a été le seul pilote à abandonner (au 56e tour). Il avait alors un tour de retard sur le meneur, après plusieurs sorties de piste et des contacts avec les rails.
Il aurait dû être plus patient, car une course ne se gagne pas au premier tour, mais peut se perdre
.
À cette maxime, j'opposerais cette célèbre phrase d'Ayrton Senna : Si vous ne plongez pas dans l’ouverture qui s’offre à vous, vous n’êtes plus un pilote de course.
À vous de juger...