Le scandale de Hockey Canada : un an, trois enquêtes et zéro conclusion

Le logo de Hockey Canada
Photo : La Presse canadienne / Jeff McIntosh
Un an après l’éclatement du scandale qui a frappé Hockey Canada, le fond de cette affaire n’a toujours pas été élucidé. Nous ne savons toujours pas qui étaient les présumés agresseurs ni s’ils seront un jour punis.
Le 26 mai 2022, les Canadiens ont appris avec stupéfaction que Hockey Canada venait de conclure une entente confidentielle avec la présumée victime d’un viol collectif.
Une jeune femme alléguait avoir été agressée sexuellement par huit joueurs d’Équipe Canada junior dans une chambre d’hôtel de London, en juin 2018. La présumée victime poursuivait la fédération nationale, les trois ligues de hockey junior majeur canadiennes et ses présumés agresseurs pour 3,55 millions de dollars.
La poursuivante reprochait notamment à Hockey Canada de n’avoir rien fait pour sanctionner les joueurs, même si ses dirigeants avaient été mis au courant de la présumée agression quelques heures à peine après la commission des faits.
En l’espace de quelques semaines, au nom de toutes les parties poursuivies, Hockey Canada avait signé un chèque de plusieurs millions de dollars pour régler l’affaire avant qu’elle aboutisse devant les tribunaux. Ce règlement avait pour effet de réduire la victime et sa famille au silence, et de protéger les présumés agresseurs.
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L’existence de cette entente à l'amiable, d’abord publiée par le confrère Rick Westhead du réseau TSN, a étonnamment eu peu de résonance au Canada anglais. Au Québec toutefois, Radio-Canada, et ensuite La Presse, se sont emparés de l’affaire et se sont mis à poser des questions.
Les deux plus hauts dirigeants de HC à ce moment, Tom Renney et Scott Smith, ont été sommés de comparaître devant le comité permanent du Patrimoine à Ottawa. Et au lieu de calmer le jeu, leurs témoignages ont suscité l’indignation. Le gouvernement a réagi en retirant son financement à la fédération. Puis, vers la fin de l’été, un à un, les commanditaires de Hockey Canada ont commencé à retirer leurs billes.
De superbes pièces de journalisme d’enquête, notamment du Globe and Mail et de CBC, ont par ailleurs révélé l’existence de fonds secrets. Ces fonds, financés à même les cotisations des membres de la fédération, servaient notamment à dédommager les victimes d’agressions sexuelles.
L’automne dernier, le rapport d’un ancien juge de la Cour suprême, Thomas Cromwell, a aussi confirmé l’existence de sérieux problèmes de gouvernance à Hockey Canada.
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Après avoir longtemps résisté à d’énormes pressions économiques, politiques et médiatiques, le PDG Scott Smith et les membres du conseil d’administration ont fini par quitter leur poste à l’automne.
Depuis la mi-décembre, un nouveau conseil d’administration, présidé par l’ex-juge et ex-athlète olympique Hugh Fraser, est en place. Et ce nouveau conseil fait face à un défi colossal : il doit remettre Hockey Canada sur les rails en seulement un an.
Cinq mois plus tard, les progrès réalisés par les nouveaux dirigeants semblent toutefois importants. La ministre fédérale des Sports, Pascale St-Onge, s’est montrée tellement satisfaite de la nouvelle gouvernance qu’elle a rétabli le financement gouvernemental de la fédération. La semaine dernière, on apprenait par ailleurs que Hockey Canada était parvenu à regagner la confiance de ses commanditaires et à retrouver près de 100 % de ses commandites.
Au cours des prochains mois, HC devrait aussi être en mesure d’annoncer la nomination d’un nouveau ou d’une nouvelle PDG. Ce nouveau ou cette nouvelle leader aura pour mandat de poursuivre la modernisation de l'organisme. Des chercheurs de tête et un comité travaillent là-dessus. Ils devraient bientôt être en mesure de dresser la courte liste des candidats qui se sont le plus démarqués, révèle Hugh Fraser.
Bref, tout semble aller pour le mieux à Hockey Canada. Sauf que l’impunité des présumés agresseurs, qui est à l’origine de cette crise et de tous ces changements, n’est toujours pas résolue.
Il se passe rarement une semaine sans que des lecteurs m’écrivent pour s’enquérir de l’allure des enquêtes déclenchées (de façon distincte) par Hockey Canada, la police de London et la LNH
.Beaucoup sont sceptiques quant à l’issue de ces enquêtes et croient que les présumés agresseurs, dont certains évoluent désormais dans la LNH, seront protégés coûte que coûte par le système
. Le fait qu’aucune accusation ou sanction n’ait encore été annoncée leur fait croire qu’on tente tout simplement de noyer le poisson.
Pourtant, il semble qu’au contraire, l’étau commence à dangereusement se resserrer.
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En octobre dernier, la police de London a fait valoir à un juge de la Cour de l’Ontario, Michael Carnegie, qu’elle avait de bonnes raisons de croire que cinq hockeyeurs avaient commis une agression sexuelle dans une chambre d’hôtel de London, en juin 2018.
En conséquence, les enquêteurs demandaient au magistrat de lancer des mandats leur permettant de consulter divers éléments de preuve, notamment des messages textes, des enregistrements et, surtout, toute la documentation amassée par le cabinet d’avocats Henein Hutchison durant son enquête. C’est à cette firme torontoise que Hockey Canada avait confié le mandat d’enquêter afin de savoir si des joueurs avaient brisé son code de conduite.
Le juge a ordonné que les documents requis par la police restent sous scellés jusqu’à ce qu’il puisse lui-même les passer en revue et débattre de leur admissibilité avec les avocats des parties concernées.
À la fin du mois de mars, un député conservateur membre du comité permanent du Patrimoine, Kevin Waugh, a perdu patience et a fait adopter une motion obligeant Hockey Canada à remettre au comité une copie du rapport de l’enquête menée par Henein Hutchison.
Les membres du comité ont alors reçu une lettre des avocats de Hockey Canada. La lettre soulignait que les dirigeants de la fédération tenaient à coopérer avec le Parlement. Les députés se sont toutefois fait expliquer, très clairement, que le document demandé était sous scellés, donc extrêmement sensible. Et qu’en conséquence, l’enquête de la police de London et le processus disciplinaire déployé par Hockey Canada avaient de fortes chances de dérailler si le rapport devait faire l’objet de fuites médiatiques après avoir été remis au comité.
Le comité du Patrimoine a alors appuyé sur les freins afin de laisser les enquêtes progresser en toute quiétude.
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Cette sagesse semble avoir porté ses fruits parce que samedi dernier, le Globe and Mail rapportait que le juge Carnegie a donné aux enquêteurs de la police de London les accès qu’ils avaient demandés.
Ce qu’on sait, c’est qu’au moins huit joueurs ont été interrogés par la police, certains à plus d’une reprise, et que trois autres ont soumis des déclarations écrites. Ces informations ont été publiées par le Globe and Mail en décembre dernier.
Les éléments provenant de l’enquête menée par Henein Hutchison (les entrevues faites avec les joueurs, par exemple) permettront aux policiers de comparer ou de compléter la preuve qu’ils ont amassée jusqu’à présent et de trouver, le cas échéant, des contradictions dans les versions des acteurs et des témoins de cette soirée de juin 2018.
Dans leur requête présentée au juge, les policiers disaient notamment être intéressés par le contenu d’un groupe de discussion (messages textes) dont les joueurs faisaient partie à l’époque de la présumée agression.
Les documents de la cour révèlent par ailleurs, selon TSN, que la police recherche toujours le chauffeur d'Uber qui a conduit la présumée victime chez elle immédiatement après l’agression. Le juge aurait lancé un mandat ordonnant à Uber de fournir à la police l’identité du chauffeur en question, qui est considéré comme un témoin important.
Des images provenant des caméras de surveillance de l’hôtel où s’est produite la présumée agression, jusqu’à des enregistrements vidéo de la jeune femme que les joueurs auraient faits avec leurs téléphones portables, les enquêteurs semblent retourner toutes les pierres dans cette affaire.
La récente décision du juge Carnegie, qui leur donne accès à de nouvelles et importantes sources d’informations, leur permettra de faire progresser davantage leur enquête.
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En ce qui concerne le processus disciplinaire de Hockey Canada, le fardeau de la preuve n’est pas le même que dans le cadre d’une enquête criminelle. Le processus s’est donc révélé plus rapide. Mais aucune décision n’a encore été rendue.
En décembre dernier, Hockey Canada a annoncé que la firme Henein Hutchison avait achevé son rapport et l’avait remis à un panel d’arbitres indépendants chargé de déterminer quelles mesures disciplinaires doivent être prises, le cas échéant.
Ces arbitres sont François Rolland (ex-juge de la Cour supérieure du Québec), Nancy Orr (ex-juge en chef de la Cour provinciale de l’Île-du-Prince-Édouard) et Kirby Chown (avocate et ex-associée dans le cabinet McCarthy Tétrault en Ontario).
Cette démarche est menée dans la plus stricte confidentialité afin d’assurer les parties en cause d’un processus juste, mais aussi pour éviter de mettre en péril l’enquête de la police de London.
Ce n’est pas unique à Hockey Canada d’avoir recours à une tierce partie indépendante quand des allégations surgissent et qu’elles requièrent une enquête.
J’ai été impliqué au sein d’autres organisations et cela est considéré comme étant la meilleure pratique. Quand des arbitres indépendants se penchent sur un cas, seuls les personnes concernées et leurs avocats ont connaissance de l’évolution du dossier jusqu’à sa conclusion. On s’assure ainsi que la fédération n’ait aucune influence sur le résultat du processus
, explique le président du conseil de HC, Hugh Fraser.
Si aucune décision n’a encore été rendue par les arbitres appelés à se prononcer sur la présumée agression sexuelle de 2018, c’est simplement parce qu’ils n’ont pas fini leurs travaux, présume Hugh Fraser.
N’importe quel processus comprenant des avocats nécessite du temps. Il est souhaitable que les procédures soient équitables et que les avocats des parties soient satisfaits d’avoir pu faire leurs représentations correctement. Il vaut mieux prendre son temps et s’assurer de bien faire les choses.
Les gens qui sont en charge du dossier sont compétents et nous allons attendre les résultats
, explique le président du conseil de Hockey Canada.
Jusqu’à ce qu’une décision du panel d’arbitres indépendants survienne, la fédération a décidé d’exclure des équipes nationales tous les joueurs qui portaient les couleurs d’Équipe Canada junior en 2018.
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Quant à l’enquête lancée par la LNH il y a près d’un an, elle suscite son lot de questions.
Pas plus tard que la semaine dernière, le commissaire adjoint de la ligue, Bill Daly, a déclaré à la journaliste Katie Strang, du site Athlétique, que l’enquête menée par le directeur de la sécurité de la LNH, Jared Maples, tire à sa fin.
Le problème, c’est que les dirigeants de la ligue répètent la même chose depuis des mois.
Le 4 octobre 2022, le même Bill Daly déclarait que l’enquête progressait bien. Nos enquêteurs en ont presque terminé avec les joueurs. En passant, nous avons obtenu une pleine coopération de tous les joueurs de cette équipe (canadienne junior de 2018).
Il y a des témoins supplémentaires avec lesquels nos enquêteurs veulent faire un suivi. Nous ne sommes donc pas encore au bout du chemin, mais l’enquête progresse constamment
, avait soutenu le commissaire adjoint.
Deux jours plus tard, Gary Bettman affirmait : J’attends le rapport et on me dit que nous sommes plus près de la fin de l’enquête que du début.
Puis, le 13 décembre dernier, questionné sur le même sujet, le commissaire disait : Nous avons encore du travail à faire, mais nous sommes certainement dans la phase finale.
Puis, à la fin de janvier, lors de son passage à Montréal, le commissaire tempérait ses propos. Nous sommes vraiment près de la fin […] Mais faire une enquête de cette nature, avoir accès à l’information et aux gens, ce n’est pas quelque chose que vous pouvez faire en claquant des doigts
, soulignait-il.
Pourquoi la LNH n’a-t-elle pas encore conclu son enquête? Allez savoir.
Il se peut qu’on retarde le processus pour ne pas nuire à l’enquête policière.
Il se peut aussi qu’on attende les conclusions des enquêtes de la police de London et de Hockey Canada avant de s’avancer.
Il est aussi possible que la LNH préfère divulguer ce genre d’information en plein été afin de ne pas faire ombrage aux séries éliminatoires de la Coupe Stanley ou aux grands événements de la ligue, comme le repêchage ou l’ouverture du marché des joueurs autonomes.
Les hypothèses ne manquent pas.
Au bout du compte, le résultat est le même. On ne sait toujours pas ce qui s’est produit dans cet hôtel de London, en juin 2018. Et on ne connaît pas l’identité des joueurs impliqués dans cette présumée agression sexuelle collective.